Chapitre 2 : Paperasse

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Le nez plongé dans les rapports et les papiers administratifs depuis plusieurs heures, je levai enfin les yeux. La pièce était silencieuse, je ne pouvais entendre que ma propre respiration. 

Le Caporal, assis en face de moi, était extrêmement calme, comme à son habitude. On aurait presque pu croire qu'il avait été pétrifié sur place tellement il était immobile, les coudes posés sur le bureau et les yeux rivés sur la feuille qu'il tenait en mains. Seuls les minuscules mouvements de soulèvement que décrivait sa poitrine au rythme de sa respiration prouvaient qu'il était encore en vie.

Mes yeux se posèrent sur son visage. Le voir aussi concentré avait quelque chose d'attendrissant. Ce qui était rare chez le Caporal. Pas qu'il soit concentré, mais que quelqu'un le trouve attendrissant. Il fallait avouer que ce n'était pas la première chose à laquelle les gens pensaient en le voyant. Il arborait toujours cet air blasé et ne communiquait presque exclusivement qu'avec des grognements ou des insultes. 

Là, son front était plissé, ses sourcils froncés et ses yeux gris bougeaient de droite à gauche au fur et à mesure qu'il lisait. Ses lèvres étaient tirées en une fine ligne, et, de temps en temps, il fronçait encore plus les sourcils ce qui fronçait dans le même temps son nez fin. Ce travail l'ennuyait profondément, et moi ça me m'amusait de le voir ainsi. 

Je souris à cette idée alors qu'il soupira et passa une main nonchalamment dans ses cheveux noirs de jais, faisant basculer dans le même temps sa tête vers l'arrière. Il posa ensuite la feuille sur la table et mis son bras sur ses yeux. Il devait être épuisé, ces temps-ci, le Major Erwin lui en demandait beaucoup, entre les entraînements la journée, le travail administratif la nuit, et toutes les autres corvées qu'il devait accomplir et superviser, comme le nettoyage des chambres et des espaces communs. Et moi, je ne lui facilitais pas la tâche non plus, il fallait bien l'avouer. Je passais le plus clair de mon temps à lui chercher des noises, et c'était bien pour ça que je me retrouvais, punie, à remplir tous ces papiers dans sa chambre ce jour-là, alors que le couvre-feu était déjà passé depuis longtemps.

En effet, cela faisait bientôt deux ans que j'étais sous les ordres du Caporal, et on ne pouvait pas dire que nos relations avaient toujours été au beau fixe. Depuis notre rencontre, on n'avait cessé de se disputer, pour un oui ou pour un non. Mais surtout parce que je supportais mal son autorité, et que je ne comprenais pas son obsession pour la propreté. Ça me gonflait de devoir toujours tout astiquer jusqu'à ce que ça brille. Pour moi, passer le balai une fois par semaine dans ma chambre était suffisant.

Malgré ça, je savais faire la part des choses, en expédition, j'avais entière confiance en son jugement. Je ne discutais jamais ses ordres, c'était ça qui m'avait permis de rester en vie jusque-là, et je n'avais pas l'intention de faire autrement. J'avais vu mourir des dizaines, peut-être des centaines, de camarades pendant mes deux années de services, et je ne comptais pas les rejoindre de sitôt. Je n'étais pas idiote, contrairement à ce que le Caporal me disait souvent, j'étais juste (un peu) impertinente. Chacun ses défauts, et le Caporal en avait un paquet lui aussi.

— Qu'est-ce que tu regardes, morveuse ? Les papiers vont pas se remplir tout seuls.

Je m'étais perdue dans mes pensées, lui, avait retiré son bras de son visage et me regardait, les yeux mi-clos.

Je reportai mon regard sur les papiers qui se trouvaient devant moi. À ma gauche, se trouvait une pile de documents déjà remplis par mes soins, que le Caporal n'avait qu'à signer ; à ma droite, une pile, moins haute, se dressait attendant patiemment que je m'y intéresse. En bref : j'en avais encore pour des heures et j'étais déjà épuisée. Ça m'apprendra à critiquer la manière de nettoyer du Caporal.

Je baissai les yeux sur mes jambes partiellement dénudées et sur mon pyjama que j'avais pris soin d'enfiler avant de venir dans la chambre du Caporal, sachant très bien que ma punition pouvait durer longtemps. Et j'avais eu bien raison, là tout ce que je voulais c'était rejoindre mon lit douillet. Je revins quelques instants sur les papiers qui se trouvaient devant moi, tentant de me concentrer à nouveau, en vain.

Souvenirs d'une soldate du Bataillon d'Exploration [LevixOC]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant