— Je ne sais pas, Audrey, soupira Maxence, le regard perdu quelque part entre un restaurant chinois délabré et un abribus désert.
Perché à la fenêtre de son vieil appartement du cinquième, il tentait de convaincre son ex qu'il n'avait aucune idée de ce qu'était devenue cette louche en argent offerte par tante Régine deux ans auparavant.
Celle-là, pensa-t-il, lassé, elle est tellement pingre qu'elle est probablement venue rechercher elle-même la vieille babiole dès qu'elle a eu vent de la séparation.
— Oui, c'est ça, si je la retrouve, je te tiens immédiatement informée, récita-t-il d'un ton monocorde. Et d'ailleurs, puisqu'on en parle, pourrais-tu...
Il maugréa. Elle avait déjà raccroché.
Après avoir explicitement dressé son majeur face à la vitre encrassée qui donnait sur l'artère principale de la petite ville de banlieue, le jeune homme baissa le store et s'allongea sur le lit défait.
Étendu sur le dos, les bras repliés sous la nuque, il laissa les pensées négatives affluer en lui et rumina sa frustration durant de longues minutes jusqu'à ce que la sonnerie de son téléphone retentisse à nouveau. Machinalement, il déverrouilla l'appareil d'un doigt et le porta à son oreille.
— Ma collection de Death Note, le manga que j'ai prêté à ton imbécile de frère, annonça-t-il d'emblée.
— Quoi ? fit la voix à l'autre bout du fil.
— Ramène-la moi, j'y tiens beaucoup et tu le sais.
— Max, c'est Julie ici, tu te trompes de personne.
Maxence se redressa promptement sur l'édredon.
Zut, quel idiot.
— Oh... Euh... P... Pardon, bégaya-t-il, je pensais que tu étais... Peu importe, pardon pour la méprise.
— Pas de souci, renchérit Julie. Je t'appelle concernant la jolie petite pierre que tu m'as confiée ce matin...
L'homme se releva, soudain fébrile.
— Je l'ai montrée à mon patron et je te confirme qu'il s'agit bien d'or. Extrêmement pur, d'ailleurs. Il m'a demandé d'où tu tenais une merveille pareille. Si cela t'intéresse, il t'en propose deux mille euros: c'est une excellente offre conforme au prix du marché.
— Ah bon, se contenta-t-il de répondre, interloqué.
— Oui, d'ailleurs, sa forme n'est évidemment pas naturelle et il s'agit là du travail d'un orfèvre, à n'en pas douter. Alors, insista-t-elle, d'où te vient cet objet ?
— Je le tiens de ma grand-mère, improvisa le jeune homme toujours sous l'effet de la surprise.
Qui donc pouvait bien avoir perdu un objet pareil au milieu d'une prairie à vaches ? se questionna-t-il en son for intérieur. Son amie Julie, comptable dans une grosse bijouterie, lui avait été d'un secours précieux. Précieux et lucratif !
— Et c'est OK, reprit-il. L'œuf est à lui pour ce prix, tu peux le lui dire.
— Très bien, je l'en informerai dès demain matin. Et au fait, ta grand-mère en possédait d'autres ? interrogea-t-elle.
Cette fois, ce fut Maxence qui mit fin abruptement à la conversation: trop de questions le taraudaient.
Et s'il y en avait d'autres ? se demanda-t-il alors qu'il clôturait l'appel. Et si celui qui l'a égaré en avait laissé tomber plusieurs ? Peut-être sont-ils cachés dans les herbes autour du gros chêne ?
"Malade. Je ne serai pas là demain. Désolé. A mercredi".
Le SMS envoyé à Michaël, son responsable au boulot, ne recevrait probablement une réponse que le lendemain, mais peu importait: il devait en avoir le cœur net et trouver ces autres petites merveilles avant que quelqu'un d'autre le fasse.
Deux mille euros, c'est très bien, mais s'il y en avait quelques uns de plus, alors là... Un sourire en coin se dessina sur son visage. Merci Mamy, songea-t-il ironiquement.
---
Il ne fallait surtout pas éveiller les soupçons de ses parents qui s'inquiéteraient de ne pas le savoir au travail. Aussi, ce matin-là, Maxence ne s'équipa pas au domicile familial. Il se contenta d'une vieille paire de baskets et d'un petit sac en coton qui lui servait en autre temps à acheter des fruits à l'épicerie marocaine en bas de chez lui.
Si tu savais, mon vieux Naïm, que je vais peut-être y mettre des œufs en or, dans ton sac, s'amusa-t-il en pensant au propriétaire de la petite échoppe.
Cette simple rêverie faisait rayonner en lui un enthousiasme qu'il n'avait plus ressenti depuis longtemps pour quoi que ce soit. Il se sentait comme un orpailleur participant seul, sans concurrence, à la plus incroyable ruée vers l'or de tous les temps.
Calmons-nous, il n'y aura de toute façon pas de quoi se payer une Rolls pour autant, se tempéra-t-il à regret.
Après une nuit agitée par des rêves de fortune, le jeune homme était de retour à l'emplacement de sa découverte de l'autre jour. Il lui sembla que le pré était moins fourni en champignons et il se surprit à craindre que l'un ou l'autre cueilleur lui ait ravi ses trésors. Sans perdre de temps et sous le regard curieux des bovidés, il se mit à quatre pattes parmi les herbes et commença à tâter le sol en écartant les touffes les plus fournies. Il fouilla ainsi méticuleusement chaque centimètre carré du terrain se situant de ce côté de l'arbre jusqu'à un vieux puits en ruine qui devait servir par le passé à fournir de l'eau aux bêtes. Celui-ci était recouvert d'une épaisse dalle de béton lézardée en son centre laissant entrevoir l'éclat glauque de l'eau stagnante.
Une heure de recherche et quelques déconvenues plus tard, son cœur fit un bond incontrôlé lorsque, à quelques mètres de l'emplacement d'origine, il repéra un objet aux reflets chatoyants. Un nouvel œuf, sensiblement identique au premier, était désormais en sa possession. Le jeune homme exultait : quel sentiment indescriptible !
A la fin de la journée, c'est sur pas moins de quatre nouveaux œufs que Maxence avait mis la main. Un butin de huit mille euros supplémentaires en quelque sorte. Quelle aubaine ! Face à tant de réussite, il se promit de revenir dès le lendemain afin de poursuivre ses recherches. Il en était maintenant sûr: la chance lui tendait les bras. Ce pré contenait peut-être finalement des dizaines d'œufs ! Tant pis pour Michaël et son travail de naze, il avait mieux à faire.
Va te faire foutre, Michaël.
Lorsqu'il revint le lendemain à l'aube, des projets plein la tête et les yeux bordés d'étoiles, Maxence ne la vit pas immédiatement. A moitié camouflée par le vieux chêne, une silhouette fluette était penchée sur le sol. La stupeur l'envahit soudain car ce n'est qu'à environ cinq mètres d'elle qu'il la remarqua, en même temps qu'elle tournait son regard vers lui.
C'était une vielle femme, les cheveux noués et dissimulés dans un foulard ocre. Elle était vêtue d'un de ces tabliers fleuris et bleutés qu'affectionnaient les vieilles personnes et qui servaient tant pour le ménage que pour la cuisine. Par-dessus, un fichu de laine la préservait de la fraîcheur matinale. Des yeux perçants et accusateurs dévisagèrent le jeune homme alors qu'elle se redressait avec peine. Le cœur de Maxence se mit à battre la chamade. Voici donc celle qui avait perdu les petits œufs d'or, c'était clair. Tout était foutu.
VOUS LISEZ
Le Pré Aux Oeufs d'Or
ContoDepuis son enfance, Maxence aime ramasser les champignons comestibles qui s'épanouissent dans les prairies jouxtant la maison de ses parents. Le fait qu'il soit maintenant adulte n'y a rien changé. Cette année, au bout d'un chemin de terre étouffé p...