Chapitre 6. Extrait de la caméra de la Salle du Jugement du 25 mai 2005.

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D'abord, il eut la sonnerie, stridente comme celle d'un collège pour marquer la fin des cours. Ensuite, les portes coupe-feu de la salle s'ouvrirent et l'extérieur dégueula une flopée d'hommes en bleu de travail, en salopette grise ou en uniforme noir. Leur entrée se fit plus disciplinée au fur et à mesure que les places de l'amphithéâtre se remplissaient. Les uniformes noirs étaient devant, venaient ensuite, les bleus de travail et enfin les salopettes grises.

Tout cela, dans un calme de mauvais augure. Les regards parlaient pour les spectateurs. S'ils avaient pu, ils auraient déjà écrasé et réduit en charpies le sujet qui allait leur être présentés aujourd'hui. Cependant, le Lumineux, magnanime, exigeait que soit jugé le Déviant avant de lui infliger quoique ce soit. Il fallait qu'il avoue sa faute et que la communauté lui pardonne, avant que le ciel ne le punisse par la main des hommes.

Il y eut trois coups comme au théâtre, bien qu'aucun d'entre eux ne puissent le savoir. Une petite porte s'ouvrit à gauche de l'estrade. Bien en ligne, une file de Cousines en tenues brunes trottina avec le zèle d'une colonne de fourmis en plein travail, jusqu'à ce qu'elles furent toutes entrées dans l'amphithéâtre. Elles se placèrent dans le fond de l'estrade, juste derrière le fauteuil noir de style Art déco. Une fois qu'elles furent en place, la régie commença à travailler les lumières.

Les lampes qui éclairaient les gradins baissèrent leur luminosité, jusqu'à plonger les spectateurs dans le noir comme au cinéma. Seule la petite enseigne verte « sortie de secours » scintillait comme la dernière étoile avant le matin. L'estrade était à présent la seule partie de la pièce à être éclairée.

Le silence se fit encore pesant encore dans l'attente de la dernière personne manquante à cette Assemblée. Il suintait de dévotion, d'hystérie contenue. Ils étaient tous tendus. Leurs yeux exorbités, leur bouche sèche tandis que la star attendait dans les coulisses que le signal de son entrée retentisse.

Les six coups résonnèrent enfin dans l'amphithéâtre. La pièce bruissa alors de murmures, du froissement des vêtements de tous ces hommes qui se levaient et s'inclinaient. Les lumières s'éteignirent et un projecteur se braqua sur la porte à la droite de l'estrade.

Elle s'ouvrit.

Les applaudissements patientèrent jusqu'à la dernière seconde, jusqu'à ce qu'un pied émerge de l'ombre.

Le Lumineux s'extrayait enfin des ténèbres sous les crépitements des acclamations. Il levait la main et son visage se plissa d'un sourire paternel. Il avançait doucement, se baignant dans l'adoration de ses fidèles, comme certains s'enduisent de lait de corps.

Ses yeux bruns, presque noirs les balayèrent et chaque spectateur, croyant que c'était à lui que s'adressait ce regard, s'inclinait plus bas et applaudissait plus fort. La lumière s'accrochait à ses mèches argentées. Il fit encore un geste de la main. Nouvelles acclamations. L'homme avait l'air gentil. Il possédait un visage de bonne pâte et des rides de rire qui s'ouvraient en éventail au coin de ses yeux.

Le projecteur suivit sa progression jusqu'au fauteuil sur l'estrade où il prit place. Il avait l'air d'un grand-père qui va raconter une histoire à ses petits-enfants avant qu'ils aillent se coucher.

Le Lumineux esquissa un geste pour tempérer toute cette agitation. Aussitôt, tous s'assirent et se turent. Le silence qui s'ensuivit fit presque aussi mal que le vacarme qui l'avait précédé. Une Cousine lui tendit respectueusement un micro. Ils étaient tous à nouveau suspendus aux lèvres de cet homme.
Il savoura le suspense qu'il faisait planer et enfin prononça ses premiers mots. Sa voix était onctueuse, douce comme du miel, envoutante... Un serpent devant un mulot. Il fallut du temps à certains pour se dégager de la torpeur dans laquelle la voix les avait plongés pour se concentrer sur le sens de ses mots.

Le Foyer [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant