XVIII

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Un coup sec me ramène à la surface et j'aspire une immense bouffée d'air frais, qui me déchire aussitôt la gorge. Je tousse, encore et encore, tentant désespérément d'expulser l'eau salée qui m'arrache la trachée. Des gouttes dégoulinent sur mes joues mais je suis incapable de dire si ce sont mes larmes ou mes mèches de cheveux plaquées sur mes tempes . On me maintient à la surface, je sens les remous de l'eau autour de mon corps mais ne puis ouvrir les yeux, scellés par le sel. J'entends la même voix que tout à l'heure susurrer :

- Ainsi, ce n'est pas Peter que tu portes au plus proche de ton coeur. Quel mystère, ce petit coeur frêle, qui ne t'obéit pas. Quel poison t'a-t-il insufflé ? Antidote inexistant, et toi ballotée entre ces sentiments que ne te peux contrôler.

Je ne me débats pas, même lorsque l'on emmène plus profondément dans la grotte, et que les mains glaciales posées sur ma taille me poussent vers la voix. Peu à peu, j'ose ouvrir les paupières  et les ténèbres s'éclairent un peu. Un rocher trône au milieu de cette caverne, sur lequel une silhouette miroite et ondule. Deux yeux transpercent le noir et je sens mon sang devenir plus froid que l'eau.

- Que viens-tu faire ici ?

Le murmure langoureux de la sirène percute les murs, frôle mon corps, s'introduit dans mes veines et y insuffle la plus terrible des peurs. Ma langue lourde s'évertue afin de s'agiter pour articuler avec peine :

- Je viens à la recherche de Clochette. De renseignements. Les pirates sont absents. Pas de nouvelles d'eux, ni de la fée. Je viens pour Peter.

- Alors si tu viens pour Peter... As-tu vu quelqu'un dehors en arrivant ?

Je frisonne et réponds par la négative.
- Juste Viktor m'attend.

- Nous serons prudentes alors. Mes sœurs, suivez-moi.

Je vois l'ombre se jeter dans l'eau et disparaître, comme l'étreinte qui encerclait mes bras et me tenait prisonnière. J'essaie de nager jusqu'à la sortie, abandonnée par les Sirènes qui sont déjà hors de la grotte. Le passage sous le rideau d'eau est plus ardu au retour mais aussitôt que je remonte, la chaleur du soleil embaume mes membres frigorifiés. Je me hisse sur l'une des pierres tandis que les Sirènes font signe à Viktor de nous rejoindre. En me voyant, il souffle un petit « Dieu merci » que je fais semblant de ne pas entendre.
Pendant que le blond amorce sa descente périlleuse, je me retrouve souffle coupé par la beauté des créatures qui s'allongent sur les rochers.
Milles joyaux étincellent dans des cheveux bien trop longs, qui encadrent des visages soyeux de muses aux traits délicats souligné à l'aquarelle. Des coups de pinceaux fins esquissent les contours des grands yeux, dont les couleurs dansent dans un ballet sans fin, adressant à l'Art toute sa splendeur. Les larmes de l'océan coulent sur les joues roses, et ces fleurs de la mer semblent voler les rayons du soleil pour mieux faire miroiter la peau parfaite qui s'efface peu à peu, vers leur taille fine, pour laisser place à de magnifiques queues chatoyantes.
On m'arrache au rêve lorsque la voix de Viktor, rêche parmi les chants doux des Sirènes, explique :
- Clochette a disparu, depuis trop longtemps déjà. On s'est dit que les Pirates pouvaient être à l'origine.
- Elle leur serait utile. Même si elle refuse de leur laisser de la poussière de fée, la garder signifie vous priver de votre précieuse aide.

Viktor hoche la tête.
- Exactement. On sait qu'avec, nous sommes presque imbattables. Sans, seul Peter vole et nous sommes voués à l'échec.

Sur son trône de pierre et d'algues, la Sirène qui m'a parlé dans la grotte s'agite. Ses cheveux d'argent flamboient et renvoient d'étranges reflets sur les murs abruptes qui nous entourent.

- Homme de la forêt, je ne te mentirai pas. Nous nous cachons car le bateau de Crochet rôde. La caverne reste secrète, mais nous préférons les abysses des océans à sa moiteur sombre. Nous aimons l'Île, et c'est la seule raison de notre présence. Autrement, voilà longtemps que nous serions parties.

- Quand est-il apparu pour la dernière fois ? je murmure.
- Filegil, quel joli nom, ricane une autre Sirène.
Je me retourne immédiatement, et la voit sourire sournoisement, d'une bouche aussi sombre que le fond des océans. La main de Viktor se pose sur mes omoplates et j'en suis étrangement soulagée.

- Il y a deux jours, ils sont venus sur l'Île chasser. Dernière fois que l'ombre de Crochet est venu salir notre Crique. Aereth les a aperçus.

La jeune Sirène en question agite la tête et ses yeux s'assombrissent. Sur son bras se dessine une étrange cicatrice. De longues mèches émeraude coulent le long de son corps, et camouflent partiellement ce long trait blanchâtre qui s'étend de son avant-bras à son épaule.

- Pas vu de Clochette ? s'enquiert Viktor mais seuls des mines désolées lui répondent.

- Nous allons retourner à la Mer, car Elle seule nous protégera. Avertissez Peter. Nous reviendront quand vous aurez éradiqué la tache d'encre qui nous menace tous, dit la Sirène aux cheveux d'argent, en inclinant la tête en guise de salutation.

J'imite son geste, et celui de Viktor, et nous les regardons plonger dans le sein de cet océan si grand, si beau. Les corps étincelants disparaissent bien vite sous les vaguelettes d'azur et j'en viens à regretter leur présence glaciale. Mon coeur se soulève d'interrogations, auxquelles sûrement elles-mêmes ne peuvent répondre.

Notre quête ici n'était pas vaine mais elle me laisse dans la gorge un goût d'échec. Je ne dis rien, et Viktor et moi restons à fixer les crêtes des vagues, comme si l'espoir de voir apparaitre une petite fée d'or nous hypnotisait et nous gardait prisonnier de cette vue magnifique, mais désolante.

Juste avant de nous retourner pour partir, une voix s'élève de l'écume.

- Claire Filegil, elle brisera ton coeur.

Et dans l'infini des flots se dérobe une longue traine émeraude.


Hihi ! J'aime bien ces sirènes !
Qu'en pensez-vous ? Et de l'étrange prophétie d'Aereth ?
À très vite !

Jamais demainOù les histoires vivent. Découvrez maintenant