03 | Ça passe ou ça casse

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      Le mois de mai arrive avec des bonnes nouvelles. Hier, l'agence de casting a appelé pour s'entretenir avec Flick pour une troisième et dernière fois. Ils l'avaient convié, ici, au 43e étage de la Tour Nova de la ville.

      Ce matin, Flick a l'air d'un crapaud qu'on aurait tenté de maquiller. Il a un air minable: ses yeux sont pochés, il a du poil hirsute sur les joues et ses cheveux – quoique cela était à son habitude – étaient tout défaits. Il avait néanmoins choisi des vêtements propres pour l'occasion, dont une magnifique chemise blanche, et avait tenté, du mieux qu'il put, de combler ses heures de sommeil manquantes avec une boisson énergisante.

      La jambe droite de Flick s'emballe, tape au sol de façon frénétique afin de canaliser le stress du jeune adulte. Dans la salle d'attente, la majorité ont son âge, personne ne semble avoir plus de vingt-cinq ans. Personne sauf l'employé qui les appellent un par un, là-bas, derrière le bureau.

      Leur nombre s'amenuise au fil des heures. D'abord cinquante, ils sont désormais trente, puis quinze et enfin cinq. Il se dit qu'ils doivent y aller en ordre alphabétique. « Watson, Flick? » demande le type au bureau. Flick reprend contact avec la réalité, se lève et s'avance vers celui qui l'interpelle. On lui remet un calepin à signer et on lui désigne une porte tout au fond. Le jeune homme barbouille son nom au stylo et, sans un merci, quitte l'aire principale vers la fameuse porte.

      Ses jambes s'alourdissent. Son corps tout entier devient extrêmement pesant, comme si l'attraction terrestre avait soudainement doublée. Maladroit, son pied heurte le tapis qui menait à la salle des auditions et il trébuche, se sent plonger dans une toile qui n'avait pas encore eu le temps de sécher. Il n'a même pas le temps de se relever que la porte s'ouvre. C'est un grand bonhomme, qui devait avoir une tête de plus que lui. Avec un certain dédain, il demande: « Tout va bien? »

      Quelle magnifique première impression. Il tente de cacher son irritation, ça aurait mauvaise figure. Il plaque une main au sol, se gratte le cou et bafouille: « Oui oui, ça va... » Flick s'attend à ce que le juge lui donne un coup de pouce, mais ce jour ne vient pas. Il se relève donc par lui-même et essuie ses vêtements. Il inspecte ses fringues: sa chemise blanche est désormais parsemée de tâches boueuses, son pantalon est terreux. Il en a même un peu dans les cheveux. Ils n'avaient probablement pas lavé ce tapis depuis des mois. Le juge a un mouvement de reculons, il se range derrière la porte et l'ouvre afin de faire passer le candidat, sans contact.

      Flick passe le pas de la porte, il a l'air d'un ado qu'on aurait oublié au sous-sol pendant quelques jours. Devant lui, se tiennent désormais deux autres juges, assis: une dame blonde, questionnant du regard le jeune homme, ainsi qu'un homme bedonnant qui, contrairement à ses collègues, esquisse un sourire en voyant leur prochain candidat.

      Le grand type regagne sa place à côté des autres juges, alors que Flick demeure debout devant eux, tente d'adopter la posture qui optimiserait les chances d'un gosse aux capacités motrices déficientes d'être choisi par des juges implacables. « Diable, que s'est-il passé avec votre chemise? » demande la blonde. Flick a à peine le temps de prononcer une syllabe que le grand type le coupe: « Il était par terre quand j'ai ouvert. »

      Flick bouillonne de l'intérieur. Non, je n'étais pas par terre, juste comme ça, parce que ça me disait d'en faire ainsi. Il inspire profondément. Il a tant envie d'exploser, mais il perdrait encore plus de points aux yeux des juges, d'autant plus que la première impression se voulait désastreuse. Il inspire profondément. Calme-toi, bordel. La juge se présente, affirme qu'elle et son collègue de deux mètres de haut sont responsables du casting, alors que le type en surpoids est l'un des producteurs, en visite spéciale aujourd'hui.

VIRTUEL (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant