Se lever vers où?

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Il est déjà dix heures, le soleil est haut dans le ciel et le vent doux qui pénétrait dans ma chambre a disparu depuis que ma mère y avait posé son pied. Il faut affirmer que cette chambre a été la scène des confidences, des regrets et des larmes pendant une bonne heure.

-Ne te laisses pas emporter dans tes pensées et fais un effort de te lever je te prie. (La murmurante)

J'ai pris la décision de ne plus prendre en compte ce qu'elle me dit, car cette voix a la manie de me contredire et de me défier.
Je me tourne et j'étire mon corps qui devenait de plus en plus rugueux.

Je me suis levé malgré moi, vers ce monde malade et dangereux à travers lequel je dois passer pour me rendre là où je veux aller.

- Mais où est-ce que tu peux bien aller? Me demanda ma voix.

Je me lève, mais ce n'est pas pour aller là où vous espérez. Ce n'est pas pour aller vers le monde extérieur. Par contre, c'est pour me rendre là il n'y a plus de vie. Je traverserai alors les rues et la civilisation sans m'y prêter attention. Parce que les choses qui se trament dans le monde des fourbes ne m'intéressent pas. L'activité des hommes n'est qu'une perte de temps et est rempli de misères.

Alors je me lève pour un endroit plus calme et plus méditatif que l'intérieur de mon lit.
Je me lève pour le monde de ceux qui ne sont plus, le monde de la vérité, des regrets ou des réjouissances.

Je me lève vers le monde où je vais tôt ou tard demeurer, où nous aller tous demeurer. Mais beaucoup de personnes semblent l'oublier.

Ils semblent oublier que la vie d'ici n'est qu'un passage et que l'au-delà est l'univers de toutes véracités.

Tout cela pour vous dire que je garde toujours mon désire du néant. Je n'aurais pas demandé grand-chose: JUSTE NE PAS NAITRE!!!

Pour encore vous dire que je vais me rendre là où les larmes humectent les yeux et que les commémorations assaillent les esprits des proches, le monde des défunts.

Je vais me rendre chez mon vieux père. Cet homme à qui on m'a donné le nom et que je n'ai point eu le privilège de voir de son vivant.

Je vais me rendre aux cimetières afin de faire la paix avec lui. La paix au nom de quoi? Je me le demande bien. Toutefois, il est plus facile pour moi de lui en vouloir que de me l'attribuer. Il est plus facile pour moi de ne pas admettre que je suis l'auteur de l'enfer que je vis. Je me contenterai simplement de dire que l'enfer c'est les autres.

J'ai demandé à ma mère de me dire dans quels cimetières il a été enterré. Qu'il est de mon droit le plus primaire de le savoir et de pouvoir m'y rendre quand cela me chante afin de m'entretenir avec lui. Qu'elle ne va pas au moins me priver de cela.
Elle répond:

- Certes mon enfant, tu viens d'avoir dix-huit ans. Ce qui signifie que tu es devenu un homme, sans aucun doute. Ce qui n'enlève en rien que tu resteras toujours un enfant devant mes yeux, mon enfant à moi.
Mais j'ai peur pour toi, peur de te dire les lieux et que tu n'arrives pas à t'en faire quand tu y seras. T'as été privé d'un père bien avant ta naissance, tu n'as jamais su à quoi ressemble une vie avec lui.
Quel douleur de l'imaginer s'allonger devant toi sans que tu puisses le voir ou l'entendre.
Enfin tu comprends ce que je veux t'éviter de ressentir.

J'ai grandi! C'est cela que je voulais faire comprendre à ma mère. Que je ne suis plus ce moutard qui se met à pleurnicher à chaque fois que cela n'allait pas. Il faut qu'elle comprenne que j'ai besoin de m'entretenir avec l'homme qui m'a légué son nom. J'ai besoin de ressentir le peu de considération qui aurait pu valser entre nous.

Alors je lui répète, pour la nième fois que je veux qu'elle me dise l'endroit, que je suis capable de faire face à mon fatum, aussi difficile que cela soit.

- C'est aux cimetières des « cyclones », sur le long de la corniche ouest, à la hauteur du versant sud de l'océan.

Je suis sorti de la chambre sans rien dire et j'ai demandé à son chauffeur de me conduire quelque part. Ce qu'il a fait sans poser de question. Le véhicule roulait alors que moi je ne voyais pas la rue et tout le train-train qu'elle comporte. Je m'imaginais déjà dans les lieux quand j'entends le chauffeur me demander la destination.

- Jules! Jules! Jules! Insistait-il.
- Oui monsieur, lui dis-je?
- Je t'appelle depuis des minutes, où ce que tu veux que je t'emmène ?
- Je suis désolé monsieur, je veux me rendre aux cimetières des « cyclones », sur le long de la corniche, à la hauteur du versant sud de l'océan.
- D'accord! D'accord, je connais. Tu te sens bien, demanda-t-il?

Je ne lui ai pas répondu, je m'étais déjà replongé dans mes pensées, faute de faire attention au mon réel.

Les cimetières des « cyclones », c'est un endroit mystérieux où règne le silence et le calme. Des chemins sont dressés entre les rangées des tombeaux et des arbres imposants entourent les lieux. Le soleil y pénètre à peine tandis que le vent salé de l'océan se fait ressentir en pleine figure.
La porte opère un grincement aigu quand on l'ouvre dû aux effets de la rouille. Il ne faut pas être observateur pour remarquer que les humains ne s'y aventurent pas souvent.
L'homme est vraiment le piètre des espèces. Il vous isole après votre mort et vous oublie comme si vous n'étiez jamais nés.
Cela dit, vivez pour vous-même en dépit de tout ce qu'ils peuvent colporter sur vous.

Mon père reposait au milieu de ses êtres qui ne sont plus. Une pierre tombale sur laquelle on a gravé son nom est tout ce qu'il a comme considération: une pierre tombale qui contient également mon nom à une unité près. Je me sentais bien déjà à sa place. Je me demandais ce qu'il pouvait vivre en ce moment et s'il est au courant de ma présence devant lui. Je ne sais pas!

Soudain mon corps se refroidit et je me sens en communion avec lui. Alors j'ai essayé de lui faire ressentir mon mal-être afin qu'il m'appelle auprès de lui, dans la dimension de ceux qui sont toujours couchés et qui n'ont aucune besogne à abattre.
Mon corps frissonne, je me tenais assis en face de cet homme dont je ne pourrais définir nos relations en dehors de l'estime que j'ai envie de nourrir à son égard.

Il faut croire que tout le monde vous tourne le dos après votre mort. Il faut croire que rien ni personne en dehors de toi et tes actes ne pourra vous secourir dans ce trou. Alors il faut agir en bien d'après les dires, et agir pour soi.

Je me suis levé, c'est à mon tour de tourner le dos à mon vieux père comme l'a fait tout le monde après sa mort. Je ne lui en veux plus.

Je reviendrai. Je reviendrai m'entretenir encore un fois avec toi. Et je serai avec maman cette fois.
Tu es ma famille et je ne laisse jamais tomber ma famille, même si je l'aurais voulu.

Maman m'a dit qu'il n'y point d'adieux pour des cœurs déjà unis, alors à nos revoir vieux père, à nos revoir JULES ABRAHAM Ie DU NOM.

Je suis sorti lentement des lieux comme je m'y suis incrusté, pour ne pas déranger la quiétude et la tranquillité de ceux qui sont couchés. Il serait déplacé de déranger la paix qu'on ressent par ici.
Reposez en paix.

Le chauffeur ne s'était même pas pris la peine de sortir de la voiture pour le saluer. Un état de fait qui confirme que l'on ne peut compter que sur sa famille.
Il démarra la voiture sans rien me dire, et moi non plus je ne lui ai rien dit.

- Vous passez encore quelque part Jules? Finira-t-il par dire.
Vous, pourquoi il me vouvoie?

- Non! Nous rentrons à la maison. Lui dis-je.

Nous rentrons auprès de ma mère...

(...)

CE SOIR OU DEMAINOù les histoires vivent. Découvrez maintenant