Raconter l'histoire d'une 🍎

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''Qu'il faut chaud ! Et que cette chaleur sur mon corps potelé me brûle ! Je suis rouge, rouge vive, et je pense que mon goût sera parfait, à qui osera m'acheter. ''

Ça, c'est ce qu'elles disent toutes. Ce n'est pas mon cas. Les seuls envies que j'ai, c'est de continuer à être la, à décorer cet arbre et à ne jamais le quitter. Que je l'aime ce pommier, moi dessus, à contempler les vergers, à regarder les différents formes de nuages, à dorer sous le soleil du Venezuela. J'adore ça. Je vois tous les jours Pépé, alias Pedro, venir tôt le matin arroser Eduardo, le pommier sur lequel je me tiens. Ah Eduardo ! Il est plutôt vieux, mon papa. Oui, et il a tellement d'enfants ! Mais ils nous aiment tellement toutes... J'aime ma famille, et j'aime notre agriculteur.
Eduardo adore nous raconter des histoires le jour, avant que le soleil ne se couche et nous plonge dans l'obscurité. Comment sommes nous nées, comment devenir belles, comment avoir des formes et avoir un bon goût sucré. La consécration pour notre père, c'est que l'on soit parfaites, pouvoir être vendues à d'autres pays, voyager et assurer la bonne santé des hommes. J'ai toujours adoré ces histoires, mais maintenant que je sens que mon poids devient de plus en important, je redoute de tomber de l'arbre et de me fracasser par terre. Que deviendrais-je ? Je finirais là, par terre, on me marcherait dessus ou pire encore: On ferais de moi du jus de pomme !
Je ne connaîtrait jamais le toucher sensuelle de la bouche d'un humain.

'' Oh en voilà une beauté, Catalina ! Tu vois cette pomme ? Dans deux jours on pourra la mettre de côté, dans ce panier que tu vois là bas. Elle a l'air tellement juteuse ! Ah c'est dommage que ce soit pour notre patron et qu'on ne puisse pas la manger... ''

Pépé... Il allait me manquer lui, et papa Eduardo aussi... Mais je suis heureuse. Heureuse car dans deux jours je pourrais voyager. Le meilleur destin pour une pomme, c'est de voyager et d'être bonne ! Nous manger crues, quelle merveille ! C'est comme une premier baiser...et j'en ai jamais eu... Et j'ai hâte de ressentir ce sentiment ! Même si je me sens bien ici, plus le temps passe et plus j'ai peur de mourir, de m'étaler et finir en compote. Nous, les pommes, pouvons finir de différentes façon : confiture, compote, tarte, crues, cuites... Personnellement, je ne veux pas passer par la case cuisson car on dit que c'est d'une douleur insupportable. Ce que je veux moi ? Que l'on me mange crue !
Passer à la poêle ? Mon Dieu ! Non ! Car si cela arrive, je n'aurai jamais mon premier bisou.
Les pommes peuvent-elles rêver ? Oui. J'en suis la preuve vivante. Je suis une pomme rêveuse, et j'espère que mon rêve se réalisera un jour.

***

Ce matin, Pépé arrive dans le verger en chantant. C'est l'heure de la récolte. Il arrive avec son énorme panier d'osier,  prêt à choisir les plus belles d'entre nous. Trois, quatre, cinq... Il regarde minutieusement mes soeurs et les détachent d'Eduardo, tout doucement. À chaque fois qu'il en décroche une, il sourit et dit : '' Oui, voilà, toi tu es parfaite ! ¡ Qué bonita estás !* "
Puis il se dirige vers moi, tends la main et me décroche. Il me détache de la branche avec délicatesse mais je ressens tout de même une douleur au niveau de la tête. Eduardo... Papa... Je pars.. Merci de m'avoir créée et m'avoir porter !

''Va, ma fille, va,va vivre ton rêve, et sache que tu es magnifique... ''

Je me retrouve alors à côté de mes soeurs, dans ce panier étroit. Il ne fallait pas que l'on soient trop pour notre Pépé. Il était déjà âgé et il allait bientôt prendre sa retraite. Ces dernières années, les jours ont été compliqués pour lui, sa femme, Julieta est tombée gravement malade, mais il n'a jamais perdu espoir quant à sa guérison. Chaque jour, il venait, nous arroser, inspectait le sol, nous regardait et souriait. On était sa source de bonheur et nous as toujours dit : " Ma femme ne va pas très bien ces derniers jours, on se fait vieux mais c'est toujours un plaisir de voir mon verger si beau, je suis sûr que si vous êtes en bonne santé, ma femme le sera aussi. ¡Ustedes son las manzanas de la esperanza!* "

***

Le soleil est fort aujourd'hui, la chaleur est pesante, j'ai peur de ternir et de perdre ma couleur rouge éclatante, mais arrivée à l'hangar, Pépé pose un linge propre sur le panier et nous met dans un coin, au frais.

" Au revoir mes Manzanitas *, apportées la bonne santé dans le monde et données de l'espérance aux gens ! "

Je souris. Je le ferai Pépé, je te le promet.

J'aime la fraîcheur, l'odeur que notre peau émet est merveilleuse, et ici, au frais, notre parfum s'accentue encore plus.

''Pépé, prépare le panier et met les là bas, elles iront en France, dans un marché de Paris. '' dit Carlos, le patron de la firme CumaManza*

Paris ?? La ville de l'amour !! Je ne pouvais rêver mieux ! J'ai tellement hâte ! Là, sous la Tour Eiffel...
Mes pensées me font suer. Ma transpiration me rends d'autant plus brillante.
''L'espoir nous rends belles, oui, l'espoir nous rends meilleures... ''

*** ~ Après le vol ~

''François ! Dépose ces jolies pommes dans la caisse et vends les 3 euros le kilo. Regarde comment elles sont belles ! Si brillantes ! C'est vraiment fou, ici elles n'ont pas une aussi belle gueule !''

François, le français, nous posent toutes sur le stand de fruit. Ici, c'est très pollué. Je me sens toute bizarre. J'ai même du mal à respirer. Serait-ce le voyage qui me rends si maussade ? Hmm... Ma peau est moins rouge que dans mon pays... Pépé... Eduardo...
François nous lâche alors de manière violente sur son stand. Je heurte Davina et Frida, les soeurs me regardent avec effroi. Me voilà avec une bosse. Une bosse !! Et dire qu'en arrivant j'étais parfaite ! Digne des plus belles pommes de Cumaná* !
Ahhh ! Quel manque de délicatesse. Qui voudra de moi maintenant...?

Les gens passent et passent à nouveau. Le temps est long, et je ne sais  pourquoi les gens ne nous achètent pas. Que se passe-t-il ?
Je reste alors plusieurs heures sous cette pluie, sous ces nuages gris.
Ma couleur commence à ternir, comme le temps, et mon rouge écarlate vire au rouge corail ; je suis moins brillante.

Soudain, un homme d'une trentaine d'année passe devant moi. Il nous regarde, moi et mes soeurs. Mon coeur bat à la chamade. Serait-ce lui ?
''Venez manger nos pommes ! Elles sont parfaites ! 3 euros le kilo ! N'ayez pas peur, vous ne serez pas déçu ! " crit François.
Le jeune homme eu un moment d'hésitation, puis continua sa route.

Ce ne sera pas lui.

Le temps passe, et bientôt, nous retourneront dans la caisse de toute à l'heure.
Si personne ne veux de nous maintenant, demain nous serons encore moins jolies. Le temps, en dehors de nos branches, nous abîmes, le temps et la distance nous détériorent.

François prends alors mes soeurs et les jettent à nouveau dans les caissons. Je veux pas y retrouver ! Cette brute va encore m'abîmer !

'' Quel gâchis ! Il en reste encore tellement ! Finalement, vous ne devez pas être si bonnes que ça ! "

Ces mots me blessent. Me heurte comme une flèche en plein coeur. Je me sens triste. Je regrette ce voyage, je regrette de ne pas avoir dit des mots plus doux à mon père lorsque Pépé m'a détaché de lui.. Eduardo...

C'est alors que François me prends et me dirige vers sa bouche. Il me croque d'un coup sec. Ce geste si soudain me surpris tant !
Était-il doux ? Non. Mais ce qu'il dit après me fit rougir.

" Mon Dieu ! Je n'ai jamais mangé de pomme aussi bonne; si sucré et si douce ! "

J'étais heureuse. Enfin, mon rêve à fini par se réaliser.
Mon premier baiser n'était pas comme je l'imaginais mais ce compliment, ce compliment... c'est tout ce qu'il me suffisait pour me combler.

Merci François. Merci Pépé, Merci Eduardo.

Ma vie de pomme prends fin et j'espère que les soeurs seront heureuses elles aussi.
Vivez vos rêves et soyez l'espoir qui vous rends plus belles !

Traduction et précisions :

1. ¡ qué bonita estás ! : Que tu es belle !
2.Ustedes son las manzanas de la esperanza! : Vous êtes les pommes de l'espérance !
3. CumaManza : moitié de la ville de Cumaná et du mot Manzana ( pomme)
4. Cumaná : ville du Venezuela, située près de la rivière Manzanares.

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