Nokrov, Tome 2 : Les Lames Entremêlées (terminé)

Chapitre 45.1, Aux portes de la Guerre

SIBILLE

Des semaines les séparaient du mariage royal, et les habitants de Talumen retrouvaient peu à peu de leur joie de vivre. Les sourires n'étaient plus de simples façades, les regards avaient retrouvé de leur éclat. Cette vision quotidienne allégeait le cœur de la jeune Reine, qui regardait la cité peuplée de vie au pied du palais, cela la tirant des conseils de guerre auxquels elle assistait. Si les rangs de ses ennemis avaient été grossis par ce qu'il restait des vatners, son armée restait tant la plus puissante que la plus grande.
L'esprit serein, un léger sourire étirait ses lèvres, et Sibille passa une main délicate contre son ventre qui s'arrondissait de plus en plus. Elle l'avait appris avant le mariage et ne l'avait avoué à Alessandre qu'à son départ, lui donnant une raison de plus de lui revenir vite. Elle espérait de tout cœur porter un fils. Un héritier à la Couronne, mi-aigle mi-griffon. Un être si puissant que nul ne saurait le défier. Nul n'y songerait simplement.

Elle se détourna de la fourmilière qui grouillait au bas des fenêtres du Palais Blanc, son attention détournée par quelqu'un qui approchait à pas de loups. Elle capta alors le regard de Virtus et lui adressa un sourire doucereux. Cet homme était la fourberie incarnée – elle s'en méfiait comme de la peste, pourtant, elle ne doutait pas de sa loyauté. Il n'avait aucune raison de la trahir.

— Lord Falco, le salua-t-elle froidement.
— Votre Majesté.

Il laissa traîner ses yeux sur le ventre de la Reine, sur lequel sa main était toujours posée. Elle pinça les lèvres, lui signifiant de ne pas s'attarder à sa contemplation.

— J'ai reçu des informations concernant Talen.
— Le Roi y est-il parvenu ?

Le regard de Sibille s'illumina à cette idée. Parti pacifier sa terre natale, Alessandre n'y combattrait normalement pas ; il était un chef de guerre, commandait les armées et n'aurait donc pas de raison de s'exposer. Puis, les griffons étaient désormais guidés par la mère de son époux, non plus par Arthos, fidèle chien des Iseal. C'était sans compter les rebelles qui ne se trouvaient pas dans cette région du monde – ceux-ci s'étaient visiblement terrés à l'ouest, se regroupant sous la bannière de son oncle et de la fille de Nox. Alessandre devait être loin du danger. Pourtant, Sibille comprit au regard de Virtus que quelque chose n'allait pas. Les nouvelles n'étaient pas bonnes.
Ses sourcils se froncèrent et elle plissa les lèvres, s'avançant d'un pas menaçant.

— Virtus, que se passe-t-il ?

Joignant ses mains, le maître des lois commença à tourner ses pouces entre eux, visiblement embarrassé. Ses yeux de vipère se plantèrent dans ceux de la Reine.

— Mes informateurs m'ont appris que nos ennemis souhaitaient marcher sur Port-Mauer.

Les yeux de Sibille s'arrondirent et son cœur s'emballa. Alessandre était parti accompagné d'une escorte – pas d'une armée. Si leurs ennemis venaient à croiser la route de sa troupe, sa tête finirait plantée sur une pique. Un haut-le-cœur saisit la Reine à cette idée, et elle serra les poings.

— Que l'on convoque le conseil, tout de suite.
— Votre Majesté...
— Tout de suite !, cria-t-elle.

Perdre Alessandre était impensable. Elle refusait d'apprendre sa mort, et se sentait coupable de la situation – c'était son éloignement avec Mageia qui lui faisait perdre en puissance. Les hommes des Ramales étaient bien trop méfiants, presque sectaires, pour qu'elle puisse y placer elle-même des espions – en cette région, elle ne pouvait compter que sur les yeux de la Reine Sang. Et puisqu'elle abandonnait celle-ci, la Rouge se vengeait. Qu'Alessandre meure, Mageia s'en fichait bien. Seul comptait son pouvoir personnel, après tout.
Sibille était coincée. Elle qui souhaitait se repentir, se rapprocher tant de son peuple que de sa famille, portait sa foi comme un boulet au pied. Un boulet qui la ferait couler si elle ne parvenait à apaiser la colère de la Sanglante.