Dans les ténèbres

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CHAPITRE 13 – Dans les ténèbres

La première impression de Raoul fut affreuse. Une nuit sans étoiles, lourde, implacable, faite de brume épaisse, une nuit immobile pesait sur le lac invisible et sur les falaises indistinctes. Ses yeux ne lui servaient pas plus que des yeux d'aveugle. Ses oreilles n'entendaient que le silence. Le bruit des cascades ne résonnait plus : le lac les avait absorbées. Et, dans ce gouffre insondable, il fallait voir, entendre, se diriger, et atteindre le but.

Les vannes ? Pas une seconde il n'y avait songé réellement. C'eût été de la folie de jouer au jeu mortel de les chercher. Non, son objectif, c'était de rejoindre les deux bandits. Or, ils se cachaient. Redoutant sans doute une attaque directe contre un adversaire tel que lui, ils se tenaient prudemment dans l'ombre, armés de fusils et tous leurs sens aux aguets. Où les trouver ?

Sur le rebord supérieur de la plage, l'eau glacée lui recouvrait la poitrine et lui causait une telle souffrance qu'il ne considérait pas comme possible de nager jusqu'à l'écluse. D'ailleurs comment eût-il pu manœuvrer cette écluse, sans connaître l'emplacement du mécanisme ?

Il longea la falaise, en tâtonnant, gagna les marches submergées, et arriva au sentier qui s'accrochait à la paroi.

L'ascension était extrêmement pénible. Il l'interrompit tout à coup. Au loin, à travers la brume, une faible lumière brillait.

Où ? Impossible de le préciser. Était-ce sur le lac ? Au haut des falaises ? En tout cas cela venait d'en face, c'est-à-dire des environs du défilé, c'est-à-dire de l'endroit même d'où les bandits avaient tiré et où l'on pouvait supposer qu'ils campaient. Et cela ne pouvait pas être vu de la grotte, ce qui montrait leurs précautions et ce qui constituait une preuve de leur présence.

Raoul hésita. Devait-il suivre le chemin de terre, subir tous les détours des pics et des vallonnements, monter sur des roches, descendre dans des creux d'où il perdrait de vue la précieuse lumière ? C'est en songeant à Aurélie, emprisonnée au fond du terrifiant sépulcre de granit, qu'il prit sa décision. Vivement, il dégringola le sentier parcouru, et se jeta, d'un élan, à la nage.

Il crut qu'il allait suffoquer. La torture du froid lui paraissait intolérable. Bien que le trajet ne comportât pas plus de deux cents à deux cent cinquante mètres, il fut sur le point d'y renoncer, tellement cela semblait au-dessus des forces humaines. Mais la pensée d'Aurélie ne le quittait pas. Il la voyait sous la voûte impitoyable. L'eau poursuivait son œuvre féroce, que rien ne pouvait arrêter ni ralentir. Aurélie en percevait le chuchotement diabolique et sentait son souffle glacial. Quelle ignominie !

Il redoublait d'efforts. La lumière le guidait comme une étoile bienfaisante, et ses yeux la considéraient ardemment, comme s'il eût peur qu'elle ne s'évanouît subitement sous l'assaut formidable de toutes les puissances de l'obscurité. Mais d'autre part est-ce qu'elle n'annonçait pas que Guillaume et Jodot étaient à l'affût, et que, tournée et baissée vers le lac, elle leur servait à fouiller du regard la route par où l'attaque aurait pu se produire ?

En approchant, il éprouvait un certain bien-être, dû évidemment à l'activité de ses muscles. Il avançait à larges brassées silencieuses. L'étoile grandissait, doublée par le miroir du lac.

Il obliqua, hors du champ de clarté. Autant qu'il put en juger, le poste des bandits était établi en haut d'un promontoire qui empiétait sur l'entrée du défilé. Il se heurta à des récifs, puis rencontra une berge de petits galets où il aborda.

Au-dessus de sa tête, mais plutôt vers la gauche, des voix murmuraient.

Quelle distance le séparait de Jodot et de Guillaume ? Comment se présentait l'obstacle à franchir ? Muraille à pic ou pente accessible ? Aucun indice. Il fallait tenter l'escalade au hasard.

La Demoiselle aux yeux verts  (COMPLETE)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant