CHAPITRE 5 - Lise [5|6]

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Le noir s'abattit sur moi, aussi soudainement que si on venait d'éteindre toutes les lumières. Sous mes pieds, je distinguai à peine quelques touffes d'herbes éparses, seules traces de la vie sous la neige. La senteur humide et boisée de la forêt me parvint. Où étais-je à présent ? Mes souvenirs se remettaient peu à peu en place, mais il y avait encore des trous dans ma mémoire. Je perçus le bruit d'un coup de feu aussi distinctement que si j'étais à côté de l'arme en question.

Je tressaillis si fort que je manquai de tomber au sol. Recouvrant mon équilibre, je me redressai et m'élançai dans la direction où il me semblait avoir entendu le tir. Comme une biche échappant à un chasseur, je sautai par-dessus les troncs couchés, évitai les arbres en slalomant, alors même que je me savais aussi intangible qu'un fantôme et capable de passer à travers.

Mais contrairement à la proie, je ne cherchais pas à m'éloigner de mon prédateur. Bien au contraire. Je devais le trouver. Trouver cet homme qui était derrière tout ça.

La forêt était silencieuse et j'avais l'impression que seul mon souffle venait perturber sa tranquillité. Mais cela ne dura pas. Je trébuchai lorsque des salves de tirs retentirent. Les mains tremblantes de peur, je me relevai, nauséeuse, comme si j'étais sur le point d'assister à un meurtre. Je repartis et accélérai, en dépit de mon cœur qui cognait si fort contre ma poitrine qu'il semblait être sur le point de sortir.

Je n'étais plus dans mes souvenirs, je ne me rappelais pas avoir couru ainsi. Je m'arrêtai. Les tirs semblaient venir de toute part. Pourtant, il n'y avait personne. Je tournai sur moi-même au bord de l'effroi. Pourquoi ne parvenais-je pas à les trouver ? Je suffoquai. Se pouvait-il qu'inconsciemment je ne veuille pas me souvenir de ce qu'il s'était passé ?

D'une certaine manière, c'en était frustrant. Frustrant parce que je désirais me souvenir, je le voulais plus que tout au monde. Même si la vérité faisait mal, même si les autres souvenirs disparaissaient. J'avais à tout prix besoin de me rappeler. Je pressentais que cela m'aiderait à comprendre ce qui se passait et pourquoi je revivais tous ces réminiscences dans un tel désordre. Je criai de désespoir.

Laissez-moi voir ! Je vous en supplie !

Je ne savais ni à qui je m'adressais ni si on m'entendit. Néanmoins, quelques secondes plus tard, je perçus une lumière dans le lointain. De peur qu'elle ne disparaisse, je courus pour la rejoindre. Je débouchai dans une clairière envahie d'hommes armés. Des balles me traversèrent, sans rien me faire. Ils étaient tous en position, encerclant une sorte de carapace d'écorce. Intriguée, je m'approchai. Mais je me stoppai une nouvelle fois.

Une forme venait de s'extirper et passer à travers le dôme. Un être d'eau... qui avait mes traits. Était-ce moi ? Avec surprise, elle me regarda dans les yeux, comme si elle parvenait à me voir, avant de se détourner vers les soldats. Un seul tir brisa le silence. Je voulus me précipiter avant de remarquer que, comme moi actuellement, rien ne l'atteignait.

Une fois encore, tout se troubla. Il faisait sombre et la clairière avait disparu, tout comme la neige. Un mur de pierre m'isolait du monde extérieur, comme une plante captive en serre. À l'image du conte de La Belle et La Bête et de sa rose enchantée, les fleurs continuaient de pousser avec une magnificence irréelle, malgré l'absence de soleil. Était-ce grâce à Rex ? Les tirs de balles me revinrent en mémoire. Comment s'était clôturée cette bataille quelques secondes plus tôt ?

Je m'avançai et passai au travers de ce champ de fleurs irréel. Ils étaient tous là. Aldo, Zoé, Loan, Néo – dont je me rappelais à présent l'existence – et Rex. Ce dernier était à genoux et semblait reprendre son souffle. Était-ce lui qui nous avait protégé de ces hommes grâce à ce dôme ?

Je m'observai avec circonspection. Je flottais dans l'air, semblable à un saphir lévitant au-dessus du sol, les yeux ouverts et brillant de leur énergie. Pourquoi étais-je ainsi ? Je contemplai mes amis, dans le même état que moi, suspendus en l'air comme des pantins de bois. Seul l'un d'entre nous était encore conscient : Rex. Il glissa au sol et mon cœur eut un raté. Que se passait-il ?

Il avait l'air mal en point, épuisé. Je me précipitai auprès de lui, bien qu'il ne fût pas en mesure de me voir. Ses yeux se mirent à luire de magie, vibrante comme une émeraude. J'en étais presque soulagée. Mais cela ne dura pas. Son regard recouvrit sa normalité. Un pli soucieux barra mon front, tandis qu'une nouvelle fois, la panique me prenait aux tripes.

Je ne savais pas quoi faire, tout simplement parce que je ne pouvais rien faire dans l'état actuel des choses. Rex sembla à son tour se rendre compte de sa faiblesse et de son absence de magie, à contrario de nous autres et de nos corps qui brillaient de pouvoirs. Il eut un sourire contrit, empli de tristesse et de souffrance.

Je sentis une multitude de poignards, aussi durs que des diamants et aussi tranchants que des lames de rasoirs, s'enfoncer dans ma poitrine.

Et même si l'arme n'existait que dans ma tête, la souffrance, elle, était bien réelle.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant