Chapitre 33.2, L'union des rois

37 13 4
                                    

Tout était prêt désormais, et était venu le temps des noces. La salle du trône avait été aménagée pour l'occasion, peu de temps après l'arrivée des hommes des Carmines. Sibille se tenait au bout de l'allée, sublime dans sa robe sanglante, les épaules parées de spallières de cuir rouge qui venaient former deux croissants de lune, encadrant son visage. La Reine se tenait au bras de son père, le cœur alourdi par la peur – Alessandre et elle n'avaient plus eu de réelle discussion depuis qu'elle avait fait tuer la pute qui avait cru bon de coucher avec lui. Mais elle l'aimait. Et lui ne pouvait que l'aimer en retour.
Anemos lui lança un regard lourd de sens – il était temps de s'avancer vers l'autel, de prononcer ses vœux, de se promettre un amour éternel. Après une longue inspiration, revêtant son masque de glace, Sibille hocha la tête. Et se mit en marche.

De grands étendards portant les couleurs de la Rouge marquaient l'allée, guidant la Reine vers son avenir. Elle camoufla parfaitement ses angoisses tandis qu'elle avançait, des regards posés par centaines sur elle. Puis, arrivant auprès de l'estrade qui portait le trône, elle lâcha le bras de son père et fit face à Alessandre. Jamais elle ne l'avait vu si beau, sauf peut-être au soir de leur avènement. Elle fit un pas en avant, les yeux frémissants, hésitant à s'excuser. Mais les mots se bloquèrent dans sa bouche, sa langue sembla s'engourdir et ses lèvres refusèrent de s'ouvrir.

Et l'ombre de Mageia coulait encore le long des murs, vil serpent, sifflant ses moqueries à Sibille. Celle-ci ferma les yeux, s'excusant mentalement envers sa déesse dont elle se détachait.

Ne perds jamais de vue tes objectifs Sibille, ne te laisse pas aveugler.

Elle releva la tête vers la silhouette qui courait encore, ses sourcils se fronçant à peine. Puis elle regarda à nouveau Alessandre, les yeux pleins de promesses et de pardons muets, tandis que le prêtre sanglant débutait la cérémonie.

— Nous sommes réunis ici afin d'unir les âmes de ces deux enfants bénis. Sibille Asinis, Reine de Nokrov, Carmine, Grande Prêtresse de Mageia et Fille du Sang, et Alessandre Adiant, futur Roi consort de Nokrov, héritier de Talen et de Port-Mauer. Tous deux ont permis à Mageia de ramener sur le monde sa lumière sanglante. Loués soient-ils ! Louée soit Mageia !

L'assemblée frémit, clamant ces mots. Sibille fit alors un pas de plus, venant saisir les mains d'Alessandre. Elle lui adressa un maigre sourire, plein de mélancolies informulées.

— Pardonne-moi, lui murmura-t-elle. Je ne veux pas que nous soyons unis sous le signe de la colère et de la rancœur.

Une boule vint se former dans sa gorge, un pincement lui saisit le cœur, et elle continua pourtant, déglutissant difficilement tandis que le prêtre continuait.

— Je t'aime Alessandre.

Sa voix ne fut qu'un souffle – mais elle fut aussi la promesse d'un amour éternel. Des combats viendraient bientôt, des guerres, et il serait très vite envoyé au front – mais elle refusait qu'il combatte seul. Ils se battraient ensemble, contre ceux qui en voulaient à leur règne.

Les yeux de Sibille capturèrent ceux d'Alessandre, tentèrent de lire en eux, de les comprendre. Peu lui importait l'homélie du prêtre, seul comptait celui qu'elle aimait bien plus qu'elle ne s'en croyait capable. Et au regard qu'il posait sur elle ce jour-ci, brûlant du même amour qu'au premier jour, elle comprit qu'il pouvait la pardonner. Qu'il n'était pas trop tard pour se repentir. Qu'ils pourraient vivre tant leur amour que leur règne, ensemble.
La couronne sembla s'alléger à son front, le pouvoir à ses épaules. Elle laissa éclater un sourire, retenant ses larmes.

— Je t'aime Sib'.

Aucune autre parole n'aurait su la combler de bonheur plus que celles-ci. Il embrassa son front, d'un baiser chaud, ravivant son cœur meurtri, guérissant les cicatrices qu'elle avait creusées seule. Elle serra un peu plus ses mains dans les siennes.

— Que notre règne commence, prononça-t-il.
— Que notre règne commence, répondit-elle du bout des lèvres.

Vint alors le moment de prononcer les mots sacrés, le serment d'une vie. Un serment qui lui semblait plus important encore que celui fait à sa déesse. Celle-ci semblait hurler, s'offusquant de l'amour que la Carmine offrait au fils des griffons. L'ignorant, Sibille ouvrit l'une de ses paumes devant elle, à côté de celle d'Alessandre, et le prêtre les noua ensemble d'un ruban blanc. Prêtre à prononcer ses vœux, la Carmine ne put décrocher son regard de celui de son aimé. Il n'était rien – aucun tâche d'ombre – qui aurait su gâcher son bonheur.

— Que ce nœud soit à l'image de notre mariage, récita-t-elle. Fort, et indestructible. Qu'il nous lie à vie, ton cœur et le mien, pour ne plus faire qu'un. Ensemble nous avancerons, ensemble nous vivrons, ensemble nous vieillirons. Puisse la vie nous épargner les malheurs, puisse-t-elle être bonne. Puisse l'œil sanglant de Mageia se poser sur nous et nous bénir. Aujourd'hui, sous son regard carmin, je te voue ma vie. Je te jure fidélité et amour. Alessandre Adiant, au regard de Mageia, notre Reine Sang, moi, Sibille Asinis, je te fais mon époux.

A son tour, il prononça son serment et Sibille saisit le couteau que lui tendait le prêtre. Elle ouvrit alors leurs deux paumes, mêlant leurs sangs, laissant le carmin tacher le ruban immaculé. Le prêtre s'éloigna d'eux pour se tourner vers l'assemblée, annonçant que l'union avait été prononcée, bénie de Mageia. La foule enfla sous la joie, s'époumonant en félicitations. Sibille fit un pas de plus, celui la séparant de son époux, nouant un peu plus fort leurs mains ensanglantées, embrassant avec passion le griffon.

— Tu fais de moi la plus heureuse des femmes, souffla-t-elle tout contre ses lèvres.
— Ne les faisons pas attendre, susurra-t-il à son tour.

Son œil rieur faillit arracher à Sibille tant un rire que son masque, qu'elle tentait pourtant de garder intact contre ses traits. Mais son sourire la trahissait, ainsi que les regards qu'elle n'adressait qu'à Alessandre. Le désir grimpait en elle avec l'amour qui semblait prêt à l'étouffer. Elle caressa sa joue avec douceur, lui offrant l'affection qu'elle n'avait jamais donné à personne. L'impression d'avoir retrouvé la complicité de leurs débuts l'enchantait, la ramenait à une vie de simplicité, loin des jeux de pouvoir et des grandes messes rouges. Loin des sacrifices qui lui donnaient l'air d'un monstre, loin des terrifiantes créatures qui faisaient office de chiens de garde.

Tout cet amour lui avait manqué plus que de raison. Jamais elle n'avait aimé avant Alessandre, elle avait cru en les mots empoisonnés de Mageia. Tu es incapable d'aimer, Sibille, avait soufflé la Rouge. Puis le griffon était arrivé, ses sourires aussi aiguisés que ses mots, homme bien trop dangereux pour l'Élue promise aux Carmines. Il avait dégelé son cœur puis s'en était emparé sans peine – et, maintenant mariés, Sibille s'était fait la promesse qu'il passerait avant le reste. Avant sa couronne, son royaume, sa déesse.
Que tous brûlent, elle n'en avait cure – tant que lui restait près d'elle.

Sibille s'éloigna soudain de lui, se tournant vers la foule pour leur rappeler qui elle était – leur offrant son sourire de givre. Ils n'avaient cessé d'applaudir, d'acclamer le couple royal. Déjà un page approchait de l'estrade, et la Carmine le rejoignit d'un pas léger. Sur un couffin qu'il tenait entre ses mains, une couronne était posée. Sibille l'avait faite à l'image de son aimé – un griffon aux ailes déployées, tout d'or fait.
Elle s'en empara doucement, sans un regard pour le jeune page, retournant auprès de son époux. Ses yeux de glace plongèrent à nouveau dans les siens, elle sentit le bonheur étouffer son être tout entier et ne put s'empêcher de sourire.

— Par ce mariage, je partage ma vie. Par ce mariage, je partage mes titres. Par ce mariage, je partage ma couronne. Alessandre de la maison Adiant, acceptes-tu le titre e Roi Consort ? Acceptes-tu les responsabilités amenées par ce titre ?

Plus doucement, adressé uniquement à son attention, elle reprit dans un murmure :

— Acceptes-tu que l'on règne ensemble, mon amour ?

Son cœur s'embrasa, de joie et d'excitation. Elle ne voulait que lui à ses côtés. Lui et lui seul. Peu importait la voix de Mageia qui sifflait en son esprit, lui répétant de se méfier. Elle n'avait jamais que cela – la mettre en garde contre tous. Contre elle-même également. Sibille était, de la Reine Sang, la propriété.
Son pantin. Et à cela, elle s'y refusait.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant