Sinueuse existence

Je suis une rivière. La vie s'écoule en moi, autour de moi. Je la sens frémir, vibrer, impatiente de s'exprimer, d'exploser, de rayonner.

Mon limon fertile draine mes impuretés, chassent les cailloux qui pourraient être obstacles à mon flux vital.

Je suis changeante, selon le temps, les saisons et mon humeur. Selon les reflets du soleil, je me fais joyeuse ou boudeuse. Il ne faut pas se fier à ma couleur terne, "brunasse", peu engageante.

Elle cache des trésors, des merveilles et des secrets bien enfouis. On peut apercevoir mon lit si l'on fait preuve de persévérance et de douceur. Sablonneux ou vaseux, selon que l'on me découvre en amont ou en aval.

Mais rien n'arrête ma course tumultueuse, ni les ponts, ni les constructions des hommes. Je nais petite, juste un filet, un ru descendant de hautes montagnes. Certains ont cherché mes origines, pourtant bien dissimulées et ont été fiers de les découvrir.

Je traverse des plaines, des montagnes, des villes, toujours indomptable. J'étais là avant les hommes et je serai probablement présente à leur chute, s'ils ne m'ont pas desséchée avant.

J'ai assisté à leur misère, à leur violence, portant sur mes épaules leurs frêles embarcations sentant la sueur, le sang et la souffrance. De temps à autre, je me révolte contre leur ignominie pour mieux leur montrer leur insignifiance dans ce monde.

Quelques grondements ou mouvements d'humeur les font chavirer par-dessus bord, et je les engloutis, vorace de leur orgueil.

Certains ont l'intelligence de me préserver voire d'organiser des festivités en mon honneur. Viles flatteries qui m'apaisent un temps, je suis si vieille et si lasse parfois.

Après tant de kilomètres parcourus, parfois, je m'autorise à de l'immobilisme, je lèche paresseusement les rives des ilots. Je me laisser bercer par le flux et le reflux des marées. Bientôt je retrouverai celui qui m'attend, qui va m'accueillir dans ses si vastes bras.

Il m'envoie des signes, pour m'attirer jusqu'à lui, me guider dans mes errements. Je sens son odeur, j'entends ses vagues et je me hâte. Notre union est un miracle de la vie, une réjouissance pour la vue. Nos flux s'entremêlent, lui si bleu, moi si sombre. Le sable m'accueille et je me fonds dans son immensité, bercée par le magnétisme lunaire.

Mon voyage n'est pas fini, il ne fait que se transformer et s'élargir vers des horizons plus vastes.