CHAPITRE 8 - Zoé [5|7]

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Était-ce vraiment Loan ?

Le Loan que je connaissais ?

Je me sentis bête de croire une telle chose. Ce n'était sûrement qu'une coïncidence ! Ce prénom devait être monnaie courante dans les environs. L'enfant retira ses lunettes de ses mains tremblantes. Un flash me revint brusquement : Loan, lors de l'évasion du groupe de Néo, avait été frappé durement par un Officier Blanc. L'hématome violacée qui pochait son œil gauche était semblable à celui du Loan de ce monde. Et à y regarder de plus près, c'était bien mon ami. Il semblait certes tout chétif, tout peureux, mais c'était bien lui, j'en étais certaine.

Que lui était-il donc arrivé ? Au moment où je me posai cette question dans ma tête, Kate le fit à voix haute. Sa mère sembla gênée de lui répondre et baissa même les yeux.

— Mon fils n'est pas bagarreur, mais, ses petits camarades, oui. Ils lui ont racketté l'ensemble de sa trousse et de ses cahiers...

Je me rendis compte du fossé qui séparait le Loan que je connaissais et celui-là. Je ne l'aurais peut-être pas reconnu si sa mère n'avait pas révélé son prénom.

Mon attention fût détournée par une petite silhouette qui passa en courant devant moi. Un médecin était à sa poursuite à l'autre bout du couloir et cria :

— Ikki, reviens ! Attrapez cet enfant, s'il vous plaît !

Je me levai, comme un vieux réflexe quand je voyais quelqu'un courir après un autre. Je le rattrapai en moins de deux mais, au lieu d'attendre le médecin, je tirai le jeune garçon dans la première chambre que je croisai, au détour d'un couloir.

Il faisait sombre dans la pièce, mais il ne semblait y avoir personne. Néanmoins, malgré la faible luminosité, je parvenais à voir le visage d'Ikki. Lui n'avait pas changé. La même bouille craquante et les mêmes grands yeux graves. Je tenais encore sa minuscule main dans la mienne.

Je repérai un petit bracelet qui enserrait son poignet. Il était inscrit un mot que je ne saisis pas. L'écriture des médecins était vraiment catastrophique. Je distinguais vaguement un L en première lettre, mais rien de plus. Le jeune enfant tremblait de tout son corps, le souffle court d'avoir ainsi couru. Je me penchai vers lui, après avoir entendu le médecin passer devant notre chambre.

— Ça va, Ikki ?

Il releva la tête vers moi, son regard brun ambré un peu perdu. Avais-je dit quelque chose qu'il ne comprenait pas ? Et si... Et s'il parlait une autre langue ? Je retins ma respiration à cette idée avant de soupirer. J'étais bête ! Le médecin avait parlé en français, Ikki devait avoir compris.

— Comment tu sais comment je m'appelle ? hésita le petit angelot, inquiet et méfiant.

La bourde ! Mon esprit tourna à toute vitesse avant de trouver l'excuse la plus plausible.

— Le médecin t'a appelé comme ça, donc je me doute bien que c'est ton prénom.

Il hocha la tête, comme si ma réponse lui convenait. J'espérais juste qu'il n'avait pas senti mon stress. Je me laisser glisser le long de la porte pour me retrouver assise. Ikki m'imita et je tournai la tête vers lui.

— Pourquoi fuyais-tu le médecin ?

— Il m'a interdit de ressortir de l'hôpital, alors qu'il m'avait promis qu'il m'autoriserait ! lâcha l'enfant, les yeux luisants de tristesse. Je veux sentir le soleil sur mon visage, et même s'il fait pas beau, la pluie ! Dehors me manque...

Il éclata doucement en sanglot. Je le pris doucement dans mes bras, comme une grande sœur l'aurait fait. Pourquoi ce petit ange était-il ici, dans un hôpital où la sévérité des hommes ne laissait aucune place à la compassion ou la tendresse ?

— Alors tu as essayé de t'enfuir pour voir le soleil ? déduisis-je d'une douce voix tandis qu'il hochait la tête pour confirmer.

— Il ne veulent plus que je sorte depuis que j'ai cette maladie, renifla-t-il, au comble du malheur. La le... la le... la leu...

— La leucémie ? l'aidai-je en sentant mon cœur se fissurer de toute part face à cette révélation.

Il confirma mes craintes en secouant une nouvelle fois la tête. Mon cœur était en miette. Je sentis les larmes me monter mais je les retins. Voilà donc ce qui était marqué sur son petit bracelet. Je ravalai le sanglot qui pointait et lui confiai, d'une voix un peu trop rauque pour être naturelle :

— Si tu veux, tu peux aller sur le toit de l'hôpital. À cent mètres sur ta droite après cette chambre, il y a des escaliers qui montent là-haut. Il n'y a jamais personne qui y va donc tu seras tranquille. Et tu pourras voir le soleil et contempler la ville. Ça te dirait d'y aller ?

Les yeux brillants, d'espoir cette fois-ci et pas de larmes, Ikki acquiesça. Je le laissai partir seul. Je ne pouvais pas retenir plus longtemps que ça ma peine. Lorsque la porte se referma sur sa bouille d'ange, je soupirai en serrant les lèvres pour que le gémissement de tristesse qui montait en moi ne me trahisse pas.

Je me relevai et m'avançai dans la pièce aux rideaux tirés. Je la croyais vide, mais elle ne l'était pas. Il y avait un garçon qui dormait là, les yeux clos, le souffle léger. Je n'avais même pas entendu le bip de l'électrocardiogramme. Je m'approchai un peu, cherchant à distinguer les traits de son visage. Il paraissait jeune. Des dizaines de tubes l'entouraient. Certains perfusés à ses bras, un autre allant à ses narines pour qu'il respire.

Il avait les cheveux châtain foncé et la peau blanche comme la lune. Elle paraissait si clair qu'on aurait dit qu'il n'avait pas vu le soleil depuis bien longtemps. Je me stoppai net, tandis que mon cœur s'arrêtait avant de repartir de plus bel, avec une rapidité et une force qui me fit chanceler.

Je me précipitai sur la plaquette, au bout de son lit, et cherchai parmi les lignes gribouillées du médecin un prénom. Mes doigts tremblaient, l'adrénaline affluait dans mes veines, brouillant ma vision tandis que je m'affolais intérieurement. Il fallait que je voie son nom ! Je devais confirmer que cette personne devant moi était bien celle que je croyais être...

Mon regard s'arrêta sur trois petites lettres. Je fondis en larmes, incapable de me contenir. Je fis le tour du lit pour prendre la main de mon ami, plongé dans le coma comme moi il y avait peu. Un coma dont on l'arracherait dans quelques jours, comme en attestait la phrase marquée sur la plaquette.

Date de débranchement : le 22 mars 2018, soit dans moins de deux semaines.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant