Chapitre 37.1, La Haine de son sang

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EITI



La lettre de Feuran, entre les doigts du Baron, avait une odeur de victoire. Sibille avait accepté leur alliance, les avait sacrés grand de ce monde. Comme une revanche au passé, Eiti caressa les mots plus longtemps qu'il ne l'aurait dû. Ses yeux se tournèrent vers l'extérieur, vers cette région qui était désormais, dans tout l'officiel de ces fonctions, la sienne. Il était suzerain, lui, le fils de rien, lui, le gamin de tanneur qui avait toujours rêvé d'avoir la place des sangs bleus.

Son sourire était celui d'un prédateur lorsqu'il descendit dans la cour. A chaque nouvelles marches enjambées, il imprimait un peu plus dans sa mémoire les mots de la reine. Il était seigneur. Le pendu, enfin, brillait. Il était chef de cette bande de pleutre, roi de ce monde marécageux qui l'avait vu naitre. Comme un pied de nez aux mots de son père, il régnait. Lui qui aurait dû s'incliner ne le ferait maintenant plus jamais. Et ceux qui, par malheur, refusaient de le faire, se retrouveraient face à la colère de leur nouvelle Majesté.

Il atteignit la cour, baignée de brouillard. Aujourd'hui, il ne pleuvait pas mais, comme toujours, les soleils peinaient à éblouir la pierre. Se trouvait là de nouveaux prisonniers, tenus d'une main de fer par les deux Lames qui les avaient attrapés. Dans le plus simple appareil, ils goutaient à la boue de la cour, les mains attachées derrière le dos.

En voyant Eiti arriver, les deux Lames inclinèrent poliment la tête. L'un d'eux, à l'épaisse moustache brune, donna un coup dans l'un des prisonniers, lui arrachant un glapissement de douleur.

— Dis lui s'que tu m'as dit taleur !

Les yeux verts du captif, rempli de larmes, se relevèrent jusqu'à Eiti, suppliants. Le Baron ne daigna pas même lui accorder une onde de compassion, croisant ses bras sur sa poitrine, le regard attentif.

— Des dragons. D'gros dragons, dans l'Sud. Une quinzaine, énorme, avec des piques et des griffes gigantesques. Viennent par ici ! Viennent nous faire payer d'nous être détourné des Sides. Elles les envoient parce qu'on prit les mauvais dieux ! Parce qu'on pratique la magie ! On aurait jamais dû, fallait pas. Elles vont nous punir.
— Il suffit.

Les mots du Baron ne calmèrent pas les yeux effrayés du prisonnier mais le firent taire immédiatement. Ainsi Nevenoe avait réussi à rapporter les créatures des Soeurs jusqu'aux Seascannes ? Le sourire sur les lèvres d'Eiti ne diminua pas, s'étirant sur ses dents. Elle attaquerait bientôt et, en parfaite idiote, viendrait empaler ses monstres sur les arbalètes d'Áth Cliath. Sa soeur n'était pas une stratège, pas même une guerrière intelligente. Elle n'était bonne qu'à fuir, encore et encore.

— Foutez les dans les geoles. Ils nous amuseront durant les prochaines chasses. Et réunissez nos hommes. Dans vingt minutes à la table du conseil.

Les prisonniers se mirent à gémir alors que le Baron détournait déjà les talons. Même s'il sous estimait Nevenoe, il devait convoquer les Lames. Si les dragons attaquaient, certain d'entre eux allaient mourir. Mais surtout, ils devaient être prêt à se défendre contre les reptiles aux crocs immenses. Les sorcières pourraient peut-être les aider, si Aaoda arrivait à les convaincre d'utiliser leur magie contre des créatures de feu et de nuit.

Il escalada les marches deux part deux, fondant jusqu'à ses appartements. Il la trouva à son bureau, le front plissé d'inquiétude. Elle fit disparaitre la lettre qu'elle tenait entre ses doigts à l'instant même où il pénétra les lieux et, sur la demande muette du Baron, répondit avec flegme :

— Des nouvelles de mon père à propos de ma soeur. Les affaires de ma famille ne te concernent pas.
— Je me fiche bien de ce que foutent les renards Aaoda. J'ai besoin de tes magiciennes. Nevenoe va lancer une attaque sous peu et je refuse qu'elle gagne la moindre bataille.
— Sorcière.

La voix de la praticienne tonna dans l'air alors qu'elle le reprenait, pour la dixième fois, sur le titre de ses soeurs. Il leva les yeux au ciel, se tendit d'un profond soupir avant de s'approcher d'elle. Ses doigts agrippèrent son menton, lui arrachant un grognement de mauvaise augure.

— Aaoda, va-t-on vraiment avoir cette discussion cent fois ? Que tes soeurs s'appellent sorcières, magiciennes ou je ne sais quoi d'autres, j'ai besoin de leur pouvoirs. On ne lutte contre la magie que par la magie alors vous allez m'aider n'est-ce pas ? Je ne vous paye pas à inutilement vous dorer la pilule ou écarter les cuisses n'est-ce pas ?
— Va te faire foutre Eiti.

La gifle partie sans somation, claquant contre la joue de la demoiselle avec fureur. Elle ouvrit les lèvres, stupéfaite. Ses doigts se teintèrent immédiatement de rouge, appelant les secrets du feu entre ses veines. Il y avait de la colère dans ses yeux, cette même rage plus ancienne encore que sa magie.

Il n'eut besoin que d'un regard pour la faire stopper ses agissements et lui rappeler le pacte qui les liait.

— Aaoda...
— T'es qu'un con, gronda-t-elle avant de se lever. Mais elles le feront d'accord ?
— Je préfère. Il n'en faut pas beaucoup pour que les chasses aux sorcières reviennent à la mode mon amour.

Elle grimaça, ivre de colère et sortit de la pièce en claquant la porte derrière elle. Eiti se contenta d'un énième soupire. L'attaque de Nevenoe ne tombait pas bien. Pas alors qu'il était de nouveau en froid avec sa sorcière, pas alors que la lumière brillait enfin. Il voulait profiter de son nom, profiter de son titre. Pas se battre avec sa bâtarde de soeur. L'avoir enfermé une fois ne suffisait-il donc pas ? Il la brulerait entièrement la prochaine fois. Attachée, bâillonnée. Sans lui laisser la moindre possibilité de s'enfuir.

Il sortie à son tour du bureau d'Aaoda et rejoint la salle du conseil où l'attendaient déjà les Lames. Tous savait parfaitement que leur chef n'acceptait que l'avance, pas même la ponctualité. Eiti était un dirigeant exigeant mais un responsable juste. Il offrait terre et puissance à ceux qui lui obéissaient. Mort et pestilence aux autres.

Il s'assit au bout de la table, la présidant de toute sa suffisance. Tous ici avaient le visage buriné par le combat et l'oeil vif du prédateur. Ils avaient gardé leur arme et sur leur poitrine, gravé dans le tissu, s'affichait fièrement le pendu d'Eiti, accompagné d'une épée à la lame écarlate. Ces hommes, fidèles mercenaires à la puissance connue jusqu'aux frontières des Seascannes. Ces mêmes hommes qui, aujourd'hui, lui apporteraient une nouvelle victoire.

— Mes amis. Les nouvelles sont graves. Comme Jeck et Ohm nous l'ont rapporté, des dragons s'apprêtent à faire marche sur Áth Cliath menés par une femme que vous ne connaissez que trop bien. On la surnomme la Flamme Rousse dans nos régions. Bon nombres d'entre vous savent qu'elle est plus mortelle que dangereuse et que nous partageons la moitié de notre sang. Elle n'a prit que la bêtise. Elle compte me faire tomber, enivrée par une vengeance idiote. Vous savez comme moi que nous lui avions proposé de nous rejoindre. Qu'elle nous a trahit pour toute réponse. Aujourd'hui, elle doit mourir. De mes mains. Quiconque osera lui arracher la vie avant moi le payera très cher. Mais quiconque me l'apportera sera grandement récompensés. Quant à ses dragons... Tuez les, gardez des morceaux comme preuve de votre supériorité. Montrez à tous que personne ne peut se mettre en travers de la route du pendu, pas même des créatures envoyées par ces salopes de Sides. Nous...

Il fut interrompu par la porte ouverte en grand fracas. Une gamine se tenait derrière, en sueur, les yeux arrondis par la peur. Ses mains, sur le bois, tremblaient. Sa bouche s'ouvrait et se refermait et Eiti eu juste le temps de voir le sang qui maculait le lin de sa chemise et le bas de son visage.

Ils se relevèrent tous d'un seul mouvement. Les Lames sortirent leur épée, faisant reculer la jeune fille. Seul Eiti resta désarmé, se précipitant sur elle. Ses yeux noirs, pour la première fois, reflétaient autre chose que la flegme.

— Qu'est-ce qu'il se passe !
— C'est... Monsieur j'vous jure s'pas ma faute. C'est elle. La dame qu'vous avez ramené d'la forêt. Elle avait un couteau et du sang. L'a tué votre fils monsieur. Elle a buté des gars et à ouvert les goêles. Sont sortis.... Monsieur si vous plait. Sont sortie et ont commencé à buter tous l'monde.


[...]

Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant