Vacances vertes (Demain nous appartient - ONE-SHOT)

one-shot

Victor raccroche et, de joie, serre le poing en poussant un soupir de soulagement. Pour une fois qu'une conversation avec son ex-femme ne se transforme pas en pugilat !
Il grimpe quatre à quatre les marches menant à l'étage de sa maison d'architecte en bordure de l'étang de Thau, à Sète, et frappe énergiquement à la porte de la chambre de son fils. Un grognement adolescent lui octroie le droit d'entrer.
— Timothée ! s'exclame Victor. J'ai eu ta mère au téléphone ! On a calé les dates pour tes vacances cet été. Tu iras chez elle tout le mois d'août, comme l'année dernière !
— Non.
— Comment ça, « non » ?
— Cette année, il faudra que je parte début juillet. Peut-être même fin juin, mais ce n'est pas sûr parce que le lycée ne sera pas terminé.
— Tu ne m'avais pas dit que tu voulais y aller au début des vacances ! Tu as prévu quelque chose en août ?
La réponse de Timothée douche l'enthousiasme de Victor, mais il est également agréablement surpris que son fils ait des plans. Autiste, le lycéen a parfois du mal à socialiser avec les autres, et Victor doit souvent l'obliger à sortir, sans quoi il resterait enfermé à la maison à longueur de journée, le nez dans ses bouquins.
— Non, je n'ai rien d'autre de prévu. Mais je ne peux pas y aller en avion, donc j'irai en bateau, donc ça sera plus long, il vaut mieux que je parte plus tôt, sinon ça ne vaut pas le coup.
— Tu veux aller à Miami en bateau ? Qu'est-ce que c'est que cette histoire ?!
— Oui. L'avion ça pollue. Les émissions de CO2 pour un passager sur un vol pour les Etats-Unis sont de 500 kg. Avec le retour ça fait le double, soit une tonne par passager. C'est beaucoup trop, ça fait du mal à la planète.
Dépité, Victor passe une main sur son visage pour se laisser le temps de se calmer. Depuis quelques semaines, Timothée voue une véritable obsession à la préservation de la planète. Au début, le réveil de la conscience écologique de l'adolescent avait amusé Victor. Il est vrai que la réduction des déchets, la consommation raisonnée ou l'alimentation biologique n'étaient pas des valeurs qu'il avait transmises à son fils. Mais là, ça virait à l'idée fixe et commençait à sérieusement le fatiguer.
Timothée ne voit pas le problème, et continue innocemment à achever son père :
— Aussi, il faudrait que tu demandes aux parents de Manon s'ils sont d'accord qu'elle vienne avec moi. J'ai déjà demandé à Maman si elle pouvait venir et elle a dit oui.
— Tu veux traverser l'océan en bateau ? répète Victor. Avec ta copine ?
— Non, fit Timothée, agacé. Manon n'est pas ma copine. C'est mon binôme. Mais oui, on veut éviter de prendre l'avion, et on va en profiter pour faire une vidéo sur l'empreinte carbone des différents modes de transport.
Cette passion confuse pour l'écologie avait commencé par un concours lancé par le proviseur du lycée, auquel Timothée et sa camarade Manon avaient participé ensemble. Victor avait trouvé ça bien, car Timothée avait activement travaillé à son exposé avec la jeune fille, et quoiqu'il en pense elle était devenue son amie.
— Et comment comptez-vous vous y prendre ? demande Victor, tout de même amusé par l'idée.
La mine de Timothée s'assombrit mais il répond avec son sérieux habituel.
— Je ne sais pas encore. Le 15 août dernier, Greta Thunberg s'est rendue à New-York en voilier de course pour assister au sommet mondial de l'ONU. Mais je ne connais pas de skipper, donc ça va être compliqué. Je continue de réfléchir, et Manon aura peut-être une idée, conclut Timothée en hochant la tête, convaincu que tout problème a sa solution.
Victor est persuadé du contraire, mais ne juge pas utile de contrarier son fils immédiatement. Il préfère le laisser se rendre compte par lui-même, le moment venu, que son idée n'est peut-être pas réaliste. En attendant, il décide d'aborder le sujet sous un autre angle.
— Mais moi alors ? demande-t-il. Tu ne veux pas qu'on passe du temps ensemble cet été ?
— Toi et moi, on se voit toute l'année, donc ce n'est pas pareil. Et puis, tu vas sûrement travailler ou alors passer tout ton temps avec ta maîtresse, ça ne m'intéresse pas.
— Arrête de dire que Clémentine est ma maîtresse ! C'est ma compagne.
Timothée grimace.
— Peut-être, concède-t-il. C'est vrai que depuis que Lou t'as quitté tu es aussi célibataire. Donc oui, c'est vrai. Mais je n'ai pas envie de passer mes vacances avec madame Doucet, parce que c'est ma prof de sport. Et je n'aime pas le sport.
Victor secoue la tête, de plus en plus désappointé.
— Je sais ça. Mais j'espérais au contraire que vous pourriez en profiter pour apprendre à vous connaître, en dehors du lycée. Clémentine aimerait bien, tu sais. Il reste seulement quelques semaines de cours, elle ne sera bientôt plus ta prof, et je suis sûr qu'elle pourra s'arranger l'année prochaine pour que tu ne tombes pas dans sa classe pour ta dernière année de lycée.
Victor sait que son fils a besoin de temps. Timothée ne se souvient pas de son divorce d'avec Carla – il était trop jeune –, mais Lou l'a profondément marqué. Il a fallu du temps pour que le jeune garçon accepte une femme dans la vie de son père, et a fortiori dans la sienne, quand Lou avait emménagé avec eux. Et il lui en fallut tout autant quand la rupture fut consommée. Mais Victor n'avait pas essayé de retenir la jeune femme. Parce qu'il est tombé amoureux d'une autre, qui se trouve être la professeure de sport de son fils...
Timothée émet un borborygme que Victor choisit d'interpréter comme un signe encourageant. En tout cas, ce n'est pas un refus ferme.
Plus tard, un coup de fil de Victor au docteur Daunier suffit pour lui confirmer que le père de famille n'a aucunement l'intention de laisser sa fille cadette traverser l'océan à bord d'une embarcation encore indéterminée au nom de l'écologie. Il apprend toutefois que l'adolescente a une nouvelle lubie, qu'elle compte bien transmettre à Timothée. Son but : adhérer aux préceptes de l'association des Colibris et dénoncer activement la surconsommation en se formant à la permaculture, l'autonomie alimentaire et l'écoconstruction, rien que ça. Pour cela, elle compte passer deux semaines de ses vacances dans une ferme biologique près d'Aubenas, au plus proche du fondateur du mouvement, Pierre Rabhi, et qui sait, peut-être aura-t-elle une chance de le rencontrer.
Victor sourit : voilà qui est plus raisonnable. Si Timothée veut accompagner son amie, grand bien lui fasse. L'air pur et la nature ne pourront pas lui faire du mal. Et puis, Clémentine rêve de découvrir les gorges de l'Ardèche, alors pourquoi ne saisiraient-ils pas cette opportunité de contenter tout le monde, ça pourrait ressembler à des vacances idéales, non ?