- Qu'est-ce qu'elle voulait dire ? demande Viktor avec un air suspect peint sur le visage.
Je ne le regarde pas et fixe les flots d'où ont jailli ces mots, poignardant mes flancs et aiguisant mes peurs. De quels miracles sont-elles capables, ces créatures de l'eau, ces déesses aussitôt disparues ? Quels secrets peuvent-elles lire dans les profondeurs sombres de l'océan ?
- Claire, je sais que leurs pouvoirs sont effrayants. Mais je te conseille de les écouter. Quelle que soit la personne dont la Sirène parlait, abandonne l'idée. Elles savent trop bien lire nos cœurs.
Je secoue la tête pour finalement laisser échapper :
- Je n'ai fait qu'effleurer ce songe. Ça ne sera pas difficile.
Encore une fois, Viktor me surprend d'un geste réconfortant et nous restons sur le rocher quelques instants, dans la lumière du soleil. Je vois en haut les sacs que le blond a laissés, et que nous devons rechercher plus tard. Je n'en ai pas le courage, ni la force. Cette entrevue m'a coupé les jambes. Dans mon esprit brillent deux yeux d'ébène.
- Comme ça, tu as eu le droit à un nom de la part des Indiens ? sourit Viktor en essayant de changer le sujet, sans s'avoir que c'est le manche du couteau qu'il vient de retourner dans la plaie ouverte.
- Oui, je n'ai pas compris. Je n'ai rien fait d'autre qu'être capturée et servir d'appât.
- C'est assez déconcertant. Mais c'est ainsi que la Tribu agit. On dirait qu'ils font exprès.
- Beaucoup de gens sont ainsi « baptisés » ? je me hasarde à demander.
- Très peu, mais ça arrive. Peter, parce qu'il est spécial, parce que c'est lui. Certains Garçons Perdus aussi, parce qu'ils ont fait preuve de courage, ou simplement parce qu'ils sont nés. On n'en sait trop rien. Moi, je n'en ai pas.
- Encore, je complète avec un clin d'œil.
Il sourit et se retourne vers la mer. Un blanc s'installe, mais je ne le redoute pas. Ce silence est confortable, et je m'y plonge en fermant les yeux, oubliant la peur et l'amour quelques instants. Finalement, c'est Viktor qui prend la parole :
- Que s'est-il passé dans la grotte, en fait ? J'ai rien vu, rien entendu...
Je lui explique les événements et Viktor arbore une mine de plus en plus confuse.
- C'est étrange. Si elles avaient prévu de te noyer, pourquoi ne l'ont-elles pas fait ? En plus, tu leur as dit que tu venais de Peter et elles détestes les Filles Perdues...
Je hausse les épaules, car moi-même n'ai aucune idée de la raison pour laquelle j'ai été épargnée. Peut-être ont-elles vu que je m'étais déjà condamnée.
Je secoue la tête pour disperser ces pensées absurdes qui paralysent ma réflexion. Malgré tout, les mots de la Sirène dansent devant mes yeux comme des lettres de feu imprimées dans ma rétine et j'ai beau agiter la tête dans tous les sens, ils persistent et me brûlent le coeur et l'esprit et je ne peux m'en débarrasser. Mon coeur s'accélère et je ne peux cesser de voir la longue chevelure noire et le regard mutin, le parfum de liberté ; j'ai beau fermer les yeux et serrer les poings, cette image ne disparaît pas.- Claire, ça va ?
Heureusement, la voix de Viktor me tire de ce demi-rêve où m'engouffrait dangereusement le chant absent des Sirènes. Je secoue la tête pour signifier que tout va bien car je ne suis pas sûre que ma gorge serrée ne me laisse prononcer le moindre mot à présent.
- Il faudrait préparer le camp gentiment. Nous irons au Rocher demain, il va faire nuit dans moins de deux heures...
J'acquiesce et la douceur du ton du blond m'étonne. Depuis l'entrevue avec les Sirènes, son comportement a entièrement changé. Métamorphosé. J'ose espérer que mon courage lorsque je suis descendue seule l'a impressionné mais au fond de moi, je sais. Ce n'est pas de l'admiration, ni même de l'étonnement que je lis dans son regard de glace, dans ses traits moins durs, ou dans ses gestes amicaux, non, rien de tout cela. C'est de la pitié.
Il sait ce que les Sirènes m'ont dit, il est conscient du malheur qui me prend au-dessus du coeur comme une épée de Damoclès en chute libre déjà. Il sait que je vais revenir piétinée par quelque chose de trop grand, trop fort mais trop beau dont jamais je ne me relèverai. Il sait, et j'ai même l'impression qu'il sait plus que moi.
Nous nous affairons sur la falaise pour nous installer correctement. Je vais dans les bois chercher de quoi faire le feu pendant que lui installe les couchettes, des matelas tressés qu'il pose au milieu de l'herbe grasse. Je l'observe allumer les premiers bâtonnets habilement en quelques gestes adroits, et l'aide ensuite à partager la viande séchée et le pain.
Nous fixons alors le feu, qui lèche le ciel et les milliards d'étoiles qui veillent sur nos têtes fatiguées. Aucun de nous prononce le moindre mot pendant quelques temps, et le vent se charge d'apporter les chants de la mer.
Finalement, le blond se retourne vers moi et commence :- Tu sais, je ne devrais pas dire ceci, et s'il te plaît ne le prends pas mal. C'est juste pour ton bien...
Il s'arrête, hésite et balbutie presque. Quel étrange spectacle, l'homme de glace cherchant ses mots !
- Je crois avoir deviné toute cette histoire et tu n'es pas la première à ressentir ça...Je m'arrête, me fige, les doigts enfoncés dans la mie de mon pain et le coeur qui bat plus vite que ne s'agitent mes pensées. Sait-il ? M'aurait-il vu toute à l'heure parler avec elle ?
- Mais Peter est quelqu'un de spécial... De toutes les personnes qu'il a ramenées, il n'y a jamais rien eu. Je crois qu'il est incapable de ressentir les mêmes choses que nous et...
Il continue et une vague de soulagement envahit mon torse compressé : il me semble pouvoir à nouveau respirer mais je ne l'arrête pas alors qu'il s'attarde sur les conseils du coeur.
- Ce n'est pas toi, c'est vraiment lui. Ne lui en veut pas, je crois que c'est mieux que tu saches.
Je mime une figure atterrée et soupire lourdement.
- Je sais bien, c'est pour cela que je voulais venir avec toi aussi. M'éloigner de lui un peu pour me remettre les idées en place, je mens.
Il hoche la tête et me serre le bras.
- Désolé de t'avoir jugé si rapidement, et désolé d'avoir été exécrable comme ça.
- Pas de soucis, désolée de m'être incrustée dans ta quête.
Il m'adresse un petit sourire et me tend la main.
- Pardonné ?
- Pardonnée ?Nous rions et nous remettons à manger, pour ensuite nous coucher au milieu des fleurs embaumées et d'un ciel de cristal.
Je suis trop impatiente de voir vos réactions sur ce chapitre ! A votre avis, pourquoi Claire est-elle si réluctance à dévoiler la vérité ?
Et que pensez-vous à présent de « l'homme de glace » ?
J'ai hâte de vous faire découvrir un peu plus cet univers, pourtant bien loin d'être achevé. Je réfléchis même à d'autres histoires sur l'Île et dans les mers mais je ne vous en dis pas plus !
A très vite, j'espère !
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Jamais demain
Fanfiction« - Peter, attend ! [...]Les pensées se bousculent et s'emmêlent. De vieilles comptines, d'anciennes fables reviennent à moi, perdues dans les méandres de l'enfance, temps qui va bientôt disparaître puisqu'il est bientôt minuit. Tous les enfants gra...