Chapitre 7: la rhétorique façon Lydie Dargaud

6 0 0
                                    

Je suppose que je devrais remercier Marc pour m'avoir à la fois permis d'enterrer la hache de guerre avec Lydie, mais aussi pour m'avoir donné la direction que pourrait prendre mes études après le bac. C'est vrai que j'aime beaucoup tout ce qui tourne autour du littéraire et de l'artistique. Mais ma mère et mon père étant respectivement peintre et enseignant-chercheur en littérature, je n'ai plus jamais pensé à m'orienter vers ces domaines depuis le jour où l'on m'a expliqué le principe de reproduction sociale. Il parait que je suis quelque peu rebelle, alors ce n'est pas vraiment étonnant que je refuse de suivre la voie qui m'est toute tracée par les carrières respectives de mes parents. En tout cas, Marc nous a laissé pour monter dans sa chambre juste après avoir calmé le jeu entre sa sœur et moi. Ce qui fait que je me retrouve maintenant seule avec Lydie devant un épisode de Supernatural. Aucune de nous deux n'a l'air de vraiment suivre la série, il faut dire qu'on a déjà vu cet épisode au moins trois fois. Cependant la télévision en marche a pour avantage de rompre ce silence gênant qui s'était installé après le départ de Marc.

- Qu'est-ce que tu veux faire après qu'on ait mangé avec mon frère ce soir ?

La question de Lydie me fait sursauter bien plus que le démon qui surgit à l'écran dans le dos de Sam.

- Avec ton frère ? je lui redemande d'une voix incertaine.

- Bah oui nunuche, mes parents ne rentrent que demain. Je te l'ai déjà dit, ajoute-t-elle d'une voix plus douce.

- Oui, bien-sûr ! C'est juste que je pensais qu'on pourrait manger en ville, je lui réponds en hésitant.

Lydie surprise par ma soudaine envie de sortir semble toutefois hésitante. Je prie pour réussir à la convaincre, ne souhaitant pas passer tout mon week-end en compagnie de Marc. Comme si son frère n'avait pas mieux à faire. A tous les coups il allait encore ramener son amie à la maison. Voir Lydie regarder mes mains en fronçant les sourcils me sort de ma réflexion. C'est seulement lorsque je baisse le regard à mon tour que je remarque que j'ai soudainement serré les poings sans raison. Il ne manquerait plus que ma meilleure amie me trouve agressive après notre petit accrochage de tout à l'heure. Elle finit cependant par me répondre :

- J'aurais bien aimé mais je ne pense pas que Marc me laisse sortir un samedi soir dans le centre de Nantes toute seule.

- Toute seule ? je m'offusque. Je compte pour du beurre moi ?

- Non, ne soit pas bête ! Je voulais dire : nous deux sans garçon ! me répond-t-elle en rigolant. Tu ne te souviens pas de la dernière fois qu'on lui a dit qu'on allait sortir en ville ? Ce traître a menacé d'appeler mes parents.

C'est vrai qu'il avait fait ça, résultat on avait fini par regarder un film tous les trois au lieu de sortir. J'avoue que j'aimais autant comment cette soirée avait tourné. Je ne suis pas vraiment fan des soirées avec des inconnus, en général je préfère rester en pyjama chez moi. C'est pour quoi Lydie est vraiment la meilleure amie que je pourrai avoir. Puisqu'elle n'accepte jamais que je lui dise non, elle réussit à me traîner dehors une fois de temps en temps. Sans elle je serais restée enfermée chez moi toutes ces années. Quoi qu'il en soit, aujourd'hui les choses sont différentes. Je ne compte pas passer ma soirée avec le frère de Lydie juste à côté et puisque mon refuge, autrement dit ma maison, est pour le moment inaccessible il va bien falloir que je trouve une alternative.

- On pourrait toujours proposer à Alex de venir avec nous, je lui suggère lorsque cette fabuleuse idée effleure mon esprit de génie.

- Oh oui ! En plus ça fait une éternité que j'ai pas traîné avec lui ! Tu l'appelles ?

Lydie a retrouvé sa bonne humeur comme si de rien n'était et sautille partout en attendant que je sorte mon portable. Parfois j'oublie à quel point elle est sociable. Je retrouve alors le numéro d'Alexandre dans mes contacts avant d'appuyer sur le petit téléphone vert qu'affiche mon écran. Bon sang, qu'est-ce que je déteste appeler les gens. Mais bon, on parle d'Alex là et je suis prête à tout pour sortir de cette maison ! C'est comme ça que malgré mon mépris des soirées, j'accepte aussitôt la proposition de mon meilleur pote quand celui-ci me dit qu'il ne peut pas manger avec nous mais qu'on peut le retrouver chez lui avec quelques-uns de ses amis. Connaissant Alex, « quelques-uns » équivaut à beaucoup de ses amis et vu qu'il est ami avec la moitié de Nantes, ça promet d'être bien rempli. Evidemment Lydie est aux anges, surtout qu'Alex habite à une vingtaine de minutes de chez elle à pied donc pas de problème avec le grand frère surprotecteur. Ce coup-ci, il ne peut rien nous dire. Ce qui ne l'empêche d'ailleurs pas d'essayer quand Lydie lui annonce du salon qu'on part chez Alex.

- Quoi ?! j'entends Marc débouler de l'escalier d'un air décontenancé.

C'est assez rigolo de voir un gars pareil l'air tout perdu. Finalement ça valait peut-être la peine d'oublier mes clefs.

- Je te dis qu'on va chez Alexandre, lui répète sa sœur. Tu le connais il habite dans le quartier d'à côté.

- Evidemment que je sais qui est Alexandre, ce que je ne sais pas c'est qui sont les autres gars qui seront là-bas.

- Qui te dit qu'il y aura quelqu'un d'autre que nous trois, râle Lydie pendant que je reste en retrait.

- Justement le fait que je connaisse Alexandre.

- Il marque un point, je lui concède en riant.

Je ne me fais pas de soucis parce que quand Lydie pense qu'elle a raison, autant dire tout le temps, rien ne peut l'arrêter et sûrement pas son frère. J'ai trouvé une alliée de poids ! (Même si techniquement elle ne pèse pas grand-chose.) Je connais ce regard. Elle fronce les sourcils et prend le temps de trouver ses arguments, de les organiser suivant une logique rhétorique développé par des génies tels que Cicéron : thèse, antithèse et l'argument qui oblige tout opposant à la fermer et à s'incliner ! Dieu sait que je n'aimerais pas être à la place de son frère, j'en viens même à avoir un peu pitié de Marc. Lydie aurait une superbe carrière politique si elle le voulait c'est plus qu'évident. Je recule d'un pas avant que le combat ne débute :

- Premièrement, je suis majeure. Je peux donc prendre des décisions sans forcément me référer à nos parents ou à toi. Le fait que je t'ai annoncé où nous comptions passer notre soiré était purement à titre d'information et n'attendait d'approbation de ta part.

- Oui donc si j'appelle papa et qu'il te dit de rester à la maison, tu vas refuser et être tellement indépendante que tu vas aller vivre dans la rue avec tes propres ressources ?

Ouach ! Ça c'était bien envoyé Marc, mais Lydie n'en est qu'au commencement et j'ai foi en son talent.

- Non, tu as raison Markounet chéri. Je ne me renierai jamais la famille qui m'est si précieuse. C'est pourquoi je resterai à la maison et laisserai la pauvre Sarah qui manque d'une telle autorité parentale pour la protéger se rendre seule à cette soirée.

- Hein ? je la regarde perplexe.

- Bah oui Sarah ! J'ai bien vu à quel point tu mourrais d'envie d'y aller, je ne peux décemment pas t'en empêcher ! Moi qui voulais te suivre pour être sûre que tu serais en sécurité ! Qu'est-ce qui n'arrive pas de nos jours aux pauvres femmes esseulées qui marchent à pied, de nuit avec l'espoir de trouver l'amour au bout du chemin. Mais ce n'est pas ça qu'elle trouve ! Non non. Elles finissent...

- Ça va ! l'interrompt soudainement Marc. C'est bon j'ai compris Lydie arrête de dire des trucs pareils sur Sarah tout de suite. Allez-y vite vite vite ! Je ne veux plus t'entendre parler petite sœur machiavélique.

Cette fois Lydie m'a vraiment scotché elle n'a même pas eu recours à l'argument ultime ! A moins que ce soit ça l'argument dont elle savait qu'il lui apporterait la victoire ? N'empêche, elle était obligée de dire à son frère que je cherchais l'amour ? Heureusement on sort rapidement de la maison et je n'ai pas affronté son regard d'acier plus longtemps.

Sacrés amis, sacré pari !Où les histoires vivent. Découvrez maintenant