Été

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"Un, deux, trois, petit oiseau

Vole, vole toujours plus haut

Un, deux trois, petit oiseau

Reviens moi s'il le faut"


Enfin vint l'été, étouffant et emprunt de liberté. Lucy avait pris l'habitude de déambuler dans la ville dès que l'occasion se présentait, seule comme accompagnée. Ce jour là, elle avait fait des aquarelles de touristes pendant plus de trois heures avant d'échouer dans son café favori, bien au frais à l'intérieur. De temps à autres, un jeune homme dégingandé portant l'uniforme de l'établissement venait lui apporter une boisson en échange de nouvelles sur le livre qu'elle lisait. Et les heures s'égrainèrent ainsi, elle lui arrachant quelques sourires, lui essayant de rester de marbre. Et dès qu'il se retournait, la jeune fille lâchait un léger soupir soulagé, avant de se replonger dans le livre qu'elle lisait. Quand l'Amour avait-t-il rendu les hommes aussi sots ?

Néanmoins, une autre présence finit par troubler le calme qui avait réussi à s'installer. Un jeune homme au regard du même bleu qu'un océan tempétueux fit son entrée. Mais Lucy ne voyait rien de tout cela : pour elle, le café était devenu une jungle et le serveur un perroquet. Elle-même s'était transformée en héroïne déchue, perdue au milieu de toute cette immensité. Ainsi elle ne se rendit pas tout de suite compte que le garçon s'était assis à sa table. À vrai dire, elle ne s'en aperçut que lorsqu'elle voulut boire au détour d'une page particulièrement fascinante. Alors qu'elle levait les yeux, le rouge lui monta aux joues sous le regard insistant de l'inconnu, et elle se saisit instinctivement de son collier au motif de colombe pour se rassurer. Une discussion s'engagea bien vite entre les deux jeunes gens, et ainsi fut brisée la glace sous le regard dépité du serveur.

Lucy apprit bien des choses sur le jeune homme ce jour là, et put même assister à un combat de coqs fascinant lorsque l'employé du café vint essayer de capter son attention en débitant un tissu d'insanités aberrant sur son roman, probablement lues sur un site douteux. S'engagea une lutte oculaire des plus passionnantes, finalement remportée par celui qui était, il y a peu, un parfait inconnu. Finalement, il lui attrapa la main, lui chuchota quelque chose à l'oreille auquel l'artiste répondit d'un hochement de tête. Ainsi, il l'attira dehors, lui laissant tout juste le temps de laisser une liasse de billets sur la table pour remercier l'employé de sa générosité. Elle n'était certes pas amoureuse, mais loin d'elle l'idée d'être ingrate.

Ils débouchèrent dans la rue rafraîchie par l'atmosphère rassurante du soir qui tombait peu à peu. Alors même que Lucy était plongée dans l'euphorie du moment -un moment spécial, du genre de ceux qui ont une signification tellement plus profonde que ce que l'on croit-, le jeune homme la fit se balader dans la ville, jusqu'à arriver devant un grand parc. Enfin, sans un mot, il la conduit à un petit kiosque, et une musique douce se mit à résonner. On aurait cru un film romantique, un rêve, l'apothéose de la joie, la quintessence du bonheur. L'été. Et dans cette atmosphère féerique, ils se mirent à danser.

Ainsi passa la nuit entière, sous le regard tendre de la Lune admirant les deux amants alterner entre valse et discussion, entre pas de deux et admiration de la voûte étoilée. "Rien ne pouvait mal tourner", pensa Lucy. Elle y pensa si fort qu'elle en perdit le fil de la conversation. Le jeune homme interpréta son silence comme de la fatigue et lui indiqua gentiment qu'il allait la ramener chez elle, en accompagnant ces mots d'un sourire confiant. Ainsi, ils quittèrent le kiosque qui avait vu naître leur passion enchanteresse, aussi rafraîchissante qu'une fontaine dans la chaleur d'une nuit estivale.

Ils longèrent la rivière, avant de passer devant un banc que Lucy connaissait bien. En plissant les yeux, elle aperçut même un petit bout de pochette cartonnée en dépasser, et un léger sourire naquit sur ses lèvres. Un sourire fatigué, mais un sourire si heureux, si pur, si confiant, que le cœur d'Alexandre se gonfla, fort, si fort, qu'il semblait compresser sa poitrine d'une émotion indescriptiblement positive. C'est le mot. Indescriptible. Ce moment était indescriptible. Ou peut être était-ce Lucy qui l'était ?

Enfin, ils arrivèrent sur un pont assez majestueux, vestige d'une époque révolue, témoin de tant d'instants de vie. Ils s'accoudèrent ensemble à la margelle de pierre et contemplèrent leurs reflets sur l'eau. Le jour était décidément en train de se lever, et des passants commençaient déjà leurs incessantes allées et venues. Et, devant ces quelques témoins étonnés de voir Lucy de retour sur le pont, Alexandre l'embrassa délicatement, comme si elle était une fleur sur le point d'éclore. Et c'est ce qu'elle faisait. Telle une renaissance intérieure, elle éclosait de nouveau, sous les rayons du soleil du petit jour. Et, enfin, ils se séparèrent, sans même échanger un mot tant ce baiser était promesse de retrouvailles.

Alexandre s'éloigna d'un côté du pont, Lucy de l'autre. Et, pour les passants, ce nouveau jour d'été semblait particulièrement resplendissant. Puis, alors que la jeune fille allait s'engager sur un petit chemin, elle se retourna, et surprit le regard des gens sur son dos, comme si elle était une sorte d'attraction passionnante et sans cesse améliorée. Mais elle s'en fichait. Elle était heureuse. C'est pourquoi elle leur dit, d'un air serein, avant de se détourner :

- J'ai trouvé un nouveau moyen de m'envoler.

"Un, deux, trois, petit oiseau

Vole, vole toujours plus haut

Un, deux, trois, petit oiseau

Reviens moi s'il le faut"

Quatre SaisonsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant