Chapitre 2 : Une demeure labyrinthique

75 6 32
                                    

Elle s'avança alors au bord de l'esplanade et hurla de toutes ses forces.

Elle ne criait pas des phrases à proprement parler. Cela ressemblait plus à des bruits, des cris d'animaux mêlés à des exclamations telles que : eh oh ! Y'a quelqu'un ? Ouhouh les monstres !

Il était inutile de préciser que dans le monde humain, elle aurait eu l'air d'une imbécile. Pourtant, ici, les morts la regardaient -autant qu'ils le pouvaient avec leurs yeux disparus- surpris, admiratifs, mais aussi terrifiés. Cela ne devait pas être la première fois qu'un nouveau venu faisait du tapage et ils savaient tous comment l'histoire allait se terminer.

Hélia s'époumonait toujours, entamant maintenant une psalmodie complète et variée des nombreuses insultes qu'elle avait apprises durant ses dix-sept années d'existence. Si elle ne s'était pas fait tuer aussi tôt, elle aurait assurément remporté un prix pour cette performance. Dommage pour la jeune femme, elle se retrouvait aux enfers où ses talents ne pouvaient être exploités correctement.
Même si sa voix aurait pu arracher les tympans des neufs muses, personne ne semblait se soucier d'elle, ni même de ses revendications. C'était à prévoir, après tout je ne suis qu'une morte lambda aux enfers.

L'indifférence totale des habitants de ce monde énervait Hélia au plus haut point, ce qui ne semblait pas être une bonne chose pour elle et pour ses pulsions quelque peu suicidaires. Si personne ne venait à elle -car elle était sûre d'avoir été entendue- c'était probablement qu'elle n'y était pas allée assez fort. Si jurer et offenser les monstres ne suffisait pas, le temps était venu de blasphémer et Hélia se trouvait être plutôt forte dans ce domaine.

- Eh ! Je vois bien que personne ne veut venir ! Franchement, les démons, les succubes et tous les autres vous êtes incompétents ? C'est fou quand même, une banale fille dérange toute la file d'attente vers les enfers et vous, vous faites quoi ? Absolument rien ! elle ricana et ouvrit grand les bras. À croire que votre maître ne sait pas dresser ses toutous. Je ne pensais pas Lucifer aussi...

Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'une forme massive, volante et colérique fonçait vers elle à toute allure, la forçant à se décaler sur le côté pour ne pas se faire percuter. La créature-oiseau passa derrière elle et remonta dans le ciel pour atterrir plus en douceur. Un petit sourire victorieux aux lèvres et un tourbillon de satisfaction au ventre, Hélia observa le nouvel arrivant.
Au moins, pensa-t-elle. Il ressemble plus à un humain que la vieille harpie. Il est aussi un peu plus mignon.
Elle le dévisagea sans gène. De toute manière, il cherchait cette réaction, la morte pouvait le voir en un simple coup d'œil. L'inconnu-bestiole-volante était un en fait un homme doté de deux grandes ailes d'oiseau grises dans lesquelles on pouvait distinguer des plumes aux nuances de bleu. Elles attiraient les regards comme deux points lumineux dans la nuit.
Ce ne furent pas les seules choses qui captèrent l'attention de Hélia. Il portait une tenue ridicule, ce qui décrédibilisait totalement le personnage. La brune n'en avait jamais vu de telle mais, elle le décrivait comme un vêtement de combat de cuir et de tissu noir qui barrait son torse en une croix élaborée, mélangé à un accoutrement de cérémonie religieuse. Si le haut pouvait avoir son petit effet, le bas avec ses demi-jupons sur une jambe et le pantalon qui habillait l'autre ne pouvait être qualifié autrement que de déguisement.

L'homme fronça les sourcils pendant que son interlocutrice continuait de l'observer. De toute manière, elle ne comptait pas commencer la conversation, estimant que c'était à l'oiseau de le faire.

Malgré son accoutrement, il restait beau, et cela, en grande partie grâce à son visage. Fin et creusé, il ne semblait pourtant pas en mauvaise santé.
Après quelques secondes silencieuses, la créature se résolut à prendre la parole. Passant une main dans ses cheveux sombres, il s'avança vers Hélia. Celle-ci fut obligée de lever la tête.

Pécheresse - Les douze travauxOù les histoires vivent. Découvrez maintenant