CHAPITRE 6 - Zoé [3|6]

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Je n'osai plus perdre de vue mon ami, de peur qu'il ne perde la vie devant moi sans que je ne sache quoi faire...

Mais il n'en fut rien. Il racla l'assiette avec un morceau de pain et quitta la table sans un mot, suivi par trois soldats. Je ne lâchai des yeux sa silhouette seulement quand je ne fus plus en mesure de la voir. Que s'était-il donc passé ? Avais-je mal compris les messages de Loan ? Quelle était la raison de ses agissements ?

Je détournai mon regard du couloir à présent vide et me reconcentrai sur la nouvelle assiette que l'on avait placé devant moi. Comment savoir si elle non plus n'était pas empoisonnée ? La fourchette encore en main, je commençai à touiller l'étrange mixture peu appétissante.

Lise se leva à son tour et s'en alla sans un mot. Je détestais les temps de repas. Nous étions si proches les uns des autres, nous aurions pu nous soutenir et échanger. Mais la règle d'or était primordiale : ne pas parler avec qui que ce soit.

Je n'en pouvais plus de ce mutisme. J'avais besoin de parler à mes amis, de crier ma colère à ces personnes qui n'avaient pas de cœur. Je détestais ces fameuses règles qui nous privaient de nos droits. Elles creusaient petit à petit un large fossé qui séparait chacun d'entre nous un peu plus chaque jour. Nos liens avaient été si forts pourtant...

À l'image d'un puzzle, la pièce qui me représentait ne s'emboitait plus à côté de celles de Lise, d'Aldo, de Néo et de Loan. Je n'étais plus conforme, plus assez proche d'eux pour savoir où était ma place dans ce casse-tête géant.

Je quittai ma chaise, l'appétit coupé. Je n'étais de toute façon même pas sûre de l'avoir eu. Et comme rien ne me garantissait que la nourriture de l'assiette que l'on m'avait à nouveau servi n'avait rien de mortel, je préférais ne pas y toucher. Segger était-il seulement au courant des manigances de ses soldats ? J'en doutais... Je n'étais pas certaine qu'il puisse leur avoir autorisé de réaliser une telle chose.

Trois soldats dans mon dos, je regagnai ma chambrée, muette. Ma trente-deuxième journée prenait fin et j'allais enfin pouvoir regagner ma zone de confort. Notre dortoir était grand, mais il ne comportait rien d'autres que cinq matelas, chacun placé dans des cages individuelles. Segger nous avait apparemment réuni pour mieux nous surveiller.

Était-ce aussi une stratégie pour semer la discorde entre nous ?

« Diviser pour mieux régner » comme on dit...

Sur ce point-là, on ne risquait pas grand-chose. Comme nous nous murions tous dans le silence, il était peu probable que quelqu'un comme ce Diable parvienne à nous opposer pour nous affaiblir et nous influencer. La seule chose qui pourrait briser l'unité de notre groupe déjà en péril, ce serait une trahison, un mensonge, un pacte avec l'ennemi...

Je pris place dans ma cellule, sans un regard pour les soldats, sans un regard pour mes amis. J'étais fatiguée, lassée d'espérer que l'un de ces derniers veuillent se mettre à parler. Pendant une semaine entière j'avais lutté contre le sommeil à chaque début de soirée. Je m'imaginais que quelqu'un se déciderait enfin à discuter avec moi. Mais il n'y avait jamais rien eu jusque-là.

Alors que la porte en verre blindée de ma cage se refermait, je m'affalai sur mon matelas. Ce n'était pas du luxe apparemment, mais pour une personne qui n'avait pas connu ça depuis des mois, ça l'était amplement. Je soupirai, aux anges. Je pouvais enfin me poser, respirer, sans redouter que l'on m'attaque tout à coup.

Il se passa ce qu'il me semblait être une heure avant que je n'entende de nouveau du grabuge dans les couloirs. Des agents semblaient s'affairer dehors, je ne savais pour quelle raison. La porte s'ouvrit brutalement, réveillant ceux parmi nous qui s'étaient assoupis. Je me redressai, surprise que quelqu'un vienne ici alors que nous étions censés être enfermé jusqu'au lendemain matin.

L'obscurité de la pièce n'aidait pas à reconnaître les deux personnes qui se tenaient dans l'encadrement de la porte. Mais, à leurs voix, je sus que je les avais déjà croisé plusieurs fois dans les couloirs de la Sigma Corpse.

— Que tout le monde se lève immédiatement ! Allez dépêchez-vous ! vitupéra l'un d'eux.

Je ne me fis pas prier et bondis sur mes deux jambes, pourtant fragiles. Je vis Lise, Néo et Loan faire de même. Mais pas Aldo. Je regardai sa cellule : elle était vide. Où était-il ? Avait-il réussi à fuir les soldats ? Aurait-il seulement osé s'échapper sans nous ? Je n'y croyais pas une seule seconde.

Les deux gardes s'approchèrent un à un de nos cages pour les ouvrir. Venaient-ils nous délivrer ? Faisaient-ils partie de nos alliés ? Peut-être qu'Erik leur avait demandé de venir nous sauver pendant la nuit ?

Malgré leurs actes, quelque chose dans le regard me faisait penser le contraire : ils avaient tout sauf l'air de vouloir nous aider. Mais là encore, il m'était impossible de savoir la vérité et il pouvait très bien s'agir d'un rôle qu'ils devaient jouer pour ne pas perdre leur statut d'intrus.

— Vous allez écouter attentivement ce que l'on va vous demander. Si un seul d'entre vous tente quelque chose, on lui tirera dessus. Et pas dans la jambe comme je l'ai fait pour votre compagnon ! ricana-t-il alors qu'un troisième homme poussait quelqu'un au milieu de la pièce.

Aldo !

Mon ami était bien amoché : des hématomes lui parcouraient le visage et les bras, sa lèvre était tuméfiée et il semblait au bord de l'évanouissement. Son pantalon blanc était devenu rouge sang. Que lui était-il arrivé ? Pourquoi cet homme lui avait tiré dessus ?

— Que lui avez-vous fait ? m'écriai-je, effrayée par les grimaces d'Aldo.

— Ce ne sont pas tes affaires, gamine ! Si l'un de vous cause encore, j'achève ce gosse ! menaça le soldat en pointant son arme sur le corps immobile de mon ami, le doigt sur la gâchette.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant