Chapitre 8 - Maltraitance & malheur

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Le jour où Gia et Azalaïs avaient franchi la porte du Merlan-Coquillé, le ciel s'était assombri de nuages sinistres et le tonnerre grondait sans répit. Le navire marchand qu'elles avaient emprunté avait failli sombrer mainte fois, mais la chance, ou bien les Dieux, était de leur côté, et elles avaient accosté en un seul morceau.

Deux jours s'étaient écoulés depuis leur arrivée et leurs maigres économies avaient fini par disparaître dans des vivres. Elles devaient renflouer leur bourse et trouver un lieu pour s'abriter un temps. Plusieurs lunes plus tard et faute de mieux, elles avaient choisi d'établir leur planque dans cette taverne.

L'hospitalité certaine de Guillermo n'était en réalité qu'une simple façade, une mascarade vile et odieuse pour profiter de la faiblesse de pauvres femmes en détresses. Azalaïs et lui en vinrent aux mains à plusieurs reprises, le plus souvent à cause de la manière dont il traitait son amie. Afin d'éviter un bain de sang et la perte de sa meilleure fille de joie, la jeune femme et le tavernier conclurent un accord tacite. Il laisserait tranquille Gia tant qu'elle lui ramènerait de l'or. Un traitement de faveur convoité par les autres filles.

Azalaïs se débattait contre la douleur et la pression du pied de Guillermo sur sa gorge. Elle vit Paca de l'autre côté de la porte, un sourire aussi large que son tour de taille. La grosse dame prenait un malin plaisir à la voir souffrir et la jeune femme devina dans l'instant que c'était elle qui avait prévenu son patron.

Sans qu'elle ne puisse l'expliquer, la pression se relâcha d'un coup. Guillermo sortit de son champ de vision, et elle prit une grande bouffée d'air libératrice. Le temps de se relever, Paca avait disparu et un bruit sourd avait retentit derrière elle. Azalaïs se retourna d'un pas vif et vit Gia au sol. Elle ne bougeait plus et un mince filet de sang coulait le long de sa tempe.

Son amie avait dû essayer de la défendre et en avait subi les conséquences. Folle de rage, Azalaïs se jetta sur Guillermo, le plaquant par la taille. Ils s'écrasèrent contre une commode et la jeune femme lui donna de multiples coup de poing dans l'abdomen. Le chauve la repoussa d'un revers de main et elle s'écrasa contre une table de nuit. Aveuglée par la colère et incapable de réfléchir à ses mouvements, Azalaïs perdit toute maîtrise de soi et son combat contre Guillermo. Il en profita pour la maintenir à terre, la menaçant de son épée et l'écrasant de son pied.

– J'aurais dû faire ça depuis longtemps, très longtemps ! Je savais bien que c'était une mauvaise idée de vous prendre toi et ta pouffiasse de copine ! siffla-t-il.

Guillermo claqua des doigts et deux autres personnes armées de sabre firent leur entrée.

– Amenez-moi celle-là aux Sables, qu'on lui montre qui sont les hommes, ici.

Les Sables, un lieu peu agréable au nom simpliste. C'était surtout la prison personnelle de Guillermo, perdue au milieu de rien et entourée de sable brûlant. Pas d'abris pour se réfugier du soleil, ni d'eau pour se désaltérer. Seuls les barreaux d'une cage portative de la flotte Royale tenaient compagnie aux détenus. Guillermo l'avait dégotée sur une épave échouée au large de Tisomer et il s'en était servi pour donner des leçons aux filles récalcitrantes.

Guillermo et ses hommes, après l'avoir traînée de force à travers la petite île - calme et paisible - la jetèrent dans cette cage isolée, seule sans Gia. Elle n'avait personne à qui crier à l'aide et personne ne viendrait l'aider de toute manière. Par chance, le soleil était tombé derrière l'horizon et le sable perdait peu à peu de sa chaleur ardente.

– Qu'est-ce que tu lui as fait ? Sale ordure ! cria Azalaïs, d'une voix enrouée.

– Qui ? Ah, ton amie ? Elle est morte, pauvre sotte.

– Espèce d'enflure, c'est toi qui l'as tuée !

Le cœur de la jeune femme était endolorie par la rage et la désolation. La perte de son amie, son unique famille, lui fit hurler à s'en déchirer les poumons. Elle frappa de ses poings, jusqu'au sang, les barreaux solides et immobiles de la cage.

– C'est de ta faute si elle est morte, lui dit Guillermo. Elle a essayé de te défendre, v'là le résultat ! Allez, profite bien de ta nuit pour méditer sur ta situation.

Guillermo, impassible et victorieux, tourna le dos et les talons, laissant Azalaïs l'insulter de tous les noms. La jeune femme n'avait d'autre choix que de subir sa punition cruelle. Elle se recroquevilla sur le sable tiède et réfléchit à sa vengeance prochaine. Le deuil de son amie se ferait une fois la vie de Paca et de son patron réduite à néant.

Après une nuit agitée, c'était les premières lueurs du jour qui l'avait réveillée. La chaleur était déjà insoutenable et sa soif grandissante. Elle profita des fines ombres des barreaux pour se couvrir les yeux. Son plan d'évasion devait être impeccable et elle savait d'ores et déjà comment réduire en cendres le Merlan-Coquillé.

– Je t'ai amené de l'eau, lui dit une voix criarde.

Azalaïs se tourna vers son visiteur, qui s'avérait être Paca, l'autre serveuse. Cette dernière jeta un seau d'eau au pied de la cage, qui déversa la moitié de son contenu sur le sable. La jeune enfermée la releva en vitesse avant qu'elle ne se vide entièrement. Elle but. L'eau était saumâtre et tiède. Une fois terminée, elle rendit le seau et s'essuya la bouche.

– Je suis navrée Azalaïs, c'est pas contre toi, commença la grosse dame.

– Comment tu savais que je voulais partir ?

– Je savais pas... comme t'étais pas revenue hier, j'ai dit à Guillermo que tu t'étais enfuie. Il était fou de joie à l'idée de reprendre le contrôle de Gia. Bien évidemment, il a fallu que tu reviennes, alors je lui ai dit que tu allais repartir avec elle, avoua-t-elle d'un rire narquois. Ça, il a pas aimé, non. Mais pour dire vrai, je pensais pas que c'était réellement ton plan.

– Tu vas le regretter Paca ! Quand je sortirai d'ici, tu seras une femme morte !

– Oh... Je pense pas, Azalaïs. Tu es une dure à cuire, toi, avoua-t-elle. Et les durs à cuire ne sortent pas des Sables. Tu as déjà vu des gens comme toi en revenir ? Ne réfléchis pas, la réponse est non. Les gens comme toi meurent ici. Guillermo ne cherche que des filles dociles. Tu devrais le savoir. Tu auras vécu une belle vie tout de même, mais maintenant, c'est à mon tour de prendre ta place. Tu vois, si tu étais plus intelligente et moins impulsive, peut-être que-

Azalaïs lui cracha au visage, coupant son monologue acide.

– Je n'ai pas de conseils à recevoir d'une crevarde comme toi, Paca.

– Économise ta salive petite, tu en auras besoin, conclut-elle avant de partir.

Une fois de plus, Azalaïs se retrouva seule, sous un soleil de plomb. De longues heures s'écoulèrent avec difficulté. Elle pria tous les Dieux pour qu'une tempête s'abatte sur l'île. Mais les Dieux comme à leur habitude restèrent muets.

La peau endolorie par l'astre du jour, la jeune femme avait arrêté de compter le temps passé dans cette cage. Un sommeil partiel prit possession d'elle, pour qu'elle ne ressente plus la soif et ses brûlures, jusqu'à ce que des tintements métalliques et répétitifs viennent l'extirper de sa torpeur.

Guillermo venait de cogner les barreaux de sa prison avec son sabre. Comme si elle s'était éveillée d'une mauvaise nuit à cause d'un cauchemar, la jeune femme eut des sueurs froides. Les yeux de son odieux patron transpiraient l'excitation et l'envie. Il fit le tour de la cage, d'un pas pressé, tournant autour d'elle comme un prédateur en chasse. Le chauve lubrique s'humecta les lèvres à plusieurs reprises.

– Je pense qu'il est l'heure d'avoir une petite discussion gamine, dit-il, d'une voix obscène en débouclant sa ceinture.

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