Chapitre 7. Sleepy Hollow

34 6 12
                                    

Mourir n'était pas dans les projets d'Hildegarde.

Assise sur le lit, la jeune femme fixait la porte de la salle de bain. Elle avait pesé les avantages et les inconvénients durant les longues heures du jour. Depuis l'épisode de la nuit, elle était parvenue à négocier un temps de repos avant la prochaine opération.

Le bois de la tête de lit lui meurtrissait toujours la colonne vertébrale. Elle était cette fois-ci parvenue à garder les yeux ouverts. La pendule de sa chambre indiquait une heure passée. Elle n'avait mangé que la madeleine du médecin et pourtant, elle n'avait pas faim. Elle avait l'estomac trop noué pour cela.

Prendre des risques n'était pas dans sa nature, survivre l'était en revanche. Se soumettre, vendre ses compétences et se murer dans le silence étaient-ils suffisants pour ne pas être tué ? La question l'avait obsédée durant des heures. Elle avait l'habitude d'abdiquer, de faire ployer sa volonté pour survivre. Cependant, cet endroit ne ressemblait à aucun autre et les lois ordinaires ne s'y appliquaient pas. Rien n'était prévisible et une résistance lui avait même permis une fois d'éviter les coups de l'intendante. Alors quoi ?

Si elle fuyait... Pour aller où ? Comment ? A pieds ? La campagne s'étendait à perte de vue, sans compter qu'il fallait déjà sortir de la forêt. Elle avait gravé dans sa mémoire ces immenses champs de colza vides, sans une ferme, ni habitation.

Le lit était encore trop confortable. Elle se sentait fondre dans le matelas... Si moelleux, comme une grosse guimauve... Et le sommeil... Elle frotta ses yeux comme si cela pouvait enlever la fatigue. Elle alla s'asseoir sur le plancher, puis finalement se laissa glisser entièrement sur le sol. Allongée, elle laissait son regard vagabonder au plafond. Ses doigts couraient sur le bois des lattes du parquet, suivant chaque rainure, chaque détail qui lui permettait de rester concentrée.

Cet endroit drainait son énergie. Sa poitrine se soulevait par à-coups au rythme lent de sa respiration. L'air sentait la poussière et le renfermé. Cela lui fit penser qu'elle n'avait pas mis un pied dehors depuis son arrivée. Et si elle sortait ? Sans rien dire à personne, juste se poser sur ce petit banc qu'elle apercevait de la fenêtre. Respirer à l'air libre, être pieds nus dans l'herbe... Elle était persuadée qu'ainsi, elle trouverait une solution, ou même le courage de partir d'ici. Elle se releva en s'appuyant sur ses mains et se dirigea doucement vers la porte sur la pointe des pieds. Atténué par le tapis, le plancher ne craqua pas sous ses pas et elle atteint dans un silence quasi-complet la sortie. Hildegarde entrebâilla le battant et glissa son visage dans l'embrasure. Sur ses gardes, elle s'attendait presque à voir surgir d'un coup l'intendante et sa veste de tailleur rouge. Ne voyant venir personne et doutant qu'une personne ait pu se planquer sous le tapis ou dans le vase chinois ventru qu'elle apercevait sur sa droite, elle trottina sans un bruit jusqu'à l'escalier.

Les marches immaculées défilaient sous ses pieds comme les touches d'un piano sous les doigts d'un joueur. La jeune femme se surprit à la compter. Plus que quinze, quatorze, treize... Quatre, trois, deux, une...

- Jensen ?

A l'annonce de son nom de famille, Hildegarde s'immobilisa sur la dernière marche de l'escalier et étouffa un juron. Elle n'avait encore rien fait de mal, elle n'avait rien à se reprocher. Elle pivota sur ses talons pour faire face à Regard-de-Serpent. Perchée sur ses talons aiguilles, Amane la toisait du sommet des escaliers. Son corps ondulant gracieusement, le drapé de son chemisier blanc épousant chacun de ses mouvements, elle descendait les marches dans sa direction. Elle ne souriait pas, mais les traits de son visage, habituellement crispés, semblaient presque plus détendus.

- Où allez-vous ? demanda-t-elle, ses longs doigts blancs courant sur la rambarde dorée.

Regard-de-serpent était à deux marches d'Hildegarde quand elle s'arrêta enfin. Déjà très grande, juché comme elle l'était sur ses escarpins et sur l'escalier, la jeune femme était presque obligée de se faire un torticolis pour lui rendre son regard.

Le Foyer [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant