Cette Ombre

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Seule, apeurée, la nuit était tombée. La fenêtre qui s'ouvre, des rideaux soulevés par la brise, une ombre. La raison de mes insomnies était là. Elle était là, comme chaque nuit depuis un mois. Elle vient à ma fenêtre, quand la nuit tombe et que je suis seule. Elle attend, elle m'observe, elle s'approche lentement de moi.

"J'ai besoin de te parler".

Mon frère venait de faire irruption dans ma chambre, je sursautais. Elle avait disparu, mais je sentais sa présence, elle n'était pas partie, elle attendait, elle était patiente, elle va revenir mais je ne vais pas voir son visage. Je ne le vois jamais distinctement, je ne vois qu'une ombre. Encore terrifiée, j'écoutais d'une oreille distraite mon frère parler de la pluie et du beau temps durant de longues minutes, il se confiait à moi, il me demandait de l'aide aussi sans savoir que chaque nuit, quelqu'un venait me voir sans que moi je ne puisse le voir.

À mon plus grand malheur mon frère venait de terminer son récit. Et comme toujours dès qu'il sortait de ma chambre, l'ombre était de retour dans l'embrasure de ma fenêtre.

Cette ombre me faisait peur, terriblement peur mais quelque part elle me rassurait. Je sentais qu'elle ne me voulait aucun mal, et ce soir-là avait confirmé mes doutes. Elle avait parlé pour la première fois depuis un mois. Cette douce mélodie qu'était la voix de cette ombre me rassurait et m'effrayait en même temps. Elle était grave, calme et remplie de bienveillance.

Les premiers mots de l'ombre fut de me demander si j'allais bien, c'était déstabilisant, car je n'avais pas envie de mentir à l'ombre, je me sentais étrangement en sécurité avec elle mais que si elle m'approchait de trop près, elle pourrait me tuer. Particulier n'est-ce pas ?

Le plus étrange dans cette histoire c'est que je lui avais répondu dans un calme absolu que je n'avais qu'une envie, que quelqu'un me comprenne. Mais qui pouvait me comprendre ? Je ne laissais paraître que joie et sourires. Je ne montrais jamais mes faiblesses, mes doutes, et mes peurs. Je ne demandais jamais d'aide. Je me contentais de me confier à la lune étant certaine qu'elle garderait tous mes secrets.

Cette ombre, après mûres réflexions, dégageait une aura terrifiante et sincère. Elle se mit à me poser une multitude de questions et pour une raison que j'ignore, je lui répondais avec toute l'honnêteté que je possédais. Cette ombre m'avait aidée ce soir-là mais en même temps elle m'avait enfoncé sans le savoir dans ma propre destruction.

Depuis cette nuit-là, l'ombre revenait chaque soir et me parlait, elle m'aidait et me détruisait un peu plus à chacune de nos conversations. Elle me rappelait mes valeurs avant de me rabaisser et de me montrer à quel point j'étais seule. J'avais l'impression que cette ombre était partagée entre l'idée de m'aider et de m'anéantir à petit feu.
J'avais l'impression d'avoir chaque soir la même ombre avec une personnalité et une mentalité différente à chaque fois. Ce mélange de bienveillance et de malveillance me rappelait chaque humain de cette planète. Tout le monde était les deux, certains avait un côté plus développé que l'autre, certes, mais on avait forcément un soupçon des deux.

Un soir, alors que je lisais tranquillement sur mon lit, l'ombre était venue, et pour une fois elle ne m'avait pas parlé, elle n'avait rien dit de la soirée et quand je voulais lui parler elle ne répondait pas non plus. Alors j'ai fait comme elle, la première fois qu'elle avait parlé, je lui ai demandé comment elle allait. Et des sanglots me répondirent. Ce soir-là, je me sentais étrangement bien, comme libérée d'un fardeau. L'ombre, pour une raison que j'ignorais était triste, elle, qui m'aidait et me détruisait chaque soir sans jamais rien ressentir, était triste.

Je lui avais posé de nombreuses questions et ce que l'ombre avait répondu à l'une de mes questions m'avais fait froid dans le dos. De sa voix grave et sanglotante l'ombre me répondis :

"Je suis la faucheuse, et ce soir, c'est ton âme que je viens dérober..."

Je ne comprenais pas pourquoi cette information rendait la faucheuse si triste, prendre une vie, peu importe laquelle, c'était la raison pour laquelle elle existait, elle avait toujours fait ça. Alors pourquoi être si triste de prendre ma vie ? Une vie, que je ne prenais aucun plaisir à vivre.

C'est alors qu'elle m'expliqua, qu'elle m'avait menti depuis le début, sur les sentiments, sur la vie, sur la mort, sur tout ce qui nous entourait. L'ombre s'approchait de plus en plus de moi, et quand elle fut qu'à quelques pas de moi, elle me tendit sa main, et c'est là que j'avais pu pour la première fois apercevoir son visage. C'était un ange avec des cornes noires, une larme de sang qui coulait sur la joue droite, et de magnifiques ailes noires. Je lui saisi la main et dis dans un souffle qu'elle était magnifique.

Cette ombre avait finalement un visage. Il était magnifique, terrifiant et rassurant en même temps. Je n'avais pas lâché sa main et nous avions commencé à marcher vers ma fenêtre. La faucheuse s'était arrêté et j'en avais profité pour me retourner et regarder une dernière fois ce qu'était autrefois ma chambre. Je fus très surprise de constater que je m'aperçus allongée sur mon lit, des coupures partout, mais ce qui avait capté mon attention était une boîte de somnifères vide à côté de moi. À quel moment j'avais fait ça ? J'étais morte et en paix. Et je ne m'en étais même pas rendu compte.

La faucheuse n'avait jamais partagé la raison de ses larmes avec mon âme, elle se contenta de se diriger vers d'autre maison, toujours les larmes aux yeux avant de nous diriger vers le paradis.

Personnellement, j'avais été guidée au centre, et quand je lui en avais demandé la raison, elle m'avait simplement répondu que j'étais une âme particulière, et de ce fait j'allais en fait, devenir à mon tour faucheuse.

J'avais finalement compris pourquoi la faucheuse avait pleuré en venant me chercher, elle récupérait toutes nos souffrances, tous nos doutes, il n'y a enfaîte pas d'enfer pour les humains, simplement le paradis, et c'était possible grâce aux faucheuses. Nous, faucheuses, vivons en enfer, pour délaisser chaque souvenirs, chaque peur, chaque cauchemars en enfer dans des chambres fermées à double tours.

Recueil De PenséesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant