CHAPITRE 10 - Zoé [3|3]

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Mon prénom dans sa bouche semblait tellement familier. Même sa manière de me parler était particulière, différente de celle qu'elle utilisait pour s'adresser aux autres. On aurait dit qu'elle échangeait avec moi comme si nous étions des connaissances de longue date. Sa prise sur mes mains se raffermit et me ramena au présent.

— Zoé, tu dois arrêter de prendre les cachets du docteur Ranian ! Ils ne sont pas bons pour toi ! Tu ne dois absolument pas faire confiance à Segger, il est manipulateur et dangereux !

Estomaquée, je restai sans voix. Comment savait-elle que le docteur Ranian m'avait prescrit des antidépresseurs ? Et que Segger était mon psychologue attitré ? Je fronçai les sourcils, contrariée.

Un souvenir subit refit surface : celui de Lise quittant le bureau de Segger. Pourquoi ne m'en étais-je pas souvenue plus tôt ? Et pourquoi quelqu'un comme elle avait besoin de voir un psychologue ? Je chassai cette interrogation inutile.

— Comment sais-tu tout ça ? balbutiai-je, partagée entre colère et sidération. Et puis... Pourquoi donc devrais-je t'écouter ? Tu viens après tout de me révéler des choses sur moi alors que je ne t'en ai jamais parlé ! Même ma meilleure amie Lydie l'ignore !

Je m'insurgeai à l'idée qu'elle ait pu accéder à mon dossier médical. Était-ce Segger qui le lui avait transmis ? Non, ce ne pouvait pas être lui. Pas alors qu'elle venait de me montrer à quel point elle ne l'aimait pas. Lise n'avait toujours pas lâché ma main, s'y cramponnant tel un marin se maintenant au bastingage de son navire en pleine tempête.

J'hésitai entre m'écarter d'elle ou ne plus bouger d'un pouce. Était-ce moi qui devenait folle ? Comment pouvais-je être si contradictoire ?

— Je le sais parce que, comme toi, je vois Segger toutes les semaines, et que, moi aussi, j'ai dû faire un point avec le docteur Ranian. Et par le plus grand des hasards, il m'a aussi prescrit des médicaments dont on ne connaît même pas les effets, soupira-t-elle avec une pointe d'ironie. Étrangement, après ça, j'ai commencé à perdre la mémoire. Il m'a suffi d'arrêter le fameux traitement pour retrouver mes souvenirs.

— Mais de quoi tu parles ? soufflai-je en tentant de m'éloigner d'elle, confuse et troublée. Tu te rends compte que ce que tu dis n'a absolument aucun sens ?

— Vraiment ? Ça n'a aucun sens ? Mais alors pourquoi tu m'as oublié Zoé ? Comment as-tu pu ne serait-ce que supprimer ta meilleure amie de tes pensées ? argua-t-elle, les yeux larmoyants.

Lise me prit de court.

— Mais nous ne sommes pas meilleures amies... Encore moins amies ! lâchai-je en secouant la tête, désorientée.

— En es-tu si sûre ?

J'étais perdue. De quoi parlait-elle ? Si elle et moi avions été autre chose que des étrangères l'une pour l'autre, je m'en rappellerais. Et en même temps, je me souvins que j'avais réussi à oublier nos multiples rencontres dans la salle d'attente de Segger.

Il y avait aussi cette sensation. Celle qui me laissait entendre, quand j'étais près d'elle, qu'elle était plus qu'une inconnue. Comme si elle était ma vraie famille. Mais cela n'avait aucun sens. La mienne était composée de mes parents et de mon jeune frère. Lise n'y avait jamais eu sa place.

Et pourtant... J'avais sans cesse l'impression d'être à part. J'avais cru que ce sentiment disparaîtrait avec le temps, mais il était tenace, ancré dans toutes les fibres de mon corps. Je subissais un malaise persistant.

— Écoute Zoé. Qu'as-tu à y perdre d'arrêter de prendre tes médicaments pendant une semaine pour voir ? reprit Lise. Ce ne sont que des antidépresseurs. De ce que j'ai vu, tu n'en as nullement besoin. Tu as tout le temps l'air heureuse quand je te vois.

— Je ne peux pas te faire confiance comme ça. Tu n'es ni médecin, ni psychologue, déclarai-je avec méfiance.

— Pourquoi ne pourrais-tu pas croire en moi ? me rétorqua-t-elle avec cette franchise qui lui était propre. Car on ne se connaît pas ? Et bien détrompe-toi. Je te connais mieux que Lydie, mieux que toi-même ! Je sais que tu as la fâcheuse habitude de te ronger les ongles quand tu stresses, que tu fais une grimace quand tu es mécontente ou que tu hausses un sourcil quand tu es sceptique, comme tu viens de le faire à l'instant. Que tu troquerais ta vie entière pour croquer dans une tomate tout juste sortie du jardin. Que tu préfères la glace à la vanille. Que tu détestes l'école et les devoirs et que tu partirais volontiers à l'inconnu. Que tu es tel un volcan en effusion, tu peux exploser à chaque instant car, en tant qu'hypersensible, tu ne vis pas les situations comme nous. Je sais que tu adores quand tu arrives à décrisper Aldo et à le faire sourire avec tes blagues. Et surtout, que tu ferais n'importe quoi pour ta famille.

— Qui est Aldo ? demandai-je après un long silence, désemparée.

— Arrête tes cachets et tu le découvriras par toi-même ! m'assura-t-elle avec un sourire vainqueur.

SIGMA ENERGY - T2 - Le Brasier de la RébellionOù les histoires vivent. Découvrez maintenant