La roulette du briquet semblait détraquée.
Insistante, elle força, roula son pouce encore et encore dans l'espoir de produire une flamme, ou au moins une étincelle, même petite. C'était peine perdue, et elle finit par balancer l'objet dans une poche poubelle traînant sur le balcon en un beau mouvement du poignet. Mais elle manqua son panier et le sac se déversa sur le sol, emporté par l'élan du lancer.
— Bordel.
Il était pourtant beau, ce briquet. Elle l'avait trouvé le matin même sur l'un des murets bordant le cimetière de Holy Cross. Sur sa tranche noire, une tête de mort multicolore se fendait la poire.
Quel dommage qu'il ne fonctionne pas, se dit-elle en branchant son casque à son walkman. Dolores ferma les yeux, la clameur s'élevant des rues de Detroit l'empêchait de se concentrer. Elle serait bien entrée dans l'appartement si seulement la clim avait fonctionné correctement. Il faisait si chaud. Ses tympans étaient avides de notes de musique, elle déposa donc le casque audio sur ses tempes.
Only God can judge me
Tupac résonnait dans ses oreilles comme un cantique. Assise contre la rambarde du balcon, elle griffonnait un dessin sur un vieux carnet au bords abîmés. Les frisettes brunes de sa coupe afro allaient d'avant en arrière, légères et imprudentes alors qu'elle bougeait la tête en rythme.
— T...ssines...quoi ?
La jeune fille releva la tête de son œuvre et retira son casque. Miss Jones, tout sourire, se tenait dans l'encadrement de la porte, son bras tatoué d'une liane de roses s'appuyant nonchalamment contre l'armature au-dessus de sa tête.
— Tu as dit quoi ?
— Je t'ai demandé ce que tu dessinais.
Pour toute réponse, Dolores retourna le carnet vers la trentenaire qui plissa les yeux avant de pincer ses lèvres pulpeuses, désapprobatrice.
— Lory, encore un graffiti ?
— Ça va, soupira l'adolescente. Le papier, ça ne cause de tort à personne.
— Mmh... de toute façon tu sais ce qui va t'arriver si je te surprends encore à dégrader la rue.
— Oui, oui.
— Bien.
Miss Jones observa le dessin une seconde fois, décryptant les lettres dessinées dans un tourbillon d'orangé et de bleu.
— Ça veut dire quoi... "orage" ?
— Storm, c'est du français.
— D'accord. Et pourquoi Orage ?
— Parce qu'il va bientôt pleuvoir, répondit Dolores en se remettant à griffonner.
Le balcon de l'étage d'au-dessus obstruait la vision du ciel. Miss Jones se baissa afin de mieux le regarder. Il était gris, comme souvent. De pollution, mais certainement pas de nuages de pluie.
VOUS LISEZ
WATERPROOF
Teen FictionDetroit, 1992. Quatre ados, une bande de gosses comme les autres en apparence. Mais si l'on s'était bien arrêté en les rencontrant, peut-être aurait-on pu remarquer qu'ils étaient quatre esprits malades. Eux-même n'en avaient même pas conscience, et...