Ils disent qu'ici c'est pas chez moi,
alors en réponse je danse sous leur nez
en brandissant mon passeport français
Parce que j'ai un pied ici, un autre là-bas
Que ça leur plaise ou pas
Je fais du ski nautique sur le lac de mon identité
☆
La banlieue. Mes parents s'en sont échappés pour nous.
Pour nous laisser plus de chances de réussir. Parce qu'habiter dans une cité ça a des bons, mais surtout des mauvais côtés.
Alors on est toujours pas riches, certes, mais c'est pas pour toujours. Parce que vivre dans un immeuble de 15 étages avec les escaliers qui sentent la pisse ça ressemble plus à une malédiction qu'à autre chose.
Coincés, c'est comme ça qu'on s'est sentis avec Sofia après un mois et demi passé chez ma tante. C'était une banlieue française comme il y en a tant.
On voyait les clichés, certes. Il fallait faire attention quand on sortait, se faire discrets, s'habituer aux cris, aux sirènes de la police qui tournait sans arrêt, aux affrontements entre quartiers à la nuit tombée. S'habituer à trouver une voiture brûlée comme un chamallow sur le parking au petit matin, aux teneurs de murs qui fronçaient les sourcils quand tu traversais la rue, aux vendeurs d'herbe encapuchonnés dans les coins sombres. Ça, c'est tout ce qu'on voit dans les reportages à la noix d'enquête exclusive.
Mais la cité, c'était pas que ça. C'est comme une grande famille, en fait. Il y a la grand-mère chiante qu'on respecte quand même beaucoup parce qu'elle a du vécu et pas mal de courbatures, l'oncle qui gueule au téléphone quand il appelle le bled, le petit frère qui va jouer avec un caddie de supermarché sur le trottoir, le grand cousin qui s'amuse à cabrer avec son scoot' tout pourri, et la grande cousine voilée qui va en cours dans ses converses toutes usées. Noirs, blancs, arabes, tchétchènes, latinos et bien d'autres, tous y vivent ensemble et s'y côtoient avec respect.
Mais il faut pas oublier que tous ces gens-là, ils ont pas choisi d'être ici. S'ils pouvaient partir ailleurs, croyez-moi, ils le feraient.
Nos parents nous disaient souvent à quel point nous étions chanceux de vivre dans un environnement calme et ils nous racontaient leurs jeunesses avec plein d'anecdotes, parfois rigolotes, parfois tristes. Notre logement était un petit appart' dans une petite ville mi-urbaine mi-rurale. Il nous manquait une chambre alors les parents dormaient dans le salon, mais on y était bien.
« Si j'aime la France ? Mais est-ce que la France m'aime, monsieur ? »
L'autre jour Sofia est revenue de sa Journée Du Citoyen à la caserne. Moi, en petit gars fasciné par la guerre et les militaires, je lui avais demandé comment ça s'était passé.
Il allait pleuvoir ce soir-là. Je me souviens qu'avec Sofia on était assis dehors sur des bancs, l'un en face de l'autre, et qu'on parlait de tout et de rien.
Tout en papotant j'étais plongé dans mon téléphone, jouant à un jeu mobile abrutissant. Ma sœur quant à elle regardait le ciel gris se faire de plus en plus menaçant, la tête rejetée en arrière sur le dossier. Le parc était désert, on allait bientôt devoir rentrer à la maison.
Pour sa formation à la caserne elle était tombée dans un groupe assez comique, rempli de Yanis et de Walid. Ça l'avait amusé de se dire qu'elle finissait toujours comme ça, au milieu d'une bande de gens marrants auxquels elle pouvait s'identifier. Au lycée aussi c'était pareil, sa classe étant un regroupement de LV3 arabe, hébreu et portugais. Comparé à moi elle était coutumière de la diversité.
Bref, dans son groupe là-bas il y avait des gosses de cité, qui paraissaient mal élevés et qui avaient le chic pour provoquer tout et n'importe qui. Ça l'arrangeait un peu, m'avait-elle dit. Au moins leur talent pour la provocation était plus honnête que tous les faux-semblants et les bons sentiments des autres, et puis on rigolait bien avec eux.
— Est-ce que vous êtes fiers d'être Français ? Avait demandé le militaire en charge de la formation.
Oula, s'était-elle dit à ce moment-là. La question qui tue.
Moi si j'avais été là, j'aurais dit "non" sans hésiter. C'est d'ailleurs ce que fit l'un des trois Yanis, provoquant l'hilarité des autres. Seuls quelques blanc-becs taciturne ne rirent pas, va savoir pourquoi.
Si j'avais été présent, j'aurais dit "non" sans réfléchir, mais en vérité cette question se révélait plus complexe qu'il n'y paraissait. Est-ce que j'aimais la France ? Est-ce que je voyais des raisons d'être fier de mon pays de naissance ?
Mes ancêtres se sont fait massacrer par cette nation, puis ils se sont révoltés et ont réussi à retrouver cette fierté qui ne nous a pas quitté depuis. Bref je vais pas vous faire un exposé sur la Guerre d'Algérie mais disons qu'on a assez souffert pour que le ressentiment survive pendant plusieurs générations.
La France.
Mes grand-parents n'y sont pas allé parce que ça leur faisait plaisir. Ma gueule n'y est pas acceptée partout, malheureusement, même après deux générations de présence. Et les discours n'en sont pas moins piquants. Quand j'écoutais des gens comme Zemmour ou Finkielkraut, je me disais vraiment qu'il y avait des baffes qui se perdaient et ça me donnait envie de rester ici juste pour embêter les gens comme eux. Mais en même temps, aller vivre au bled me tentait assez, je vous avoue.
J'en avais parlé à Sofia, ce jour-là.
— Non, avait-elle dit. Aller vivre en Algérie, là demain ? Je pourrais pas.
— Bah pourquoi ? avais-je demandé.
Elle avais mis un petit moment à me répondre.
— C'est ici chez nous. On est né en France, on a grandi en France, on est allé à l'école en France, on parle français... Que ça plaise aux fachos ou pas. Aller vivre en Algérie c'est pas du tout pareil que d'y partir en vacances, tu sais. On parle pas bien arabe, on serait un peu perdus... Le niveau de vie ici est bien meilleur que là-bas, et pour faire ses études c'est beaucoup mieux.
Je grognais. La France c'était quand même un beau pays de racistes. Mais comme si ma sœur avait lu dans mes pensées, elle continua.
— Ils sont pas tous racistes, Mehdi, arrête de blâmer tout le monde. Et pour ceux qui le sont, tu crois pas que ça leur ferait grave plaisir qu'on s'en aille ? Moi j'te dis, la meilleure chose à faire c'est de leur prouver à tous qu'on est meilleurs qu'eux.
— Comment ça ?
— Travaille à l'école. Quand je serai médecin, que toi tu seras ingénieur, que Leïla sera magistrat, Amira architecte et Safia présidente de la République, alors on aura eu notre vengeance sur ces idiots.
Le silence s'installa. Un éclair stria le ciel, nous faisant sursauter. Un grondement fit vibrer les cumulus et le vent s'alourdit.
— Allez on rentre, dit ma sœur.
— Tu vas m'aider à faire mon devoir d'anglais ?
— Bien sûr, si tu veux.
On aura notre vengeance sur la vie, Mehdi. Il faut seulement y croire de toutes nos forces...
☆
« Jolie Marianne, j'préfère ne rien voir comme Hamadou et Mariam
Je t'invite à manger un bon mafé de chez ma tata
Je sais qu'un jour tu me déclareras ta flamme, aïe aïe aïe »
Black M, Je suis chez moi
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LE CHANT DU COU(s)COU(s)
Short Story- Papa, j'aime pas trop la France. C'est quand qu'on part au bled ? Parce que les enfants peuvent dire tout haut ce qui ne va pas autour d'eux, mais que personne ne les écoute jamais. | histoire basée sur des faits réels |