Le vent frais du soir me caresse la peau. Le sable refroidi par la tombée de la nuit glisse sur mes pieds. Je regrette de ne pas avoir pris de veste, je vais attraper froid.
Le remous de l'eau est apaisant et repose enfin mes oreilles. « connasse ! » Je ferme les yeux pour essayer de faire taire ces voix. J'entends les rires des enfants à côté de moi, les discussions entre amoureux sur les terrasses, la musique trop forte qui raisonne d'une fête foraine. Je voudrais juste le silence. Pour une fois, rien que le silence. L'odeur des glaces et des churros est trop forte, elle m'empêche de lâcher prise. « Même pas capable d'élever tes gosses ! » Je sens une larme coulée sur ma joue. Ma main va rapidement l'essuyer. Je n'ai pas le droit de pleurer. Je dois rester forte. « Et toi, c'est bon t'as plus huit ans, arrête de chialer ! » Je renifle. J'aurais vraiment dû prendre ce pull, il fait de plus en plus froid. Je rouvre doucement les yeux. Il y a moins de monde aux terrasses que tout à l'heure. Combien de temps je suis restée comme ça ? Il faudrait que je rentre. Il ne sera pas content si je rentre trop tard. « Tu veux finir comme cette pouffiasse !? » Je me reconcentre sur les roulis de l'eau. Elle aussi a changé, elle est plus haute. Je peux apercevoir l'écume léchant doucement le sable mouillé puis disparaître, et recommencer. Les rires d'enfants autour de moi ont disparu. Ils sont plus gras maintenant, moins innocents, légèrement alcoolisés. Je souffle dans mes mains pour les réchauffer. « Tiens, sois plus utile que ta mère, va coucher le p'tit ! Et fait le taire c'est insupportable ! » Je referme les yeux. Gabriel. Je l'ai laissé seul. Je n'ai pas le droit. C'est si égoïste de ma part. Il fait de plus en plus froid. Comment est-ce possible ? Je ne ressens pas la chaleur des journées de juin, la douceur de ses nuits. Juste le froid. Mes dents se mettent à claquer. « Putain ! Y'a même plus de bière ! Où est ta salope de mère quand on a besoin d'elle ! » Les larmes recommencent à couler. J'ai l'air minable. Recroquevillée sur moi-même, les pieds dans le sable, mes mains se frottent l'une contre l'autre, mes dents claquent, mes yeux pleurent. Ma mère me dirait qu'il ne faut pas me comporter comme ça, ce n'est pas digne. Une jeune fille comme moi n'a pas à se plaindre. Je vais à l'école, mes parents ont de l'argent. Et puis, c'est tellement égocentrique. C'est normal qu'ils réagissent comme ça, je suis tellement égoïste. Des gens vivent des choses tellement pire, tellement plus grave. Il faut que j'arrête de ne penser qu'à moi.
Il fait de plus en plus froid. Mes mains vont frotter mes bras pour produire de la chaleur. Sous mes doigts, je sens des petites marques, des égratignures. Ma paume rencontre un bleu. La douleur se diffuse sur ma peau. Je grimace doucement. Il faut que je rentre. Ma conscience me crie de ne pas bouger, de rester là, sur cette plage, en sécurité. Mais il faut que je rentre. Gabriel a besoin de moi. Il rabat sa colère sur lui quand je ne suis pas là. Je me lève. Je force mon esprit à ne penser qu'au petit garçon. A son rire qui raisonne quand je le prends dans mes bras. Je dois me battre pour lui. Je refuse qu'il lui fasse du mal. Je rouvre les yeux. Je ne me préoccupe plus des rires gras, des petits groupes d'amis qui parlent. Gabriel. Je ne pense plus qu'à lui. Je n'aurai pas du partir. Il lui a fait du mal. Je le sais. Je regrette tellement d'être partie. Il va lui faire subir ce qu'il me fait d'habitude. Je ne peux pas laisser faire ça. Je me mets à courir. Gabriel est si petit. Il ne peut pas lui faire ça ! J'aperçois la porte de la maison. Je souffle une dernière fois. Prête à l'affronter. Et j'ouvre la porte.
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Voilà, c'est une petite nouvelle de 694 mots... J'espère qu'elle vous a plu :)