04 | Foutons le camp d'ici

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      La chambre exiguë de Flick ressemble à la caverne d'Ali Baba: des vêtements gisent ça-et-là au sol, une panoplie de tasses de café à moitié remplies meublent son bureau et son passeport demeure introuvable. En l'espace de quelques minutes, une tornade sévit dans la petite pièce et le désordre qui régnait dans sa chambre depuis toujours n'est plus: tout ce qui était essentiel se trouvait désormais dans une grande valise et un sac à dos. Il avait même su trouver son passeport dans la poche de son pantalon. Il bondit d'un mur à l'autre pour vérifier qu'il n'a rien oublié. Enfin, il enfile le sac, attrape la valise et quitte sa chambre, croisant les doigts qu'il ne remette plus jamais les pieds ici.

      Dans l'aire commune, que se partagent le salon, la cuisine et la salle à manger, se trouvent la mère et le beau-père de Flick. Elle est assise à la table de la cuisine, lui est debout dans la cuisine, séparés par un comptoir central. Le coucher de soleil pénètre la cuisine de sa ravissante lumière dorée, ce qui contraste avec la sale gueule du beau-père qui porte un verre de whiskey à sa bouche. Sa mère est à ses côtés, jauge les deux hommes du regard, craignant une nouvelle confrontation. À la vue de son beau-fils, le bonhomme lance: « C'est ce soir que tu fous le camp? »

      Flick croise son regard, ne cille pas. L'aura amère du type a pour effet de soutirer tout l'optimisme que le jeune homme avait en une fraction de secondes. Il admet, en grinçant les dents: « Oui, et heureusement. » Le bonhomme s'avance, progresse lentement sur son fil de fer imaginaire, tente de garder son équilibre avec un verre plein à la main: « C'est une erreur ce que tu fais, garçon.

      - Bill, la mère s'immisce.

      - Non mais c'est vrai, ta sœur ne va pas bien. Et toi tu fous le camp. Ta mère et moi - il la désigne en brandissant sa rasade vers la mère - on bosse non seulement pour que tu aies un toit et de quoi manger, mais aussi pour que ta sœur puisse s'en sortir. Toi, pendant ce temps-là, tu te dégonfles. Tu le sais que tu gagneras pas en plus, t'es pas un détective.

      - Et toi tu sais pertinemment que maman et toi n'auront jamais assez d'argent pour sauver Jana. Vous vous êtes inventé ce mensonge pour mieux avaler la pilule, pour vous déculpabiliser.

      - Flick! Comment oses-tu dire ça?

      - C'est la vérité maman! Faites le calcul, ça vous prendrait au moins une année de travail à deux pour couvrir les frais de Jana. Elle va s'éteindre dans quelques semaines si elle n'a pas ses médocs. »

      Elle penche la tête, la réalité est trop dure. Se met à sangloter. Le beau-père s'approche, titube quelque peu pour enfin être nez-à-nez avec son beau-fils. Il hoche la tête: « Tu as raison, il ne lui reste pas... *hoquet* ...pas beaucoup de temps. Mais toi, tu décides de te pousser? Tu devrais être avec elle, pas à New York en train de jouer à un stupide jeu. »

      Le jeune adulte pose ses choses et se rapproche de son interlocuteur: « T'es qui pour parler, hein? Tu l'as visité quand ta belle-fille? Est-ce que tu savais qu'elle était à l'hôpital ou l'alcool te l'a fait oublier ça aussi?

      - Ça suffit, » s'impatiente la mère. Flick tape son index contre le torse de Bill. « Et ce stupide jeu dont tu parles, c'est peut-être ce qui va la sauver. » Ce à quoi le beau-père réplique: « Peu importe. Quand tu vas être de retour, ta sœur va déjà être morte. »

      Moment de silence. Satisfait du résultat, il renchérit: « Et ce sera ta faute. »

      Flick n'en peut plus, il bouillonne de l'intérieur. Il repousse son beau-père d'une main, prend la sage décision de fuir un combat qu'il ne sait gagner avant d'exploser. Son geste de la main fait renverser près de la moitié de son précieux élixir, ce qui pique le bonhomme. Le beau-père réplique en lui assénant un solide coup de poing, ce qui projette le gamin au sol, quelques mètres plus loin. « ASSEZ! » hurle la mère en se levant abruptement. À cela, le beau-père s'immobilise et, après quelques secondes de réflexion d'ivrogne, décide de se rétracter et retourne derrière l'îlot de la cuisine, pour remplir son verre de l'équivalent qui en était tombé.

      Le jeune homme, lui, crache une masse rougeâtre au sol en s'essuyant le bout de la lèvre, tranchée par l'une des bagues que portait Bill. Il se relève et croise le regard de sa mère, qui ne sait comment réagir. L'homme qu'elle avait épousé ne lui permettrait pas d'aller enlacer son fils et l'emmener avec elle à la salle de bain pour essuyer sa bouche. Il ne tolèrerait pas un tel acte de trahison. Son fils n'avait plus dix ans de toute façon.

      Sa mère est coincée. Ne sait pas si elle devrait accourir à son fils et risquer les représailles de son mari ou ne pas intervenir et blesser son garçon.

      Elle fige.

      Flick saisit ses choses et lui lance: « Fais-moi plaisir, une fois que j'aurai le million, jette cet abruti dehors. » Sa mère ne bouge pas, continue de fixer l'enfant qu'elle a jadis porté avec un regard de biche égarée. Elle se tourne enfin vers le beau-père, qui ne se soucie même plus de la scène. Elle prend son courage à deux mains et se jette sur son fils, l'entoure de ses bras réconfortants le temps d'un instant.

      Quelques secondes après avoir relâché son étreinte, le fils passe la porte, avant de faire un doigt d'honneur à son beau-père. Il dévale l'escalier qui connecte les petits appartements de l'immeuble et à sa grande réjouissance voit un taxi dehors. Il embarque, remercie le Ciel qu'il fasse assez noir pour qu'on ait pas à passer de commentaires sur sa tronche qui passe lentement du rouge sang au bleu violacé.

      Le taxi démarre, prend la direction de l'avenue principale. Flick repense à ce qu'il vient de se passer et se jure qu'il n'abandonnerait pas Jana avant d'avoir tout donné. Ce n'est certainement pas son alcoolo de beau-père qui lui en empêcherait. Le chauffeur brise le silence: « Vous allez où déjà?

      - À l'aéroport, » ordonne-t-il en se massant la mâchoire.

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VIRTUEL (en pause)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant