CHAPITRE 4 - Aldo [4|4]

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Je serrais les dents, la colère montant en moi tel un volcan sur le point d'exploser. Sur le moment, peu m'importait s'il comptait me tirer dessus ou non, je voulais me battre.

Je me jetai sur lui dans un élan d'adrénaline et le frappai avec hargne à plusieurs reprises. L'agent ne se laissa pas faire et répliqua avec autant d'intensité que la mienne. Au milieu de cet affrontement au corps à corps, il lâcha son arme par terre.

Je ripostai au mieux, appliquant toutes les leçons de combat qu'avaient pu m'enseigner Erik autrefois. Mais, avant que je ne puisse parer un énième coup, le soldat m'en asséna un derrière la nuque, ramassa son revolver et tira.

Face à la forte décharge de l'arme qui fusait dans mon organisme, je m'écroulai sur le dos. La seringue m'échappa des doigts et se brisa au sol, répandant son liquide par terre. Sous l'effet de l'impulsion électrique, mes muscles se contractaient, provoquant en moi une paralysie dont je ne parvenais pas à me défaire.

L'homme se dirigea vers l'un des tiroirs du bureau de Selkins et en tira une troisième injection. Puis il revint, se pencha au-dessus de moi et planta l'aiguille sous mon épiderme.

— Cela te servira de leçon ! s'esclaffa l'homme qui, à son rire, se délectait de sa victoire.

Sa voix comme son visage devinrent flous et indistincts, laissant place à un épais brouillard qui s'installait dans mon esprit. J'essayais de m'extirper des brumes de l'inconscience, de résister aussi longtemps que mes forces me le permettaient. Dans ces quelques secondes, je vis l'agent apporter une autre seringue et me l'injecter. Je sentis mon cœur s'emballer et battre à tout rompre, mes mains se crisper sans que je ne puisse rien contrôler. Puis ce fut le trou noir.

À mon réveil, je ne reconnus rien. Le laboratoire A3 avait disparu, tout comme le Docteur Selkins et l'agent qui s'était chargé de moi jusque-là. Une quasi-obscurité régnait dans la petite pièce et je sentais, si je me fiais aux rideaux tirés et au silence, qu'il faisait nuit noire dehors. Je perçus un bruit de pas légers qui se rapprochait peu à peu, avant que la porte de ce qui me semblait être une chambre ne s'ouvre doucement.

Je reconnus presque immédiatement le visage doux de ma mère et son sourire sincère. Elle s'approcha lentement du lit sur lequel j'étais allongé et se pencha au-dessus de moi.

— Hello mon ange, souffla-t-elle en déposant un baiser sur mon front. Il est l'heure de partir, Papa nous attend à la maison.

Elle se redressa, s'éloigna et farfouilla dans une petite valise déposée au pied du lit.

— Allez courage mon bonhomme, lève-toi. Il nous reste de la route à faire et j'aimerais arriver à huit heures tapantes avant que ton père ne parte en caserne.

Je regardai ma mère s'affairer, bien trop heureux de pouvoir la retrouver. Je me levai, quittant la douce couette qui me tenait au chaud. Ce ne fut qu'à ce moment-là que je me rendis compte de ma petite taille. Était-ce un rêve ? Un souvenir ? La simulation ?

Tout ça paraissait bien trop réel pour que ce ne soit qu'un songe ou qu'une réminiscence...

D'autant plus que j'étais en mesure de penser, d'agir. Je n'étais pas qu'un simple spectateur, je faisais clairement partie de cette scène.

À cette idée, quelque chose me chiffonna. Jusque-là, les simulations n'avaient jamais été aussi agréables et je craignais qu'une menace surgisse tout à coup pour rompre ce bonheur maquillé. Les dernières séances, Selkins m'avait fait endurer le même soir pendant une semaine entière.

Cela aurait pu être une soirée banale et sans intérêt, mais non. Il avait choisi la pire, celle que j'aurais aimé oublier à tout jamais. Celle où mon père m'avait frappé avec une force telle qu'il marqua pour la première fois l'esquisse des cicatrices qui parcouraient à présent mon dos.

Mais, apparemment, malgré la douleur que j'avais éprouvé et mes cris, les résultats n'avaient pas été suffisants pour ce scientifique et il avait classé la simulation dans la catégorie d'échec.

Il avait beau me répéter que ces expériences avaient pour but de réveiller en moi certaines aptitudes que je ne connaissais pas encore, en se basant sur des émotions fortes, je n'y croyais pas. J'avais la ferme impression que l'on essayait de me briser, en me faisait revivre mes pires cauchemars et mes plus grandes peurs.

Alors devant une simulation avec autant de normalités, j'étais effrayé. Que se passerait-il ? J'aurais aimé pouvoir me souvenir, pouvoir me rappeler pour mieux me préparer et savoir à quoi je devais m'attendre. Mais, comme les séances précédentes, Selkins avait choisi un de ces moments de ma vie que j'avais rayé de ma mémoire et c'était pour l'instant un écran noir.

Ma mère saisit ma valise et la sienne, alors que je finissais de lasser mes chaussures. Puis elle m'attrapa la main et me guida vers la sortie. Elle déposa les clés de l'appartement au gérant de l'hôtel, paya et quitta le bâtiment.

— Tu es bien calme dis-moi, lâcha-t-elle dans un rire. Si je ne sentais pas ta main serrer la mienne je pourrais croire que tu ne me suis pas...

— Je suis fatigué, Maman, c'est tout.

— Rassure-toi, mon chéri, on sera bientôt rentré... Allez grimpe dans la voiture et attache-toi ! me demanda-t-elle en ouvrant le coffre pour y ranger nos bagages.

Ce dernier claqua et la porte avant gauche s'ouvrit. Après s'être assurée que ma ceinture de sécurité était bouclée, ma mère prit place au poste de conduite, quitta la place de stationnement et s'engagea sur une route bien calme.

— Maman, d'après toi, à quelle question ne peut-on jamais répondre ni « oui », ni « non », ni même aucune autre phrase ?

Je ne comprenais pas pourquoi je disais ça : faire ce genre de devinettes ne me ressemblait pas. Était-ce mon souvenir qui tentait de refaire surface dans ma mémoire ?

— Non, me répondit-elle après quelques minutes de réflexion. Dis-moi donc.

— Es-tu déjà endormi ?

Je n'eus pas besoin de regarder ma mère pour savoir qu'elle souriait.

— Dors petit garnement au lieu de raconter des bêtises ! répliqua-t-elle, tandis que mes rires se mêlaient aux siens.

J'avais fermé les yeux depuis une trentaine de minutes quand un choc secoua tout l'habitacle. J'entendis les freins crissant sur l'asphalte, les hurlements de peur de ma mère et les miens. Une voiture venait de foncer sur nous à vive allure et avait heurté le flanc de la nôtre.

Je perçus notre véhicule valdinguer sur le côté avant de se mettre à basculer dans le vide. Les tonneaux me parurent incessants et je ne comptais plus le nombre de fois où j'avais crié, ni même le nombre de larmes qui avaient coulé.

J'essayai de me focaliser sur une seule chose, sur la voix de ma mère qui tentait de tout faire pour me rassurer. Mais, je n'étais qu'un enfant et, malgré ses efforts, la terreur s'emparait de moi.

La voiture finit sa longue descente contre le tronc d'un arbre et s'embrasa. En dépit de mes appels, ma mère ne répondit jamais.

Ce fut la dernière fois que je la vis...

Les flammes léchaient le véhicule comme un vulgaire tas de bois. Je sentis la chaleur du brasier me traverser, les brûlures parcourir ma peau à mesure que le feu prenait de l'ampleur. Je me débattais avec force avec la ceinture de sécurité qui ne voulait à présent plus se défaire.

Après un dernier cri de douleur quand mes vêtements prirent feu, je parvins à m'en débarrasser et à me glisser à travers la fenêtre à présent en mille morceaux. J'essayai de me rouler par terre pour faire disparaître les flammes qui persistaient sur mes habits, mais rien n'y faisait et je perdis connaissance.

Même après tout ce temps, même après tout tes efforts, je n'y arrive toujours pas. Pardonne-moi, Zoé, mais je déteste ton pouvoir...

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant