CHAPITRE 5 - Lise [1|6]

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Mes pensées s'envolaient comme une nuée de papillons, virevoltaient dans mon esprit, effleurant ma conscience de leurs ailes légères, nervées de couleurs chatoyantes. J'essayais de les retenir, de faire en sorte qu'ils cessent de tournoyer ainsi.

J'étais confuse. J'avais l'impression que je n'arrivais pas à saisir une information importante, comme à cet instant, alors que ces insectes m'échappaient encore. J'arrêtai un instant de tenter de les rattraper pour me poser.

Il y avait quelque chose qui n'allait pas, j'en étais persuadée. Mais qu'est-ce que cela pouvait bien être ? Je regardai autour de moi, comme si la réponse apparaîtrait brusquement devant mes yeux. Il n'y avait toutefois rien.

D'ailleurs, où étais-je ?

Au même instant, le paysage se précisa comme une photo d'un polaroid. Je me trouvais dans un sous-bois, une petite clairière aménagée en toute apparence. Il y avait un feu devant moi, crépitant de flammes joyeuses qui consumaient doucement quelques branches entassées. Autour du foyer, des rondins coupés étaient disposés formant sans nul doute des bancs de fortune. J'observai un instant mes paumes, comme si elles me révéleraient qui j'étais. Mais rien, encore une fois.

J'avais le sentiment que ma vie était aussi vierge que la première page d'un livre. Je n'avais rien. Pas un souvenir pour m'aiguiller sur mon identité, sur ce que j'étais. Il y avait seulement ce décor champêtre.

Lise.

Ce mot surgit dans mon esprit comme une bulle de savon éclatant tout à coup. J'avais conscience que c'était un début, que je venais de découvrir mon prénom, ou tout du moins ce que je considérais comme tel. C'était cependant tellement frustrant. J'avais comme la sensation qu'il manquait encore tout un pan de mon existence. Même si mon nom venait d'écrire le premier mot du chapitre, les premières lettres arrondies et élégantes sur mon chemin de vie, ce n'était pas suffisant... La nuée de papillons revint et un deuxième mot ressurgit dans les confins de ma mémoire détraquée.

Refuge.

Je ne mis pas longtemps à saisir. Ce petit foyer, c'était ma maison, mon attache à ce monde. Je restai pantelante, tandis qu'apparaissaient devant moi succinctement des bribes d'anciens souvenirs.

Il y avait un jeune garçon au bord du feu, qui disposait des cailloux autour, comme pour éviter qu'il ne se propage. Une fille, aux cheveux noirs comme les plumes luisantes d'un corbeau, le rejoignit. Leurs prénoms jaillirent de mon esprit.

Rex et Zoé.

Un sentiment monta en moi comme les vagues de la mer s'échouant sur les berges de ma mémoire. J'éprouvais un bonheur sans nom de les voir ainsi. Suivi d'un nœud soudain au fond de ma gorge. Qu'est-ce que je craignais ? Zoé proposa de l'aide au garçon, Rex, sans que je ne sache quels étaient leurs liens avec moi. Ils continuaient de former un cercle de pierres, les doigts noirs de charbon et de suie, la figure rougie par les flammes à moins d'un mètre d'eux. La chaleur qui s'en émanait ne semblait pas les gêner.

Je vis un sourire espiègle passer sur le visage de la fille et avant que je n'aie pu faire le moindre geste ou dire le moindre mot, elle se jeta sur Rex pour le barbouiller de suie. La petite Zoé éclata d'un rire cristallin, aussi aérien qu'une flûte traversière, tandis que l'attaqué fit de même en esquivant les doigts charbonneux de son amie.

Le souvenir s'effaça, comme une pluie de poussière emportée dans le vent. Comme les papillons, je ne parvins pas à la retenir.

Mais les voilà qui réapparaissaient. Zoé, morte de rire, fuyant tant bien que mal un Rex joyeux, en tournant autour du feu.

Le décor changea, le souvenir aussi. Je vis Zoé réapparaître avec Rex, et un autre garçon, blond aux yeux bleus.

Aldo.

La fille courait encore. Était-ce le même souvenir ? J'avais envie d'y croire, mais quelque chose me faisait penser le contraire. Ils semblaient avoir grandi. Combien de temps s'était-il passé entre les deux ? Un mois ? Un an ?

Nous étions tout proche d'un lac, recouvert de roseaux à foison qui partaient dans tous les sens. Ils passèrent devant moi comme si je n'existais pas et sautèrent à l'eau en riant.

Tout devint trouble, comme si j'avais moi aussi quitté la rive pour bondir dans le bassin.

Je me retrouvai face à moi-même, avec Zoé. C'était la première fois que je me voyais. Qu'est-ce qui n'allait pas ? Mon autre moi serrait la fille dans ses bras. Son rire que j'avais tantôt entendu n'était plus que des pleurs déchirants. Les larmes me vinrent sans que je ne puisse les expliquer.

Elle sanglotait, parcourue de spasmes douloureux. J'avais la sensation de lire dans ses yeux la plus grande détresse du monde. Je vis mon propre regard – enfin celui de la Lise du souvenir. Un regard qui semblait dire qu'elle ne devait pas flancher, qu'elle se devait de rester forte.

Zoé finit par lâcher dans un soubresaut qui la fit bégayer :

— J'en peux plus, Lise. Je suis fatiguée... J'en ai marre de toujours avoir peur.

L'autre moi frotta sa main dans le dos de son amie. Puis elle lui répondit d'une voix douce et calme, apaisante presque :

— Tu sais, c'est normal d'avoir peur ma petite Zoé. Nous avons tous peur pour des raisons différentes. Mais il ne faut qu'en aucun cas cela ne t'empêche de vivre. Il y a bien trop de choses qui pourrissent déjà notre quotidien, tu ne dois pas te rajouter un fardeau supplémentaire sur ta conscience.

— Mais, j'ai peur de vous blesser, que mon pouvoir m'échappe et qu'il fasse des ravages. Je ne veux pas vous faire de mal, Lise, chevrota-t-elle, ses pleurs reprenant de plus belle.

— Ma petite Zoé, chuchota mon autre moi en la prenant dans ses bras. Il n'y a pas de secrets : si tu ne veux pas nous faire de mal, alors jamais ton pouvoir ne s'en prendra à nous. Tu as beau penser qu'il t'échappe parfois, tu restes celle qui le contrôle en dépit de tout. Quand bien même ce jour arriverait, même si je suis persuadée qu'il n'arrivera pas, je ne t'en voudrais pas.

Elle se tut un instant avant de plonger ses yeux dans ceux de la plus jeune.

— La vie est faite pour qu'on fasse des erreurs, ma petite Zoé. Nous-mêmes, nous sommes des erreurs en soi. Nous ne devrions après tout pas exister. Mais je peux en tout cas t'affirmer que tu es la plus belle erreur que j'ai croisé durant mon existence...

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant