Le ponton de bois

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Il se réveilla de mauvaise humeur ce matin-là. Un peu comme tous les matins. Il avait mal au crâne à force de faire des cauchemars. Tout ce qu'il désirait, au fond, s'était disparaître. Il espérait que partir lui offrirait un peu de répit, même s'il se doutait que cela ne changerait en rien son esprit qu'il disait malade. La vérité, c'était qu'il portait bien plus que son propre poids. Et parfois, il se disait qu'il lui fallait juste faire un pas. Un pas dans le vide. Un pas après le ponton, perdu dans les bois. Bien décidé à réussir cette fois, il s'habilla. Légèrement, malgré la saison froide. La neige avait recouvert le sol d'un doux manteau. Il pressa le pas et sortit à la hâte, oubliant de fermer sa porte à clé. Au fond, il s'en fichait, même si ses colocs allaient être furieux. Il soupira en sentant le vent glacial se faufiler sous la simple chemise qu'il avait enfilé. Il se dépêcha d'atteindre les bois, qui était à dix minutes à peine de son immeuble. Il fit exprès de ne pas suivre le chemin principal. Il pourrait faire croire qu'il s'était perdu. C'était ce qu'il avait pensé. En observant l'épais tapis de poudre blanche, il priait qu'elle le recouvre quand il aurait atteint le lac. Ses baskets s'enfonçaient sans hâte.

Il prenait son temps, regardant attentivement la cime des arbres. Il trouvait tout ce qui l'entourait si doux et si beau. Pourquoi n'avait-il pas ce sentiment en se regardant dans la glace ? Il ferma les yeux et tourna sur lui-même, laissant le vent d'hiver passé sous sa chemise et venir refroidir son corps plus qu'il ne l'était déjà. La tête avait beau lui tourner, il ne cessa pas, jusqu'à ce qu'il perde l'équilibre et s'étale par terre, la neige amortissant sa chute. Il avait envie de vomir, parce qu'il avait été trop longtemps à tourner. Maintenant, tout ce qui était autour de lui dansait une valse sans fin. Il sentait son ventre se tordre, parce qu'il souffrait, mais il ne fit rien pour arranger son état. Il se releva et tituba jusqu'à un arbre. Une fois un peu stabilisé, il alla jusqu'au petit lac, où il contempla un long instant le ponton, qui avait l'air de l'attendre, sage et rassurant. Il s'aventura sur celui-ci, les rondins crissants, gelés. Il failli tomber à plusieurs reprises, mais le lac ne semblait pas vouloir de lui. Il s'assit au bout, juste au bord, laissant ses pieds frôler la surface lisse de l'eau. D'un côté, il mourrait d'envie de se jeter dans cette eau sombre et froide, pour ne plus penser ni réfléchir, mais de l'autre, il espérait pouvoir surmonter cette haine en lui qui pourrissait. Il posa ses mains de chaque côté de son corps et observa les alentours. C'est là que pour la seconde fois, il la vit.

Elle était sur la rive opposée, à sa droite. Elle aussi, était vêtue légèrement. Un simple jean avec un t-shirt noir. Elle semblait dans sa bulle, perdue. Elle écoutait de la musique. Enfin, il le déduisait, au fil blanc qui reliait son téléphone à ses oreilles. Ses cheveux courts était parsemés de flocons. Tient, il n'avait même pas remarqué que la neige avait recommencé à tomber. Il sourit dans le vide, voyant la jeune fille esquisser quelques pas de danses maladroits. Elle failli glisser dans l'eau et fit un bond sur le côté pour s'éloigner. Elle avait perdu ses écouteurs, tant ses mouvements avaient été brusques. Il l'avait vu poser sa main sur son cœur, certainement effrayée à l'idée de sombrer dans le lac. Il l'enviait. Il l'enviait d'avoir peur de la mort. Lui. Lui que ça n'effrayait pas tant que ça. Il était persuadé d'y trouver ce qu'il n'avait cessé de chercher depuis le début de sa courte vie. Il voulait simplement un peu de calme, être enfin apaisé. Il s'était levé et sans s'en rendre compte, ses pas le menaient à la rencontre de cette inconnue qui l'intriguait tant. Non pas qu'il l'eût trouvé jolie, car elle ne l'était pas. Mais il ne pouvait s'empêcher de se dire qu'en un sens, elle lui ressemblait. Il aurait aimé avoir le courage de prononcer quelques mots, ce jour-là, mais il avait eut trop peur, donc il était resté simplement caché non loin, à la regarder jeter des cailloux dans l'eau.

Elle s'était assise. Ses mains se posèrent sur un bâton, qu'elle lança. Mais il ne suivit pas le mouvement et partit en arrière. Comme fait exprès, il heurta l'arbre derrière lequel notre protagoniste était dissimulé. Sur un coup de tête, il prit le morceau de bois et s'approcha. Il lui tendit, les lèvres serrées, comme pour contraindre les mots de rester enfermés à jamais à l'intérieur. Elle avait sourit et l'avait prit. Sans rien dire non plus. Elle n'avait pas parut surprise, ni même apeuré qu'il soit sortit de nul part. Elle avait simplement reprit le bâton, pour essayer à nouveau de le balancer. Il alla loin cette fois, dans l'eau. Il flottait. Et ils le regardèrent flotter en silence. Il frotta ses mains, qui devenaient bleues à cause du froid. Elle tourna la tête et fixa ses doigts fins avec attention. Il s'arrêta, avant de faire des gestes au hasard, dans le vide. Les yeux de la jeune femme suivaient calmement ses mouvements. Il sourit puis se leva. Il dansa, au feeling, la mélodie résonnant dans sa tête. Ils avaient ensuite, d'un commun accord, toujours muet, décidés de se lever pour marcher le long du lac. Elle avait sauté sur les petits rochers plats qui entouraient la rive. Elle riait d'un rire sans son. Il avait presque succombé, souriant sincèrement pour la première fois depuis longtemps. Si ses colocs l'avaient vus, ils auraient sûrement dit qu'il était amoureux. C'était vrai, en un sens. Mais pas de cet amour que chacun pense. Il l'aimait oui, mais pour une raison bien plus triste. Au fur et à mesure qu'ils avaient marchés dans la neige, il avait remarqué qu'elle ne tremblait même pas. Elle n'avait pas froid. Elle n'avait pas froid, parce que pour une fois, elle n'était pas la seule à se sentir seule. Seule au point de s'être éloignée loin dans les bois. Bien plus loin que sa famille, qui, elle s'en doutait, la cherchait. Mais elle n'en dit rien. Elle était bien là, avec cet inconnu dont la détresse lui rappelait la sienne.

Elle avait trop réfléchi, et se méfiant moins, avait dérapé sur une pierre plate. Ce qui l'avait envoyée directement dans l'eau. L'eau glacée qui la faisait maintenant frissonnée. Elle voulait qu'il la laisse, qu'il la laisse plonger tout au fond du lac. Qu'il la laisse partir. Elle sentit l'espoir venir se faufiler dans son cœur, en sentant une main agrippée son poignet. Des doigts fins s'enfoncèrent dans ses côtes, et elle fût soulevée et sortit de l'eau. Elle resta au bord de la conscience un moment, avant d'ouvrir les yeux. Elle fut surprise mais pas déçu, quand elle vit qu'il était partit. C'était bien plus que ce qu'elle avait espéré de toute son existence. Elle avait compté pour lui. Histoire d'un instant peut-être, mais c'était déjà ça. Elle n'avait pas été invisible. Il avait su voir son mal-être.
Ses cheveux courts commençaient déjà à se transformer en glaçons. Elle entendit alors des voix. Des voix qui venaient dans sa direction. Elle reconnu la voix fluette de sa sœur, et celle, grave, de son père. Elle se redressa et voulu les appeler, mais ses cordes vocales la firent souffrir le martyr. Elle se leva difficilement et alors qu'elle voulait s'approcher, deux bras l'en empêchèrent. Elle se retrouva contre cet inconnu, qui l'avait sauvé. Il resta silencieux, enroulant un plaid autour d'elle. Puis lui aussi entendit les voix.

Il paniqua et s'éloigna d'elle. Il ne lui lança aucun regard avant de disparaître entre les troncs. Elle avait rejoint sa famille, et lui, était retourné au ponton. Il était à la fois content et en colère. Content parce qu'il avait compris. Compris qu'elle était comme lui. Qu'elle aussi, voulait fuir quelque chose de bien plus grand, de bien plus fort qu'elle, mais qu'elle n'y parvenait pas. En colère, en colère parce qu'à cause d'elle, il avait compris qu'il était possible de survivre. Et il lui en voulait. Incompréhensiblement, il lui en voulait d'avoir survécu à sa chute. Il aurait préféré qu'elle meurt. Comme ça, il aurait pu prétendre l'avoir poussé, et peut-être alors, peut-être qu'il aurait eût le cran de sauter à son tour pour la rejoindre. Il frappait son crâne tout en réfléchissant. Quel idiot. Il avait même été lui chercher un plaid. Enfin, il l'avait prit dans la petite supérette, juste avant les bois, mais bon. Il avait fait quelque chose pour elle. Il battit furieusement des jambes avant de tendre l'une d'elles pour la tremper dans l'eau profonde du lac. Le froid le saisit mais il ne s'en préoccupait pas. Il faisait des cercles avec la pointe de son pied. Sans qu'il puisse l'expliquer, une grande tristesse l'envahit. Une larme coula, puis deux, puis il y en eut trop pour qu'il puisse les compter. Elles tachèrent sa chemise, que le givre faisait craqueler. Il resta longtemps assis là, au bout du ponton de bois, à pleurer. Il ne parvint pas à se calmer.

La mort dans l'âme, il prit le chemin du retour. Il était pris de spasmes incontrôlés tant il avait froid. À peine voulu-t-il ouvrir la porte, qu'un de ses colocataires lui ouvrit et le tira jusqu'à la salle de bain. Sans ménagement, le déshabilla et le jeta presque dans le bain. Son corps lui fit souffrir le martyr, l'eau brûlante venant réchauffer son être gelé. Si seulement cela pouvait réchauffer mon coeur de pierre, avait-il pensé. Ses colocataires n'avaient rien dit, ils paraissaient pourtant contrariés. Il avait mis un jogging et un t-shirt trop grand, qui ne devait pas être à lui, au vu du parfum dont il était imbibé. Il ne dit rien et se laissa sombrer dans un sommeil sans rêves ni cauchemars. Il pensa alors qu'il voulait que sa transe ne finisse pas.


Le Silence du ParcOù les histoires vivent. Découvrez maintenant