CHAPITRE 7 - Loan [2|4]

14 6 6
                                    

D'une certaine manière, il était un peu plus complexe qu'il n'en avait l'air et je n'étais pas certain d'être capable de l'expliquer correctement à mes semblables. D'autant plus que je m'attendais à ce qu'il évolue encore...

Je ne pouvais pas seulement disparaître : j'étais en réalité capable de me rendre invisible aux yeux de ceux que je voulais. La différence en elle-même était fine sur ce point – presque ridicule d'ailleurs par rapport au reste – mais cela m'apportait beaucoup de choses. Je m'étais jusque-là contenté de me fondre dans la masse, peu importe qui il y avait en face. Si j'avais accordé un peu plus d'attention à mes facultés, j'aurais pu m'éviter bien des risques et bien des efforts inutiles.

Si je l'avais voulu, j'aurais pu rester visible aux yeux d'Aldo la première fois que nous avions infiltré la Sigma Corpse. De même avec Zoé quand nous avions entrepris de sauver Néo et le reste de son groupe. J'avais eu bien des occasions et pas une seule fois je m'étais rendu compte de cette nuance.

Aujourd'hui, j'avais découvert en un mois bien plus de choses sur mes aptitudes que cela m'avait pris en trois ans. J'avais presque envie de remercier Selkins pour ça. Toutefois, je m'en étais abstenu, car lui ne s'était aperçu de rien.

Cela n'était pas le seul changement, bien au contraire. Je ne savais pas si je devais remercier la stupidité des soldats ou non, mais j'avais la certitude que je ne m'en serais jamais rendu compte sans eux. Quelle ironie !

Nos capacités suscitaient chez eux tellement de peur qu'ils avaient choisi d'agir en catimini, par le biais de coups bas. Le premier que j'avais dû subir était l'empoisonnement. Quoi de mieux qu'un peu de poison dans un repas pour éliminer un enfant qu'ils voyaient comme un véritable danger ?

J'imaginais sans mal le plaisir qu'ils auraient pris en me voyant succomber à cette substance toxique. Mais, malheureusement pour eux, cela n'avait pas été le cas. Grâce à leurs fourberies, j'avais pris conscience que mon corps était capable de lui-même de détecter des produits mortels et de les rendre absolument inoffensifs.

Je me souvenais avec précision du moment où j'avais plongé ma fourchette dans cette bouillie – qui avait au moins le mérite de donner l'impression de satiété – avant de l'engloutir. Le goût de la mixture contenue dans l'assiette était atroce et j'avais senti mon don affronter le poison. Je me remémorai le mal de ventre que cela avait occasionné, la sensation de faiblir avant que tout ne redevienne complètement normal.

J'avais conscience que je l'avais échappé belle ce jour-là...

Depuis, je faisais tout mon possible pour prendre mon temps pendant les repas, m'arrangeais pour tomber pendant les créneaux de mes amis. Je pouvais ainsi surveiller ces soldats sans scrupule et m'assurer qu'ils ne s'en prenaient pas à mes compagnons. J'étais certain qu'ils ne s'arrêteraient pas à cette première tentative. Je savais que beaucoup d'entre eux continueraient, essayeraient encore et encore de nous éliminer dans le dos de Segger.

Je savais que des évolutions sur mes facultés viendraient encore. J'avais pris conscience que mon pouvoir se rapprochait en réalité plus des cinq sens que de l'invisibilité elle-même et je gardais espoir de pouvoir plus tard agir sur l'ouïe, le toucher et l'odorat. Pour le moment j'étais capable d'influencer la vue et le goût. Ce n'était qu'un minuscule panel de mes aptitudes mais cela relevait pour moi de capacités hors du commun.

Plus tard j'espérais être capable de devenir à la fois invisible, intangible, imperceptible et impalpable.

Je reportai mon attention sur l'agent Steewell qui continuait de s'approcher de Zoé. Mais le lieutenant changea au dernier moment de direction et se détourna d'elle, comme s'il avait subitement trouvé une bien meilleure idée. Il regarda Lise droit dans les yeux, tel un prédateur avant d'attaquer sa proie. Elle se tenait tout juste à ma gauche, à un mètre à peine. Je la vis se figer imperceptiblement, retenir son souffle, la peur envahir ses traits habituellement si calme.

J'aurais aimé réagir, la protéger elle aussi de cet homme, mais mes jambes étant paralysées. Encore une fois, je baissai les yeux sur ce fameux bracelet. L'agent Steewell avait raison. Sans nos pouvoirs nous n'étions rien. Rien que des enfants terrifiés par la situation qui tournait au vinaigre.

Je serrai les poings, comme si cela permettait de bloquer l'angoisse qui s'emparait un peu plus de moi à chaque seconde. Ce soldat était un véritable danger et j'avais peur de déverser sa colère sur mes amis si je m'en prenais à lui.

Malgré tout ça, j'étais résolu à faire quelque chose, peu m'importait quoi. Je jetai un regard à Aldo et Néo. L'un comme l'autre, ils ne semblaient pas savoir quoi faire et je lisais dans leur regard qu'ils avaient le sentiment que cela précipiterait les choses s'ils attaquaient.

— Pourquoi nous avoir tendu ce piège ? Si ce n'est pour savourer le plaisir d'avoir fait naître en nous l'espoir avant de le réduire en miettes ? Expliquez-vous au moins ! tentai-je prudemment, ayant conscience des risques que je prenais en lui adressant la parole.

Je n'avais pas envie d'envenimer les choses et j'espérais que mes mots lui feraient oublier les idées malveillantes qui semblaient lui trotter dans la tête. Ma question était plus qu'honnête et j'attendais à présent qu'il nous dise la vérité.

Pour l'avoir croisé plusieurs fois les années précédentes, quand j'avais été enfermé dans ce centre en compagnie de Rex, je savais que cet homme agissait bien trop souvent comme bon lui semblait. Alors, quoiqu'il dise, je savais que cette mise en scène était son idée, qu'il avait conscience que nous chercherions à prendre la poudre d'escampette.

L'évidence était frappante : notre fuite avait été d'une facilité déconcertante. On avait trouvé une trousse de soin – périmée mais tout de même utile – pour Aldo, un conduit qui nous avait mené ici, des objets en tout genre pour bloquer la porte. Tous ces détails prouvaient que ce n'était en rien un hasard.

Cet homme était de loin le pire de tous : il s'était joué de nous, avait insufflé en nous l'espoir avant de le piétiner sauvagement.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant