CHAPITRE 9 - Lise [1|4]

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En me réveillant, le soleil perçait à travers les rideaux en tulle jaune, nimbant la pièce d'une lueur apaisante. Dans la quiétude des lieux, au milieu de la douceur des draps sentant les agrumes frais et la camomille, j'étais emmitouflée dans une chaleur bienfaisante.

J'avais l'impression d'être replongée dans mon enfance, cette vie lointaine où, avant que ma mère ne soit prise dans l'obsession de faire de moi une future Mozart, on m'autorisait à rester au lit les dimanches matins. Dans ces instants-là, mon père poussait la porte délicatement et entrait avec un plateau rempli de nourriture.

J'arrivais presque encore à sentir cette fragrance familière du chocolat chaud onctueux et des viennoiseries croustillantes. Je rêvais de mordre dans une bonne tartine de confiture de mûre et de retrouver la saveur qui explosait dans mon palais à chaque bouchée.

Je me recroquevillai sur moi-même, serrant ce qui devait être une peluche dans mes bras. Comme c'était agréable de vivre ainsi. Ce luxe, pourtant si banal, était pour moi plus que suffisant. J'avais conscience que cela était dû à ces dernières années passées en forêt.

À ce moment-là, enfouie sous la couverture, savoir où je me trouvais ne m'effleura pas l'esprit, ni même ce que cela pouvait impliquer. Je ne songeais qu'à ce bien-être précieux dans lequel je me trouvais, bercée dans ce cocon.

Mais le confort qui embuait mon esprit disparut soudainement, remplacé par la douleur insupportable des souvenirs.

Ceux du centre de Segger, de notre séquestration, des expériences de Selkins menaçant de me tuer à chaque nouvelle vague, de notre tentative de fuite vaine.

Et, inévitablement, celui du tatouage.

Si le soleil ne m'avait pas réveillé, une chaleur cuisante y était parvenue. J'aurais voulu sauter du lit, dans l'espoir peut-être de trouver de quoi soulager ma souffrance, un robinet pour laisser l'eau apaiser ma brûlure. Toutefois, je n'en avais pas l'énergie.

Le mal cessa aussi brusquement qu'il était apparu et, en baissant mon regard sur mon poignet, je ne vis rien. Rien hormis le relief de mes tendons, de mes vaisseaux sanguins bleutés et de ma peau fine. Pas la moindre chair carbonisée, pas une seule inscription au fer rouge.

Je me mis à pleurer, à haïr, à jurer contre cette humanité en laquelle j'avais encore un peu confiance, contre cette loi immuable de la raison du plus fort, contre ces hommes et femmes qui, même s'ils n'approuvaient pas certains actes, n'agissaient pas.

Je ne leur avais pourtant rien fait, mais je savais leurs démons nombreux. Lâcheté. Jalousie. Peur. Sadisme. Cruauté. Qui en ce monde pouvait se permettre d'être au-dessus des lois ? L'esclavage avait été aboli, le kidnapping, puni sévèrement, l'exploitation de mineurs, condamnée. Alors pourquoi personne ne faisait rien ?

Il fallut un moment pour que je retrouve mon calme, pour que j'apaise les tourments qui étaient miens, que je rattache le nœud de ma vie à celui de mes semblables. J'avais répété leurs noms encore et encore dans ma tête. Comme si cela les ferait apparaître devant moi. J'avais tant besoin d'eux, de leur soutien. Mais quand je rouvris une nouvelle fois les yeux, ils n'étaient pas là.

Il n'y avait que ces murs beige chanvre et vert malachite, ces rideaux jaune pastel et ce petit bureau en bois de merisier, reposant à quelques mètres de moi. Cette chambre était la mienne. Celle où j'avais vécu avec mes parents avant que mes dons ne se manifestent, avant que ma vie ne prenne un tel tournant drastique.

Un sentiment de profonde solitude me serra la poitrine. Cette pièce me rappelait mes plus secrets désirs, et mes plus grands regrets. C'était plus qu'un simple lieu à mes yeux : il symbolisait une vie qui aurait dû se dérouler sans accroche.

Ma vie.

Je reportai mon attention sur mon poignet, intact. Que se passait-il ? Pourquoi n'y avait-il point la marque de l'agent Steewell ? Ce S tout en simplicité qui venait rappeler aux communs des mortels comme à moi-même ce que j'étais véritablement : une Sigma.

Un monstre pour les uns, une erreur pour les autres.

Multiples questions me tourmentaient. Pourquoi étais-je de retour chez moi ? Où se trouvaient Aldo, Zoé, Loan et Néo ? Que s'était-il donc passé après mon évanouissement ? Quelqu'un était-il venu à notre rescousse ? Était-ce Erik ? Quelqu'un d'autre ? Et pour quelle raison m'avait-on fait revenir ici ?

Je craignais que mes plus noirs cauchemars ne repartent de zéro, que mes pires souvenirs ne recommencent. L'histoire se répéterait indubitablement : les curieux viendraient sonner à notre porte, les journalistes débouleraient à toute heure, la pression médiatique se ferait intense, Segger me retrouverait. Et, au milieu de ce remue-ménage, mes parents craqueraient et je me verrais à nouveau dans l'obligation de fuir.

Je mis un moment à réaliser que je n'étais pas libre de mes mouvements. À mes bras étaient perfusées de nombreuses aiguilles. Elles s'infiltraient sous ma peau pour m'injecter des produits directement dans les veines. L'idée fugace de les arracher me traversa l'esprit, sans doute parce que j'appréhendais que ce ne soit rien d'autre qu'une nouvelle invention de Selkins.

Mais je savais aussi que cela serait douloureux et que cela risquait plus de m'attirer des ennuis qu'autre chose. Ceux qui m'avaient mené ici comprendraient bien assez vite que je venais de me réveiller. Il me fallait un plan, une stratégie pour m'échapper.

J'avais peur que ma présence dans cette pièce ne soit qu'une autre ruse de l'agent Steewell. Comme la dernière fois, il jouait avec nous. Il créait en nous l'espoir, ravivait notre soif de liberté pour mieux nous briser plus tard. Tel un chasseur abattant sa proie, il nous laissait croire en un avenir meilleur pour ensuite nous faire vivre un véritable enfer.

Voilà ce que j'étais pour lui, un animal sans défense avec qui il pouvait s'amuser comme bon lui semblait. Cet homme s'était lancé au cœur d'une guerre psychologique dans le seul but de nous détruire.

Mais, malheureusement pour lui, il était trop tard pour moi. Mon âme et ma raison d'être étaient partis depuis déjà un certain temps.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant