IX

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Immédiatement, Lily me saisit par la main, alors que les hommes s'écartent pour nous laisser passer. Elle me chuchote à l'oreille, l'excitation peinte sur son visage comme le sont les dessins de peinture sur ceux de son peuple :

- Je t'emmène dans ma chambre, histoire de te changer !

Je baisse les yeux pour apercevoir de grandes taches brunes qui s'étalent sur mes pantalons. Des fils pendent de tous les côtés, résultat de mes aventures entre les branches. Je rougis alors de me voir si crasseuse, alors qu'elle n'a de preuve de notre balade qu'une feuille emmêlée dans ses cheveux d'ébène.

- Mais je n'ai aucun autre vêtement !

- Mais moi si. Je ne peux pas me vanter d'avoir un style impeccable, mais mes habits sont confortables et pratiques. Tu ne les sentiras presque pas sur ton corps quand tu bougeras. Et plus résistant que ce que tu portes maintenant.

Elle rit gentiment et je sens mes pommettes arborer leur couleur pourpre. Sa chambre se trouve dans une tente spacieuse et constitue l'unique pièce délimitée par les tapisseries qui forment les pans des murs. Je n'ai pas le temps de m'y attarder mais une myriade de couleurs brodent des milliers de visages et encore plus d'animaux. J'en reconnais quelques uns, d'autres sont similaires seulement à ceux qui peuplent l'autre monde, et beaucoup me sont étrangers mais je sais que bientôt, chacun d'eux aura sa place dans mon coeur.

D'un geste tendre, elle me tend un tas de tissus entremêlés que j'attrape d'une main fébrile. L'étoffe coule comme l'eau de la rivière sur mes avant-bras et je frisonne de sentir la fraicheur de cette matière caresser ma peau. Elle me fait un clin d'oeil, encore un, que je sens percuter ma cage thoracique et en la voyant s'éloigner pour me laisser mon intimité, je réalise à quel point mon corps refuse de la laisser aller. J'ai la soudaine envie de lui crier de rester, de ne pas me quitter car perdre une seconde avec elle serait comme perdre une vie entière, et je ne peux m'empêcher de sentir son parfum sur mes lèvres qui me chuchote de la retenir.

Elle s'en va, et je sens le sort s'atténuer. Libre de respirer enfin, j'ôte mes haillons et me laisse vêtir par ces tissus aux couleurs de forêt, qui ceignent parfaitement ma taille et le reste de mon corps. Pourtant, je n'imaginais pas avoir la même morphologie que ma protectrice.

Je pense alors à Peter, retenu par les lianes au poteau, à son visage mesquin qui boude. Cela me fait sourire : encore une fois, je réalise que mon choix de quitter le monde des Hommes n'est pas vain. Je vivrai heureuse ici, je le sens et je le sais.

Quand je suis prête, j'écarte la tenture qui forme la porte d'entrée, et Lily pousse un sifflement de joie.

- Il te va à ravir ! A présent, il va falloir te maquiller pour la cérémonie.

A nouveau, mille pensées aboutissent en un même instant au bout de mes lèvres et je ne prononce qu'une syllabe :

- Oh...

- Ne te fais aucun soucis ! J'imagine que tu es totalement étrangère à nos coutumes, et c'est normal. Je vais te guider !

Elle me saisit la main pour me faire parvenir devant sa commode, une table munie d'un miroir qui reflète les mille couleurs de sa chambre. Elle me force à m'asseoir et sort de nulle part un grand fuseau et des pinceaux humides. Je bafouille légèrement, en m'excusant.

- Je suis navrée, je ne me suis jamais intéressée à la culture indienne. Enfin, indienne d'Amérique. Indienne non plus en fait...

Je m'emmêle dans mes propres phrases, mais elle semble confuse.

- Indienne ?

Elle fronce les sourcils et j'ai la soudaine impression d'avoir commis une grossière erreur. Je sens mes joues brûler. Mais elle continue, s'adressant à elle-même.

- C'est bien drôle tout ça !

- De ? je demande, encore plus confuse qu'avant.

- C'est Peter qui nous appelle comme ça. Je pensais qu'il avait inventé le mot...

- Donc vous n'êtes pas des Indiens ? j'hasarde, la tête rentrée entre mes épaules comme pour éviter un choc.

- Non ! Enfin, si pour Peter. Nous, nous n'avons pas de noms. Nous sommes "mon peuple", "ma tribu". Lui et ses garçons nous appellent comme ils veulent, ça n'a pas d'importance.

Je réalise lentement ce qu'elle est en train de dire. Peter a fait comme la plupart des Hommes : associer une idée à quelque chose qu'il connaissait déjà. Je m'en veux immédiatement d'avoir suivi ce chemin.

- Mais j'y pense, c'est lui qui t'a déjà parlé de nous ! C'est comme ça que tu as su ce nom qu'on nous donnait ! s'exclame soudainement Lily.

Je n'ai pas la force ni le courage de la contredire, alors j'acquiesce et elle se remet au travail. Je me tais alors que les poils fins des pinceaux ceignent mes joues de couleurs vives, et que mes cheveux s'assemblent en un chignon plus confortable. La caresse du jaune me surprend et je sursaute. Dans le miroir, ma nouvelle identité prend forme.


...

Lily.

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant