XII

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Des rires claires et des cris d'enfants ont résonné hauts toute la soirée dans nos coeurs et dans la légère brise du soir. J'ai entendu milles histoires de trésor, de la Tribu et de pirates que se partageaient mes deux amis, yeux avivés par l'excitation ou par la flamme du feu de joie, le sourire aux oreilles dévoilant des dents trop blanches, tâches de sons éclatantes sur un nez retroussé. 

Nous avons longuement parlé, mêlant nos étranges voix qui semblaient déranger la paisible nuit, le regard plongé dans des constellations que je ne connaissais pas. On m'apprenait à en reconnaitre quelques-unes, comme celle du Grand Arcan qui s'élevait au-dessus du plus haut pic de l'île. Deux lunes éclairaient d'une lueur opale nos visages et nimbaient de bleu les toiles qui formaient le camp. Jamais la vie m'avait semblé plus belle.

Au petit matin, je me suis éveillée enveloppée dans une couverture douce, aux côtés de Peter, dans la chambre de Lily. Le tapis qui nous a servi de matelas est aussi confortable qu'une pile de coussins et je me surprends de ne sentir aucun mal de crâne, malgré la fatigue qui écrase mes paupières. Peter pousse un grognement en me sentant m'agiter et sortir du lit pour revêtir les habits d'hier, miraculeusement propres. Je regarde le visage du garçon se plisser avant qu'il se retourne pour gagner de précieuses minutes de sommeil. Je suis trop excitée pour dormir encore. 

Lily a déserté la tente, et je ne sais m'y retrouver sans elle mais je décide tout de même de m'éloigner un peu, me dégourdir les jambes et observer l'île au petit matin. Je retourne près des falaises, et m'assied dans l'herbe au-dessus du précipice, oubliant mon vertige. Je n'ai pas vérifié si je pouvais encore voler mais à sentir le poids de mon corps, je suppose que la poussière de fée a cessé de faire ses miracles. Pourtant, je n'ai aucune peur de tomber, et j'ai l'étrange sentiment que la mort n'est rien, qu'elle ne m'atteindra jamais. Une envie irrésistible de plonger me prend la gorge mais je m'en distrais vite. En contrebas, les vagues scintillent en reflétant le soleil à peine levé et les rochers arborent une robe orangée. Le bruissement de l'eau, si lointain, berce d'une voix rauque mon corps tout entier et ma tête dodeline lentement. Le vent sur mon visage, frais et doux, est le dernier obstacle me séparant de la torpeur matinale, sous le charme de laquelle le camp indien parait rester. Je laisse mes jambes se balancer dans le vide et mon regard se perdre sur l'océan si bleu. 

Soudainement, un reflet sombre noircit le paysage si lumineux. Au loin, une voile semble s'agiter. 

Je plisse les yeux mais le mirage a déjà disparu ; je maudis ma courte de nuit et mes somnolences et me relève immédiatement pour rejoindre le camp, où m'attend une belle jeune fille aux cheveux noirs tressés et aux yeux pétillants. Entre ses mains, elle tient un récipient de bois, dont le contenu fumant amène à mes narines une délicieuse odeur fruitée. Elle me tend le verre en riant.

- Oui, je sais, ma tête du matin ne me met vraiment pas en valeur, je marmonne mais elle me contredit vite.

- Ce n'est pas ça mais les peintures d'hier n'ont pas été lavée. On dirait mille coups de soleil sur ton visage si pâle, elle s'esclaffe et je commence à frotter frénétiquement d'une main les vestiges de mon personnage d'hier. 

Elle retient ma main, me fait signe de boire le breuvage avant de me promettre de m'emmener faire notre toilette. Je m'exécute en bougonnant, mais je suis bien trop heureuse pour que mon mécontentement soit sincère. Aussitôt, une douce fraicheur envahit mes membres engourdis et je me sens revivre. La fatigue est toujours présente, mais elle reste silencieuse et je me sens prête à attaquer une nouvelle journée sur l'île. J'ai de la peine à croire que je suis ici depuis moins d'une journée : tant de choses se sont passées.

Un peu plus tard dans la matinée, Peter nous rejoint enfin. Ses cheveux sont encore plus ébouriffé qu'hier et il ne cesse de se frotter les yeux, même après l'ingestion du breuvage de Lily. Il effectue quelques tours autour de nous, volant à quelques mètres du sol et j'essaie de l'imiter mais impossible de quitter la terre fraiche. 

- C'est parce que la poudre de fée a cessé son effet ! m'explique Peter. Quand nous retournerons au camp, nous t'en prendrons. Pas pratique d'être collée au sol. 

- Quand irons-nous ? je demande, une pointe d'anxiété pesant sur mon coeur.

- Probablement dans l'après-midi ! Nous ne pouvons pas demander aux Indiens de nous supporter trop longtemps !

En disant cela, il adresse à la belle Lily un clin d'oeil, qu'elle accueille avec un soupir exaspéré, mais un sourire au coin des lèvres. 

- Vous êtes les bienvenus, vous le savez. Et Peter, dans deux jours, n'oublie pas la réunion. Claire est la bienvenue, si elle souhaite en découvrir un peu plus sur la politique de l'île. 

Puis, en se tournant vers moi, elle continue : 

- Chaque lune, c'est-à-dire tous les 17 jours, nous avons un compte rendu des derniers événements de l'île. Ça nous permet d'éviter un maximum les conflits et d'unir nos forces en cas de besoin. 

- Comme pour combattre les pirates.

- Exactement. Ces choses sont essentielles pour la survie de nos peuples et de notre territoire. 

- Bon, je vais me dégourdir les ailes, annonce Peter en nous abandonnant sur terre.

Je le vois s'élancer vers le ciel, cet oiseau qui n'en est pas un vraiment, cet être malicieux qui s'est immiscé dans mes rêves et qui, à présent, détient la moitié de ma vie entre ses mains fines. 

Je me retourne vers Lily, qui arbore une mine contrariée. Ses jolis traits disparaissent sous un masque d'inquiétude et j'ai la soudaine envie de l'étreindre, d'effacer ces rides concernées sous des baisers légers et d'étouffer le monde à ses oreilles, afin qu'elle soit tranquille et que s'estompe les tracas qui abime son si beau visage. 

- Je ne comprends pas son insouciance... Cette histoire de pirates est trop particulière pour être ignorée, souffle-t-elle.

Je reporte mon regard sur l'océan, au-dessus duquel s'agite une petite tache aux reflets roux, et me souvient de l'ombre de toute à l'heure. Je ne répète rien à Lily, pour ne pas l'inquiéter davantage mais murmure :

- Je serai  tes yeux près de Peter. Je rapporterai ce qu'il pourrait te cacher, ou ce qu'il omettra. Je reviendrai te voir avec les informations dont tu as besoin.

D'un geste de tête, elle me remercie et sert ma main dans la sienne. Je sens le monde s'ouvrir en deux, comprenant que ma promesse vient de me déchirer. Une décision bien trop adulte pour une fille qui désespère  de rester à jamais enfant. 

Coucou !
Voici venu le temps de la séparation avec Lily ;-;
J'espère que ce petit chapitre vous a quand même plus et me réjouis de vous retrouver la semaine prochaine pour la suite des aventures de Claire sur l'Ile c:

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant