Chapitre 35.1, Les âmes qui s'essoufflent

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FEURAN



L'édit avait été prononcé trois jours après le mariage, à peine les soleils s'élevant sur Nokrov. Les Seascannes appartenaient désormais à un seul homme, son nom flottait sur les bannières des pendus et une nouvelle maison gagnait désormais titre et noblesse. Feuran, de rien, était désormais Feuran Séitéir d'Áth Cliath, l'un des nombreux héritiers des Seascannes. Car pour eux, comme partout en Nokrov, pas de droit d'ainesses mais seulement de puissance.

Feuran s'en fichait. Il ne rêvait pas du pouvoir. Seulement de l'argent que son nouveau titre lui offrait. Il était fier comme un paon en avançant dans les couloirs du Donjon Blanc. Sa soeur ne le suivait pas aujourd'hui, occupée aux douces paroles de Virtus qui lui contait fleurette. Leur jeu pouvait continuer des heures. Bientôt ils rentreraient dans la région qui étaient leur et pourraient, enfin, s'offrir tout l'interdit de leur relation. Feuran en frémissait déjà. Il ne voulait que sa soeur, se fichait des regards charmeurs et du nombre de cons qu'il possédait. Les autres étaient des ombres, sans le feu brûlant de la sorcière.

C'était pourtant l'un d'entre elle qui attirait aujourd'hui le fils du Baron dans l'interdit. La femme au vautour lui avait donné rendez-vous le soir du banquet mais il ne s'était pas rendu à leur entretenue, la laissant dans le doute. Il refusait de se jeter dans la gueule d'un loup, préférant le rendre aussi docile qu'un chien qui ne risquait plus de le morde. Elle avait craqué et lui avait fait parvenir une missive remplie d'accusation.

Feuran s'était paré d'un sourire. S'il n'avait eu la curiosité, il aurait certainement laissé de côté cette femme dangereuse. Mais elle l'attirait, flamme sur le papillon qu'il devenait. Son odeur, faites des milles lueurs d'une menace, attisait le désir du noble.

Il avait laissé dans ses appartements un papier pour sa soeur, lui indiquant de ne pas le chercher. Puis il était sortie, vêtu comme à ses habitudes. Les capes noirs et les tenues d'espion n'étaient pas faites pour lui. Feuran aimait ce luxe dans lequel il se roulait et n'aurait, pour rien au monde, accepté de rompre avec ces habitudes. Qu'on le reconnaisse lui était bien égal. Son visage aurait tôt fait d'être connu dans tous Talumen et il l'espérait, par delà les frontières même des terres de Valen.

Le noble avait fait quelques recherches durant les jours précédents. La Fleur Rouge était un bordel dans lequel la patricie se retrouvait, le visage masqué et s'inventaient des vies. Le jeu était, semblait-il, bien trop amusant. Car tenter de connaître les identités offrait un panel de possibilité. Feuran avait levé les yeux au ciel, bien certain que la noblesse s'ennuyait pour en venir à s'inventer de tels jeux. Il avait pourtant suivi les mots de la dame au vautour. Alors que les soleils se couchaient seulement et que la nuit couvrait d'un manteau sombre Talumen, il était sorti du palais.

Le bordel n'était que trop facile à retrouver. Il affichait, en enseigne, une magnifique rose d'un rouge profond si le font noir. En lettre calligraphiée, le nom flottait comme l'étendard de la luxure dans une ville où, pendant presque deux semaines, des fidèles extrémistes avaient fait la chasse aux catins. Le naturel des nobles était revenu au galop. Ils avaient besoin de ragots et de lieux où oublier qu'au fond, ils n'étaient rien de plus que des hommes.

Feuran pénétra dans l'établissement. Comme un coq en pâte, bien trop habitué à ce genre de lieu, il héla la première catin qui passait prêt de lui. Avec ces cheveux chatons bouclés au fer, son loup noir cachant son regard et recouvrant le haut de son nez en trompette, elle était bien belle. Plus encore à la vue de sa gorge mise en avant par un corset de dentelle rouge. Elle lui sourit, dévoilant des dents blanches qui ne pouvaient qu'appartenir à une noble. La Haute était ici. La Haute aimait les masques. Ils s'étaient cachés derrière Mageia, se cachaient aujourd'hui derrière la luxure comme derrière chaque Déesse qui pouvaient les sortir de leur ennui. Sans autre allégeance que les airs grandioses de la surprise et de l'inconnu.

— Je cherche Ipomée.
— Tu es l'Etranger qu'elle attendait n'est-ce pas ? La liseron violette est à l'étage. Avec les autres.

Les yeux de Feuran s'écarquillèrent sur une question muette à laquelle elle ne répondit que par un sourire mutin. Elle lui montra l'escalier d'un geste éthéré puis s'éloigna.

Les doigts du noble glissèrent sur la balustrade, s'attardèrent sur le bois poli. A l'étage, à travers les portes ouvertes, il entendait déjà des gémissements. Ses pas le guidèrent alors que les cris l'appelaient. Ils ne murmuraient pas son prénom, ne chantaient pas son nom et pourtant il les sentait, les agrippait pour mieux se nourrir d'eux.

Elle était reconnaissable entre mille. Violette au milieu des corps pâles, petite corole d'une fleur délicate dont les pétales étaient déjà goûtées par milles lèvres. Sur chaque visages courraient la dentelle d'un loup ou d'un masque, de plumes et de dessins. Les dermes nus sentaient déjà la sueur alors que les gorges déployées grondaient de leur plaisir amoral.

Il ne s'approcha pas, jetant un regard dégouté aux corps entassés. Il avait mordu à pleines dents dans tous les fruits défendus. C'était amusé d'ébats interdits et délices coupables; N'aimait pourtant pas cette effusion de ce que les hommes faisaient de pire.

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant