Le vampire de Paris

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Bonjour Inspecteur. Je vous remercie de me recevoir à une heure aussi tardive. Les bureaux m'ont semblé bien déserts ce soir. Comment ? Un courrier par porteur dénonçant la présence du fameux Vampire de Paris dans ce quartier ? Croyez-moi Inspecteur, j'ai toutes les raisons d'affirmer qu'il s'agit là d'un mauvais plaisantin. Je pense qu'il était inutile d'y envoyer la majorité de vos hommes. Tourner la police en dérision est devenu un véritable sport auprès d'une certaine frange aisée de la jeunesse. Que voulez-vous, tout se perd... Et puis ce fameux Vampire de Paris n'est qu'une des innombrables affaires ébranlant les esprits parisiens. J'en ai entendu parmi les plus rationnels se perdre en conjectures fantasmagoriques, allant jusqu'à accuser le gouvernement de complot ! D'ailleurs, avez-vous lu le journal l'Aurore ce matin ? Que pensez-vous de l'esclandre qu'y fait Monsieur Zola à propos de cette autre affaire très médiatisée ?

Mais je m'égare, la politique ne nous intéresse pas ! Comme vous pouvez le constater, je vous ai ramené la petite valise que vous m'avez si aimablement prêtée. Un bien bel objet, j'admire la qualité et la souplesse du cuir. Et ce symbole doré ? Votre monogramme ! J'aurais dû m'en douter, certainement.

Venons-en au but de ma visite ! J'ai le plaisir de vous annoncer que la sombre histoire du Vampire de Paris qui défraie la capitale va être résolue ce soir. La valise contient les preuves qui corroboreront mes dires. Quant à l'assassin, ce fameux croque-mitaine coupable entre autres du meurtre de ma cousine et de ma nièce, monstre sanguinaire que toutes les polices recherchent, il est assis en ce moment-même à ce bureau. Non Inspecteur, nul besoin de bondir pour saisir votre arme ! Je serais au regret de faire feu. Cette affaire peut se régler entre gentilshommes. D'ailleurs, je vous dois bien une explication.

Voyez-vous, j'ai toujours été obnubilé par le crime parfait. De nombreux auteurs de romans se sont déjà penchés sur la question, c'est un thème bien peu original. Et pourtant, l'idée ne cessait de me tourmenter : comment réaliser un crime en toute impunité ?

Un crime parfait doit obéir à plusieurs règles. Que l'assassin réel ne soit pas inquiété et que nul ne puisse mettre en doute son innocence une fois l'affaire jugée me semble relever du truisme que ne renierait point Monsieur de La Palice. Dans la plupart des cas, un crime parfait implique donc un coupable, coupable qui ne doit pas être en mesure de clamer son innocence.

Afin de garantir une retraite paisible au meurtrier, il est hors de question d'avoir des complices ou d'acheter de faux témoignages. Ce type de comportement, auxquels cèdent beaucoup de criminels à la petite semaine, finit tôt ou tard par remonter à la surface. Il est indispensable d'agir en solitaire. Vous me direz que le crime idéal est donc d'abattre un parfait inconnu croisé par hasard dans une ruelle déserte. Effectivement. Mais si cela serait un meurtre, ce ne serait point un crime, le mobile faisant cruellement défaut. Je n'y vois donc aucune satisfaction possible. Non, croyez-moi, un crime parfait doit être un crime utile, un crime dont l'assassin profite directement.

Les bases de mon forfait étant posées, je me mis en quête d'une victime. Idéalement une personne dont je pourrais souhaiter la mort et dont je serais le principal suspect en cas de disparition. Car j'ai poussé le vice du perfectionnisme assez loin. Je souhaitais être le coupable idéal du meurtre que j'allais commettre, je désirais qu'un observateur froid et purement logique mis devant les faits accomplis ne puisse avoir le moindre doute quant à ma culpabilité. Malgré cela, nul n'imaginerait une seconde la terrible vérité. Au contraire, on me plaindrait. Force est de reconnaître que sur ce point précis, j'ai excellé et n'en suis pas peu fier.

C'est au cours de l'automne dernier que toutes les pièces se sont peu à peu mises en place. Mon oncle, richissime industriel, venait de perdre en moins d'un an son épouse adorée, la sœur de ma défunte mère, ainsi que son fils unique. Le pauvre homme, accablé par le chagrin, ne s'en remit jamais et fût emporté par une pneumonie un peu avant l'hiver. Son héritage imposant échu donc à sa belle fille, ma cousine par alliance, mère d'une souriante petite Bérénice alors dans sa quatrième année. Le pétillement des yeux de l'enfant était un véritable régal. Je leur rendais souvent visite et, en un sens, prenais peu à peu dans le cœur de l'enfant la place d'un père trop tôt disparu. Mais je vous interromps de suite, ce ne fût guère le cas dans le cœur de la mère et nos relations restèrent courtoises.

Le vampire de ParisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant