CHAPITRE 5 - Lise [6|6]

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Une larme solitaire dévala la joue de celui qui avait été mon premier ami Sigma. Mon meilleur ami. Et celui que je considérais comme ma famille. À l'instant où elle toucha le sol, ce dernier se couvrit de nouvelles fleurs, lumineuses comme l'éclat blanchâtre de la lune devenue désormais invisible. Ces dernières s'ajoutèrent à celles déjà présentes.

Je m'écroulai au sol, je ne pouvais même pas le serrer dans mes bras. Je prenais conscience de ce qui était en train de se dérouler sous mes yeux : Rex était en train de mourir... Non, ce n'était pas possible ! Il devait vivre ! Il avait encore tant de choses à découvrir ! Il m'avait fait la promesse qu'un jour il m'emmènerait au cinéma, comme deux adolescents normaux pris par l'ivresse de la vie.

Je perçus ses quelques mots à notre attention qui ne firent que retourner le couteau dans la plaie. Je sanglotais à présent. Je haïssais cet être supérieur – que ce soit Dieu, le destin, la providence, quel que soit son nom – qui était en train d'arracher ma moitié comme de la mauvaise herbe. Son regard se vida tandis que sa vie s'échappait.

Rex n'était plus.

Comme une grande explosion, le dôme, qui nous protégeait des hommes qui nous avaient attaqué, disparut et laissa derrière lui une multitude de paillettes identiques à la couleur du pouvoir de mon ami...

Je m'effondrai, incapable de retenir les spasmes de tristesse qui m'agitaient comme autant de coups qu'on m'infligeait. Courbée en deux sur son corps, je ne vis pas cet homme arriver avec ses soldats. Il s'accroupit au-dessus de Rex. J'aurais voulu le griffer, l'empêcher de mettre la main sur lui, mais mes ongles passèrent au travers.

Il était le Diable. C'était la seule chose dont je me souvenais. Il posa ses doigts sur le cou de mon ami et je repris espoir. Était-il finalement encore en vie ? Cet homme pouvait-il l'aider ?

À cet instant, peu m'importait qui était cette personne au fond, peu m'importait la raison pour laquelle nous nous étions mis à l'affubler du surnom de Diable. S'il était en mesure de sauver mon ami, je voulais le laisser agir.

Mais ce dernier détourna la tête, et je perçus un court moment le larmoiement de ses yeux. Mon monde finit de s'écrouler, tandis que ses mots m'achevèrent et m'enfoncèrent encore plus loin sous terre.

— Il n'y a plus rien à faire pour lui...

Il se tut, l'espace de quelques secondes, avant de se reconcentrer sur l'instant présent.

— Emmenez les autres, ordonna-t-il.

Il se redressa mais ne se releva pas. Un individu en blouse blanche s'approcha et posa une main sur l'épaule de l'homme.

— Je suis désolé, Segger, souffla-t-il, je sais combien tu tenais Rex en estime.

La souffrance s'empara de son regard.

— Même si nous étions en quelque sorte deux ennemis, je le respectais. Il a toujours été le seul à me connaître, à lire en moi. Je n'ai jamais voulu que cela se termine ainsi...

— Que voulez-vous faire ? Ramener son corps au centre ? proposa le scientifique en réajustant ses lunettes.

— Non. Laissons-le là. C'est ici qu'il a toujours voulu être. Je lui ai sans cesse empêché de vivre en liberté. Et maintenant qu'il n'est plus de ce monde, je ne veux pas m'acharner. Il mérite de reposer pour l'éternité en ce lieu.

Il se pencha au-dessus de mon ami et sortit un sachet de sa poche. Il le retourna et laissa tomber au creux de sa paume un petit collier. Ce dernier était composé d'une lanière en cuir brun foncé et d'un pendentif en forme de feuille, visiblement une aventurine. Il le glissa délicatement au cou de Rex, et lui chuchota :

— Je te rends ta liberté Rex, et ce collier qui t'appartenait...

Il se releva, l'observa encore une dernière fois, la tristesse empreinte dans son regard. Puis il se détourna.

Alors c'était ainsi que tout se terminait ?

Rex mort et nous prisonniers de cet homme ?

J'avais eu l'âme chevillée au corps ma vie durant. Je ne pouvais plus faire semblant. Je n'avais plus la force de me battre. Je voulais juste rester ici pour toujours. Avec lui.

Le noir s'abattit sur moi, comme une chape de brouillard, recouvrant tout. Rex disparut, on m'arracha à lui. Je savais que j'étais juste en train de dormir, de rêver et de me rappeler mon passé. Mais je ne voulais pas le laisser partir ainsi. Je fermai les yeux en criant son nom, encore et encore.

Une lumière puissante me brûla la rétine, quand j'essayai de rouvrir les paupières. J'entendais un écho à ma voix. Mais ce n'était plus Rex qu'on appelait. C'était moi. Tout doucement, je recouvris mes sens. Je perçus un tambourinement devant moi, ainsi que l'odeur de désinfectant. Un goût métallique emplissait ma bouche comme si je venais de me mordre la joue. Ce qui était possible. Je retentai d'ouvrir les yeux tandis que les sons étaient encore confus, comme si j'étais prisonnière d'une bulle.

Je comptai jusqu'à dix. Il me fallut quatre essais avant de parvenir à les garder entrouverts sans les refermer directement. Je ne percevais que des formes indistinctes et floues. Un cri vrilla mes tympans et je couvris mes oreilles. Mes bras me semblaient si faibles, si lourds. Je rouvris les paupières et cette fois-ci se fut plus net. Les larmes me vinrent quand je reconnus ma petite Zoé. J'étais si heureuse de la voir.

Je m'en voulais de me réveiller maintenant, car je savais que je détruirais les bases de notre groupe – à présent bien fragiles – en leur annonçant la mort de notre leader. Ou en la confirmant, si Segger leur avait révélé la vérité. Zoé parut soulagée de me voir. Je voulais la serrer dans mes bras, pleurer contre l'épaule de notre benjamine. Mais deux vitres solides nous séparaient.

Alors je n'avais pas rêvé...

Nous étions bel et bien prisonniers du Diable.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant