Chapitre unique

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Un regard un peu plus haut que d'habitude, et ses yeux croisèrent ceux d'un élève. Il s'empressa de baisser la tête, par honte et crainte d'une énième humiliation. Ce ne serait pas la première fois qu'il se ferait toiser avec répulsion pour si peu. Après tout, sa présence n'était pas désirée dans cet établissement, et il le savait très bien. Les rumeurs qui circulaient allègrement à son propos, absolument abracadabrantesques, ne faisaient que lui donner plus mauvaise réputation encore. À croire qu'il était l'aliéné du coin, un fou déséquilibré tout juste bon à être enfermé.

- Hé, regarde, c'est le cinglé.

Ces chuchotements le suivaient partout. Dès qu'il était en présence des gens du lycée, voire même des habitants de son village. Jamais on ne s'adressait à lui directement, on se contentait de le mettre à l'écart, et c'était bien loin d'être moins douloureux. Subir le rejet quotidiennement et se sentir ignoré au point de ne plus savoir si l'on mérite de vivre peut être plus destructeur que des sévices physiques.

- C'est lui le taré ?

Combien de fois il les avait entendus parler de lui dans son dos ? Tenir le compte ne l'avais jamais tenté. Cela n'empêchait pourtant pas les insultes de fuser dans sa tête, empoisonnant insidieusement son esprit et ses pensées, le persuadant peu à peu que quelque chose ne tournait pas rond chez lui.

« Espèce de timbré. » « Le barjo. » « Sale détraqué. »

Ces mots, employés si aisément par ses soi-disant camarades, fissuraient chaque fois un peu plus son âme. Elle était fracturée par tant de médisances et d'antipathie gratuite, sans qu'il ne puisse réellement leur en vouloir. Pourquoi ? Simplement parce qu'il avait lui-même tendance à penser qu'il n'était pas entièrement sain d'esprit. Il entendait des bruits étranges que personne ne remarquait, sentait régulièrement comme une gêne dans son dos, voyait des choses terrifiantes dont il était le seul à être effrayé, pour la simple et bonne raison qu'aucun autre que lui ne les percevait, et ces phénomènes inexplicables l'avaient doté d'une image bien particulière. Celle d'un adolescent bizarre et dérangé mentalement, un menteur dépressif sans ami.

Le brun avançait dans les couloirs tel un fantôme, les yeux rivés sur le sol couvert de marques de chaussures. Les gens s'écartaient à son passage, comme s'il avait la peste ou une autre maladie mortelle et contagieuse ; il ne releva pas. C'était à présent une habitude, il avait fini par s'y faire. Il se rendit la mort dans l'âme à son cours suivant, seul. En fin de journée, il se dirigea vers la sortie de son établissement en traînant les pieds, la fatigue lui donnant la sensation que chacune de ses jambes pesait une tonne. Il était à la fois épuisé et tendu, et il savait qu'il ne se relâcherait pas tant que son corps n'aurait pas passé la porte de chez lui. Gardant la tête résolument orientée vers le sol, il commença à traverser le hall avec une légère appréhension. Il tentait d'ignorer les remarques que l'on faisait sur lui, slalomant machinalement entre les élèves, lorsqu'une voix plus grave que les autres l'interpella. Il tendit l'oreille, intrigué.

- Dites-moi, qui est donc ce jeune homme là-bas ?

Jungkook fronça les sourcils. Cet homme - il était persuadé que c'en était un à l'entente de sa voix, ne parlait pas du tout comme un jeune ou un habitant rural. Il ne lui semblait pas connaître ce timbre profond, si singulier. Les ricanements mauvais des adolescents le firent soupirer et détournèrent son attention du raffut que le groupe créait à lui seul. Il grimaça discrètement de dégoût et poursuivit son chemin en pressant discrètement le pas. Alors qu'il allait sortir de l'enceinte de l'établissement, il entendit la voix de ses chers camarades s'élever.

- Non mais sérieux, laisse-le dans son coin ! Il est complètement azimuté ce gars !

Il eut seulement le temps de percevoir un bruit de course, avant qu'un bras vienne entourer ses épaules. Un rire grave résonna tout près de lui, s'échouant en un souffle chaud sur son oreille. Le brun se recula précipitamment, paniqué par les désagréables souvenirs défilant devant ses yeux.

Fox Fire | OS t.kookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant