CHAPITRE 4 - Aldo [2|4]

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Même en ayant ce genre de pensées, je savais qu'aucun soldat n'oserait jamais appuyer sur la détente. Il n'y avait que Segger pour le faire. Ces armes pointées sur moi à longueur de journée servaient de moyens d'intimidation et de menace. Aucun n'avait le cran de m'affronter en un face à face. Et même la vaillance – ou peut-être était-ce de la folie ? – dont ils avaient fait preuve il y avait deux ans semblait avoir disparu, comme si elle n'avait tout simplement jamais existé. Les hommes à la solde de Segger se servaient à présent de méthodes bien plus fourbes et de loin discutables.

Menace, provocation, acharnement, humiliation.

Tous les coups étaient permis pour nous faire craquer. Même les plus vicieux.

Je me demandais souvent pourquoi je ne faisais rien pour me sortir de cette situation, alors que j'en avais sûrement l'opportunité. Pourquoi je ne faisais rien pour inverser la tendance, agir et m'enfuir. L'idée aurait été tellement plus simple à exécuter si j'avais été seul. Mais ce n'était pas le cas et je n'étais pas du genre à abandonner mes amis.

Pas après avoir perdu l'un des miens.

Rex me manquait terriblement. J'essayais d'oublier, de ne plus penser à lui. Je n'avais pas envie de souffrir pour rien. Mais, parfois, je repensais à sa façon de réagir face à Segger, à sa répartie, au courage avec lequel il parvenait à se relever après les pires maux, à la force à partir de laquelle il menait chacune de ses actions.

Rien que pour ça, je l'admirais.

Mais je n'étais pas comme lui. Et je savais pertinemment que cette vie dictée par mes geôliers commençait à me peser lourd.

J'essayais quelques fois d'imaginer comment Rex serait parvenu à s'échapper d'ici, avec les conditions actuelles. En deux ans, Segger avait eu le temps de faire des prouesses scienti-technologiques. C'était du moins de cette manière que je m'étais mis à appeler ses créations scientifiques mêlées d'une technologie de pointe. Tout cela me dépassait un peu d'ailleurs, et j'imaginais sans mal à quel point Rex en aurait été décontenancé lui aussi...

Je détestais l'avouer, mais Segger avait fait de grands progrès. Je me souvenais amèrement de ses paroles tranchantes à mon réveil, son regard de diable qui avait brisé mes espoirs. J'avais beau tout faire pour montrer le contraire, je savais bien qu'il n'y avait aucune issue. Nous étions prisonniers de ce centre de malheur, captifs dans un bâtiment dont seuls Segger et ses acolytes connaissaient l'emplacement.

Où que ce soit, j'avais toujours trouvé un large panel de solutions pour me sortir des mauvaises situations. Mais, pas ici. Je sentis l'angoisse me parcourir de part en part, le désespoir se répandre dans mes pensées. Et l'idée d'un échec cuisant s'immisçait lentement dans mon esprit, brisant mes derniers espoirs, mes dernières convictions.

Il y avait toujours Erik qui aurait pu nous libérer de nos chaînes, mais il demeurait introuvable depuis mon réveil. Jour après jour, je guettais les personnes dans le couloir, en quête de son visage si familier, si rassurant. Celui d'un homme qui agissait avec son cœur et qui ne perdait jamais courage.

J'aurais aimé être comme lui, aussi confiant, aussi positif, aussi fort. Mais j'en étais réduit à être un esclave : celui de Segger et celui de mon découragement.

Sans lui, les solutions qu'ils nous restaient étaient limitées, voire inexistantes. J'avais envie de me rebeller, de faire usage de mon pouvoir pour une fois. Mais Segger avait trouvé l'objet imparable.

Le bracelet en lui-même avait quelque chose d'élégant. On aurait pu croire à un vrai bijou qu'un orfèvre aurait façonné, et non à un produit de haute technologie scientifique. En le voyant si simple, il donnait l'impression d'être facilement retirable. Toutefois, ce n'était pas le cas. De temps à autre, plusieurs s'accumulaient à mon poignet. Tout dépendait de l'énergie que j'avais en réserve. En temps normal, un seul bracelet était suffisant. Mais parfois, deux ou trois de plus n'étaient pas de trop pour Segger.

L'anneau qui cerclait mon poignet était en argent, assez fin et des plus basiques. Il entourait mon avant-bras à la perfection, comme sur mesure, si bien qu'il m'était impossible de le retirer. Le seul moyen était de posséder les cartes magnétiques des scientifiques qui les débloquaient.

Je les considérais comme des menottes du futur. En soi, le principe était le même, ces gadgets nous faisaient prisonniers. Et bien que mes poings n'étaient pas liés, je me sentais aussi faible qu'un nouveau-né. Et je détestais cette perceptive de ne plus rien pouvoir faire...

Le bracelet à un endroit était constitué d'une petite bille, à peine plus grosse que mon pouce. Lorsqu'on me le mettait, la pierre était noire comme les ténèbres. Et au cours de la journée, elle s'éclaircissait, jusqu'à devenir d'un blanc laiteux. Seulement lorsqu'elle était complètement pure et homogène, on me le retirait. Il ne fallait pas être un génie pour comprendre ce qu'ils faisaient. Ils avaient trouvé un moyen de stocker notre énergie en surplus dans ces petites billes.

À quoi Segger les destinaient ? Je l'ignorais.

Mais l'idée même qu'il ait autant de pouvoir entre ses mains m'effrayait. Car, malgré tout ce que je savais sur lui, je me doutais bien qu'il avait un but, qu'il n'était pas motivé uniquement par le désir de gloire. Ou alors c'était qu'il était encore plus idiot que je ne le pensais.

La reconnaissance ne venait pas en un claquement de doigts. On n'en était digne que lorsqu'on avait tout fait pour la mériter. Et bien qu'en soit notre découverte révélait du miracle, elle n'avait point de raison d'être applaudie quand on voyait la manière dont on nous traitait...

J'avais beau essayer de freiner mon allure, rien ne fonctionnait. Déjà j'apercevais – après avoir traversé un énième couloir – la porte du laboratoire A3. Là derrière m'attendait sans doute Selkins et ses expériences inhumaines... Le canon du pistolet se décolla de ma peau tandis que l'homme vociféra :

— Allez, entre ! Dépêche-toi !

J'aurais tellement voulu lui dire de se taire, lui faire ravaler la suprématie qu'il semblait avoir acquise avec moi. Mais je gardai le silence. La dernière fois que je m'étais montré insolent à ses yeux, l'homme m'avait asséné un coup de poing dans la gorge. Je me souvenais encore de la douleur et n'avais pas l'intention de recommencer.

Sans protester, je fis un pas de plus et entrai dans la pièce. Cette dernière était assez grande et composée de plusieurs équipements scientifiques. Un homme, debout au milieu de la salle, s'approcha à mon arrivée. Ses petits yeux noirs me scrutèrent quelques instants, comme si j'étais la proie et lui le prédateur.

C'était ce que je n'aimais pas chez lui, il était effrayant rien qu'en me regardant et j'avais l'impression qu'il me voyait comme une souris piégée dans un labyrinthe géant.

— Bonjour, Aldo ! lâcha le Docteur Selkins d'un ton qui se voulait enjoué.

Je le regardai avec colère. Même après deux semaines, cet homme continuait de me saluer de la sorte, esquissant encore et toujours cette risette remplie de sournoiserie et d'hypocrisie. Je haïssais ce genre de personnes : celles fausses qui cachaient leurs mauvaises intentions derrière un sourire.

— Peut-on en venir aux faits et arrêter d'agir comme si on s'appréciait l'un l'autre ? soupirai-je, lassé par ces formalités quotidiennes.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant