Chapitre I

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5 septembre

J'ai l'impression qu'il va se passer quelque chose d'horrible aujourd'hui.

Mais qu'est-ce que je raconte, pourquoi j'ai écrit ça ? Je n'ai aucune raison de m'inquiéter après tout... même si je viens de me réveiller avec une peur affreuse.

Il est 3 h 30 du matin. Je ne sais absolument pas d'où me vient cette peur... C'est sans doute le décalage horaire avec l'Australie qui m'a complètement bouleversée. Mais pourquoi je me sens si angoissée, et surtout, comme une étrangère ici ?

Tout a commencé avant-hier, en rentrant de l'aéroport avec mon frère Austin et ma tante, Alyssa. Je me sentais déjà toute bizarre, et quand la voiture s'est engagée dans notre rue, j'étais sûre que papa et maman nous attendaient à la maison, qu'ils étaient sur le perron, ou dans le salon, à nous guetter.

Même après avoir découvert le perron désert, je suis restée convaincue qu'ils étaient là. J'ai couru à la porte et frappé jusqu'à ce que Alyssa l'ouvre. Je me suis précipitée dans l'entrée et tout ce que j'ai entendu, c'est le bruit sourd de la valise de Alyssa, derrière moi. « Enfin à la maison ! » a-t-elle soupiré. Alyssa s'est mise à rire alors que moi, je ne m'étais jamais sentie aussi mal. J'avais l'impression d'être une étrangère dans ma propre maison. C'était horrible.

L'expression "être à la maison" ne signifie plus rien pour moi, et le pire, c'est que je ne sais pas pourquoi. Je suis née ici, à Churchwood, et j'ai toujours habité dans cette maison. Tout est toujours à la même place. C'est bien mon lit, mon bureau, ma coiffeuse et pourtant, tous ces objets me sont étrangers.

J'étais trop crevée hier pour aller travailler à l'épicerie, et je n'avais envie de parler à personne.

Aujourd'hui, il faut que j'aille au boulot, peut-être que c'est ce qui m'angoisse, peut-être que ce sont les autres qui me font peur.

Shay Argent posa son crayon et relut la dernière ligne. Elle réalisa soudain que toute cette histoire était ridicule. Depuis quand, elle, Shay Argent, avait-elle peur de rencontrer des gens ? Ou quoi que ce soit, d'ailleurs ?

Elle se trouva un peu calmée une fois sa toilette achevée. Elle prit même un certain plaisir à passer en revue les vêtements achetés à Sydney. Son choix s'arrêta sur un débardeur bordeaux et un jean noir.

-Shay, qu'est-ce que tu fais ? Tu vas être en retard !

La voix, étouffée, montait de la cuisine.
Shay attrapa son sac et descendit. Dans la cuisine, Austin, son frère cadet, âgé de 16 ans, mangeait des céréales tandis que Alyssa faisait brûler une casserole. Celle-ci était toujours nerveuse. Elle avait un visage fin, de beaux traits et des cheveux souvent attachés à la va-vite.

- Bonjour tout le monde ! Désolée, j'ai pas le temps de déjeuner
- Mais Shay, tu ne peux pas partir sans avoir rien manger...
- J'achèterai un beignet en route.
- Mais...
- Et je sortirais sûrement après le boulot. Ne m'attendez pas pour dîner. Salut ! »
« Shay... »

Elle avait déjà fermé la porte. Sans écouter les protestations de Alyssa.
Dehors, elle s'arrêta net. Elle avait toujours la certitude que quelque chose d'horrible était sur le point de se produire. La rue était déserte. Les maisons avaient l'air vides, abandonnées. Shay se sentait observée.
Dans les branches du vieux cognassier, devant la maison, elle aperçut un corbeau posé tranquillement au milieu des feuilles jaunes. Elle n'en avait jamais vu d'aussi gros. Il avait un pelage noir aux reflets irisés ainsi qu'un bec acérés, et un œil noir étincelant. Il restait immobile, comme empaillé. Il l'observait, effectivement, d'un regard qui lui rappelait celui des garçons lorsque des filles portent un maillot de bain ou un chemisier transparent...

Elle lâcha son sac et ramassa un caillou.

-Dégage de là ! dit-elle d'une voix coléreuse et tremblante.

Elle lança son caillou. Des feuilles volèrent, mais le corbeau s'éleva sans que la pierre l'ait touché. Ses immenses ailes se déployèrent bruyamment. Il passa au-dessus de Shay, qui se baissa, paniquée. Ses cheveux bruns se soulevèrent sous l'effet du mouvement. L'oiseau prit de l'altitude et s'éloigna avec un croassement en direction de la forêt.
Shay se redressa avec précaution, elle lança un coup d'œil autour d'elle, gênée à l'idée que quelqu'un ait pu la voir. Elle se rendit compte à quel point son geste défensif fut exagéré. Elle inspira.
Un peu plus loin dans la rue, une porte s'ouvrit et des enfants sortirent en souriant. Elle leur sourit, inspira une nouvelle fois profondément. Un grand soulagement l'envahit.
C'était le début d'une belle journée, rien de désagréable ne pouvait survenir.
Oubliant ce stupide corbeau, elle s'éloigna d'un pas vif.

Le corbeau se posa bruyamment au sommet d'un chêne, et Harry Gentilucci leva la tête. Son regard se concentra à nouveau sur le lapin inerte qu'il tenait dans les mains. Il regrettait d'avoir tué ce lapin, malgré sa faim tenace. Il ne savait pas jusqu'où il était capable d'aller pour combler sa faim. Finalement, il était soulagé de n'avoir tué qu'un lapin.

Les minces rayons de soleil qui filtraient jusqu'à lui faisaient briller ses boucles brunes. Harry ressemblait à n'importe quel jeune adulte : il était simplement vêtu d'un jean et d'un tee-shirt. Mais la réalité était bien différente : c'était un prédateur venu se nourrir dans la forêt, à l'abri des regards. À présent, il se léchait les lèvres pour effacer toute trace de sang. Avoir l'air d'un citoyen banal était un projet audacieux, il ne fallait pas qu'il éveille trop de soupçons... Pendant un instant, il sentit le découragement le gagner. Il ferait mieux de retourner se cacher en Italie. C'était une idée stupide de vouloir vivre dans ce monde ! Mais il en avait assez d'être seul.

Il s'était finalement décidé pour Churchwood, en Virginie. Il s'était dit que les habitants devaient y respecter les choses du passé : pour cette raison, il serait capable de les aimer et peut-être même de se faire une place parmi eux. Il savait pourtant que cet espoir était mince, il n'avait jamais été totalement accepté. À cette pensée, un sourire amer incurva ses lèvres. Il n'existait aucun endroit où il pourrait être lui-même, du moins, dans ce monde... Mais il avait définitivement renoncer à son côté obscur. Il avait pris un nouveau départ.

Harry réalisa soudain qu'il tenait toujours le lapin dans ses mains et le posa délicatement sur un lit de feuilles. Jetant sa veste par-dessus l'épaule, il remarqua que le corbeau, toujours perché dans le chêne, semblait l'observer, ce qu'il trouva bizarre. Il s'apprêtait à examiner l'esprit de l'oiseau, mais il changea d'avis aussitôt, se souvenant de la promesse qu'il s'était faite de n'utiliser ses pouvoirs qu'en cas de nécessité absolue.
S'il rencontrait l'oiseau une nouvelle fois, il fouillerait son esprit.

Predator. [H.S]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant