Son cœur battait à tout rompre, cherchant à fuir loin de sa cage thoracique. Il s'éloigna du campement et se laissa tomber dans le sable. Il renversa sa tête vers le ciel et inspira profondément pour se calmer.
Ce n'était que du chant et il ne s'attendait pas à réagir aussi violemment. C'était sans doute à cause de l'enthousiasme et des compliments de la foule. Il n'avait pas l'habitude d'être le centre de l'intention. Il essuya une larme qui menaçait de s'échapper de son œil en se traitant de parfait idiot. Quelle idée de réagir comme ça pour une simple chanson ! Ce n'était pas son genre de se donner en spectacle.
Des pas discrets dans le sable le firent se retourner. Gébald s'arrêta à un mètre de lui, incertain. Il invita son jumeau à le rejoindre et ce dernier s'assit sans oser prendre la parole. Il scrutait Zacharie du coin de l'œil, inquiet.
- Je suis désolé, dit le jeune homme en premier. Ma réaction était excessive.
- Qu'est-ce qui t'es arrivé ?
- Des souvenirs désagréables sont remontés à la surface quand vous m'avez encouragé à chanter une nouvelle fois, expliqua Zacharie.
- Quels souvenirs ? Un de ceux dont tu ne veux pas me parler ?
Le jeune homme acquiesça. Il n'avait jamais raconté sans enfance dans le désert à son jumeau car il considérait que sa vie commençait véritablement avec la naissance de Gébald. Avant ça il n'y avait rien, exception faite pour Izîl dont son frère d'âme connaissait l'existence.
Son jumeau l'avait déjà questionné mais Zacharie n'avait jamais rien laissé échapper. L'espace d'un instant, il hésita à se confier mais ses appréhensions le rattrapèrent vite. Gébald perçut son hésitation et dit :
- Zach. Quoi qu'il se soit passé, je ne te jugerais pas. Parle-moi, dis-moi ce que tu as sur le cœur. Regarde ce que ça donne de tout garder pour soi.
Zacharie promena son regard sur le désert dont le sable paraissait blanc sous les rayons de la lune. Ils étaient seuls, loin des Lankis et de leurs amis restés près du feu. Personne d'autre que son jumeau n'entendrait ce qu'il allait dire et il avait gardé son passé pour lui trop longtemps. Il se résigna mais avant de se livrer, il déclara :
- Promets-moi que la vision que tu as de moi ne changera pas après ce que je vais te raconter...
- J'en saurais simplement plus sur toi, le rassura Gébald.
Zacharie rassembla son courage et, face à l'immensité du désert, il raconta son enfance à son jumeau. Gébald écouta attentivement sans l'interrompre et le jeune homme sentit un nœud se former dans sa gorge au fur et à mesure de son récit. Il avait toujours caché cette part de sa vie et la raconter, même à son jumeau, le troublait profondément.
A la fin, ses mains tremblaient et il contenait ses larmes tant bien que mal. Gébald lui passa un bras autour des épaules et Zacharie laissa son frère lui apporter son soutien. Il se sentait soulagé d'avoir vidé son sac. Ils demeurèrent silencieux de longues minutes puis Gébald murmura d'une voix chargée de colère :
- Je ne les laisserais pas te faire du mal une seconde fois.
- Merci, dit tout simplement Zacharie.
- Viens, retournons avec les autres. Eux aussi sont inquiets pour toi...
Le jeune homme ne s'opposa pas à la proposition de son frère. Il commençait à avoir froid. S'entourer de ses amis l'aiderait à se sentir mieux que seulet hanté par les fantômes de son passé. Il sourit aux Lankis qui lui adressèrent des œillades soucieuses. Ils se détendirent envoyant qu'il se portait bien. Zacharie se rassit parmi les autres chevaliers dragons qui s'inquiétèrent aussitôt de son état.
- Qu'est-ce qui t'es arrivé ? l'interrogea Aymeric.
- Ce n'était rien, répondit Gébald pour lui. Juste un petit malaise. Je pense que c'est à cause de la chaleur et du fait que nous manquons de sommeil.
Leur meneur sembla moyennement satisfait de cette explication mais n'insista pas. Lysange passa une main réconfortante sur l'épaule du jeune homme à la peau sombre. La soirée reprit son cours et s'acheva une heure plus tard.
Zacharie s'allongea sur les matelas épais recouverts de fines couvertures qui tapissaient le sol de la tente avec un soupire d'aise. Gébald n'avait pas tort : il était épuisé. Il ne conserva que son pantalon pour dormir. Gébald s'installa à ses côtés, non loin d'Ourania et Hydronoé. Ils laissèrent un peu d'espace à Aymeric et Lysange qui s'endormirent amoureusement enlacés. Alors que la fatigue pesait sur ses paupières, Zacharie tarda à s'endormir.
Il tourna tantôt à gauche, tantôt à droite alors que les autres respiraient paisiblement. Il finit par fermer l'œil en calquant sa respiration sur celle de son jumeau. La chaleur le réveilla et il découvrit qu'il était seul dans la tente. Ses compagnons étaient déjà levés et l'avaient laissé se reposer. Il renfila ses vêtements de chevalier dragon et plia soigneusement ceux offerts par Aylana.
Il la croisa justement en sortant. Elle courait en imitant un monstre imaginaire derrière un de ses enfants qui riait aux éclats. Elle finit par l'attraper et le souleva dans les airs en couvrant le cou du petit de bisous. Elle cala l'enfant dans ses bras et se tourna vers Zacharie avec un air jovial.
- Vous êtes enfin réveillé ! Je commençais à m'inquiéter. Vous nous avez fait une petite frayeur hier soir.
- C'était la fatigue, mentit le jeune homme.
- Contente de voir que vous vous portez mieux.Vos amis attendent dehors et tenez ! J'ai préparé des galettes pour le déjeuner.
Elle se pencha vers une natte sur laquelle reposait une pile de galettes dorées et odorantes puis les tendit à Zacharie qui accepta en la remerciant. Il les grignota en cherchant ses amis dans le camp. Il les découvrit en train d'aider à nettoyer les cendres du feu de la veille. Aymeric déclara en voyant Zacharie :
- Nous allons pouvoir reprendre la route. Finissons ça.
Le jeune homme à la peau sombre prêta main forte à ses compagnons. Une fois qu'ils eurent terminés, ils rincèrent leurs mains grises de cendres dans l'eau tout en remplissant leurs gourdes. Ils annoncèrent leur départ au doyen qu'ils remercièrent pour son hospitalité et partir sous les saluts amicaux des Lankis. Certains les accompagnèrent même à la sortie du camp et leur offrirent des biscuits secs.
Les chevaliers dragons s'éloignèrent à pied et retournèrent sur leur pas désert jusqu'à ce que l'oasis ne soit plus qu'un minuscule point derrière eux. La chaleur au sol devint rapidement insupportable et Ourania créa une brise fraîche avant qu'ils se liquéfient dans leurs vêtements. Dès qu'ils furent assez loin des Lankis, Aymeric ordonna aux dragons de rependre leur forme de reptiles ailés. Ils déterrèrent les selles cachées dans une dune et Zacharie harnacha Gébald qui paraissait agité.
- Que se passe t-il ? s'enquit Zacharie. Tu as un problème ? J'ai trop serré les sangles ?
- J'ai un mauvais pressentiment, annonça le dragon de terre. Nous ne devrions pas décoller.
Zacharie transmit les inquiétudes de son jumeau à Aymeric. Au même moment, Lysange vint leur annoncer qu'Ourania pensait plus prudent d'attendre avant de reprendre la route. Seul Hydronoé n'était pas sur ses gardes et attendait paisiblement l'ordre de départ en scrutant le ciel d'un air rêveur.
- Très bien, attendons une heure ou deux. Si rien ne se produit, nous volerons.
Ils se conformèrent à la proposition de leur meneur et patientèrent à l'ombre d'une dune. Gébald et Ourania ne se calmèrent pas durant cette pause. Ils trépignaient sur place. Quelque chose les affolait mais quoi ? Zacharie posa la question à son frère qui répondit :
- C'est confus. Je ne sais pas comment dire ça mais je sens qu'un danger approche. Nous devons rester à l'abri.
Après trois heures sans bouger, Aymeric craqua. Il se redressa, épousseta son manteau et déclara :
- Assez perdu de temps, en route.
- Nous ne pouvons pas attendre encore un peu ? supplia Ourania.
- Je vous ai déjà accordé assez de temps et rien ne s'est produit. Tout va très bien, vous êtes simplement un peu anxieux.
Il grimpa sur le dos d'Hydronoé qui avait conservé sa sérénité le temps de leur repos forcé, s'octroyant même le droit de faire une petite sieste. Lysange et Zacharie imitèrent leur meneur mais le jeune homme à la peau sombre ressentait la nervosité croissante de Gébald comme si c'était la sienne.
- Nous allons voler à basse altitude pour nous poser en cas de problème, annonça Aymeric en croisant le regard incertain de ses amis.
Ils quittèrent le sol et pour la première fois, Zacharie ne se sentit pas en sécurité dans les airs. D'ordinaire il éprouvait un sentiment d'apaisement. Il était loin de tout lorsqu'il volait avec son frère. A distance des problèmes qui l'attendaient sur la terre ferme, des préoccupations humaines, du bruit constant de l'humanité. Dans le ciel il n'y avait que Gébald, ses compagnons et lui. Tout ce qui suffisait à faire son bonheur.
Cette fois-ci différait des précédentes car son jumeau avait peur et Zacharie le percevait jusque dans sa moelle. Il posa une main qu'il espérait apaisante dans le cou de son frère qui volait plus lentement que d'ordinaire.
Hydronoé, loin de l'anxiété de son frère et de sa sœur, planait largement en tête du trio. Même Ourania ralentissait à vue d'œil et rivait son regard doré sur l'horizon. Zacharie l'imita et plissa les yeux en se demandant pourquoi elle observait attentivement cette direction.
- Ça approche, annonça Gébald d'une voix tremblante.
- Du calme, je suis là.
- C'est dangereux, il faut faire demi-tour ! supplia son jumeau.
- Il n'y a aucune raison de...
Le jeune homme à la peau sombre s'interrompit au beau milieu de sa phrase à cause d'un sifflement qui emplissait peu à peu ses tympans. Il pivota à droite et à gauche sans rien voir qui sortait de l'ordinaire puis jeta un œil par dessus son épaule. Le paysage à une dizaine de mètres de lui était teinté d'ocre, comme si de la poussière était en suspension. C'est alors qu'il comprit.
- Tempête de sable ! hurla t-il.
Aymeric suivi le regard de son ami et s'écria en voyant que le phénomène se rapprochait plus vite qu'ils n'avançaient :
- Trouvez un abri ! Retrouvons-nous...
Il n'en dit pas d'avantage car la tempête de sable fondit sur eux et les engloutit. Lysange hurla quelque part à la droite de Zacharie. Les grains furieux dansaient autour de lui en sifflant. Le jeune homme se couvrit le visage de son manteau tandis que Gébald descendait en piqué vers le sol. Il heurta brutalement le sol et tomba sur le flanc en glissant sur plusieurs mètres.
Chaque à-coups secouait Zacharie comme un pantin désarticulée. Son impuissance face à la situation le désespéra. Quand Gébald termina de glisser sur le sable, le jeune homme se retrouva suspendu parallèlement au sol et se détacha de la selle. Il chuta sur le sol. Le sol meuble du désert amortit sa chute et il se releva en chancelant, déséquilibré par les fortes rafales de vent.
Il tâtonna autour de lui à la recherche de son jumeau. Le sable lui giflait la peau et il rentra la tête dans les épaules. Sa main se posa sur le corps écailleux de son jumeau et il se plaqua contre lui pour ne pas le perdre dans la tempête rugissante. Le son du vent charriant les grains de sable rugissait à ses oreilles.
Il crispa les doigts sur Gébald en se recroquevillant sur lui-même. Il veilla à ne pas découvrir son nez et sa bouche et attendit que ça passe. C'était la seule chose à faire en cas de tempête de sable. Il sentit l'obscurité s'épaissir au-dessus de lui et le hurlement de la tempête s'affaiblir. Le sable ne l'assaillit plus mais il entendait toujours confusément les rafales. Il osa ouvrir un œil. Gébald avait tendu une de ses ailes par dessus lui pour le protéger.
Merci mon frère, dit-il mentalement.
De rien Zach.
Le jeune homme perçut la douleur dans la voix de son jumeau et demanda :
Tu es blessé ?
Je crois que je me suis éraflé une aile mais ce n'est rien de grave.
Je vérifie dès que la tempête se termine.
Il se mit à attendre que le phénomène naturel s'apaise. Pour s'avancer il ôta son sac de ses épaules, prêt à sortir des pommades et des bandages pour soigner son frère d'âme. Après un moment qui lui sembla bien long, Gébald replia son aile. La tempête de sable semblait avoir disparu comme par magie et le désert avait retrouvé sa quiétude.
Zacharie se redressa et entreprit d'examiner la blessure de Gébald. Contrairement à ce que ce dernier avait dit, ce n'était pas rien. Les écailles qui recouvraient l'os de l'aile étaient arrachées et la chair déchirée laissant entrevoir un éclat blanc inquiétant.
Zacharie effleura l'aile de Gébald du bout des doigts sans les poser sur la plaie et son jumeau gémit de douleur en reculant pour se soustraire à ce contact. Le jeune homme fouilla dans son sac et saisit de quoi apaiser la souffrance de son frère.
- Ça va sans doute te faire mal dans un premier temps mais après tu ne sentiras plus la douleur, le prévint-il.
- Je te fais entièrement confiance.
Gébald déplia son aile blessée en grimaçant et Zacharie l'examina de plus près. Du sable s'était infiltré dedans : il allait devoir désinfecter et en déloger autant que possible pour éviter une infection. Avec les facultés de régénération de son jumeau, la plaie ne serait qu'un mauvais souvenir dans une petite semaine.
Le jeune homme versa un mélange désinfectant sur un chiffon et tamponna les bords sanguinolents de la plaie pour chasser le sable. Gébald agita la tête dans tous les sens en retenant tant bien que mal des hurlements de douleur. Ses pattes avant labourèrent profondément le sable et il serra les crocs.
Zacharie s'excusa auprès de lui et appliqua ensuite une crème cicatrisante et anesthésiante qui tiendrait la douleur éloignée pour quelques temps. Il couvrit la chair à vif avant que le soleil ne l'abîme. Gébald soupira de soulagement et tendit son cou pour observer les environs.
- Où sont les autres ?
- La tempête de sable les a fait dévier mais ils ne doivent pas être loin.
- Qu'est-ce qu'on fait ? Nous les attendons ou nous continuons ? l'interrogea son jumeau.
- Restez ici serait plus judicieux. Il fait chaud et tu es blessé. Ne gaspillons pas nos forces : asseyons-nous à l'ombre pour l'instant. Ils sont dans les parages, ils finiront pas tomber sur nous.
Sa stratégie ne convainquit pas son frère qui scruta le paysage.
- Mais le désert est vaste...Ils pourraient très bien passer à côté de nous sans nous voir à cause des reliefs. Nous devrions nous déplacer pour avoir une chance de les retrouver.
Zacharie se résigna et excepta l'idée de Gébald. Ils marchèrent côte à côte sous le soleil brûlant et Zacharie s'en protégea en demeurant dans l'ombre de son jumeau qui avançait d'un bon pas. Sa blessure ne semblait pas le faire souffrir mais le jeune homme surveilla le moindre changement d'humeur qui indiquerait le retour de la souffrance chez son frère dragon.
Zacharie observa l'horizon et les côtés pour repérer leurs amis mais il n'y avait que du sable à perte de vue.
Il pensa repérer un mouvement au sommet d'une dune mais en regardant plus attentivement, il n'y avait rien. Sans doute le miroitement de l'air. Il terminait de boire sa première gourde quand Gébald déclara :
- Je crois avoir aperçu quelque chose qui bouge là-haut.
Il indiqua une dune de sa gigantesque tête.
- Tu crois qu'il s'agit des autres ?
- Tu veux aller voir ? le questionna Zacharie.
- Mieux vaut s'en assurer plutôt que de passer à côté, dit-il en changeant de direction.
Zacharie lui emboîta le pas, plus méfiant. Le désert n'abritait pas que des tribus accueillantes ou des voyageurs perdus. Il glissa une main sous son manteau pour la poser sur le manche de son épée. Gébald prit de l'avance, pressé de retrouver les autres.
- Attends moi Gébald ! L'endroit n'est pas s...
Une flèche siffla près de son oreille, l'interrompant dans sa phrase. Une autre se planta à ses pieds et une troisième se figea dans l'épaule de son jumeau qui émit un rugissement de protestation.
VOUS LISEZ
Chevalier dragon, Tome 2 : Aux confins du monde
FantasíaAymeric est à présent un chevalier dragon. Lui et ses compagnons doivent endosser leurs responsabilités et effectuer leur première mission : une visite diplomatique au royaume des dragons. Mais la mission prend une tournure inattendue et une suite d...