La lune suspendit sa course au-dessus de l’obscure clairière, l’illuminant d’une teinte rougeoyante. Les ombres des arbres torturés se colorèrent d’un feu infernal. L’heure était venue. Le Sbire Noir traîna les deux adolescents à sa suite en direction du portail encore obstrué. Tristan Vivlar tressaillit, les yeux hagards. Une poigne féroce le tirait par son bras cassé, ce qui lui causait de terribles élancements.
D’une poussée, il envoya les deux adolescents valser près de Marlyssa, non loin des pierres malsaines. Un bruissement siffla furieusement aux oreilles de Tristan, ce qui le sortit de son état d’hébétude. Son cerveau fonctionna de nouveau quand il vit les contours flous de l’épée au-dessus de lui.
— Que de romantisme ; mes cheveux volent au vent, et l’œil rougeoyant de la lune me salue d’un bain de sang. N’est-ce pas une belle nuit pour perdre son humanité ?
L’arme mortelle paraissait se dédoubler à l’infini sous les yeux de Tristan. Engourdi, il se sentait incapable d’esquisser le moindre geste pour se protéger. Cependant, depuis que la harpe avait cessé de jouer son air macabre, ses forces revenaient peu à peu… Mais pas assez vite, hélas. Les prunelles ténébreuses d’Alain s’éclairèrent de reflets flamboyants.
— Je n’ai rien contre toi, pas même un quelconque sentiment de colère. Tu as offert un aller sans retour en enfers à Robert et je t’en suis reconnaissant. Un homme comme lui ne mériterait même pas une pensée compatissante… Si cela peut t’apporter du réconfort avant ta mort, sache que je l’aurais tué tôt ou tard. Adieu.
L’épée s’éleva plus haut et fusa dans les airs. Tristan retint son souffle. Un choc brutal arrêta la lame à deux centimètres de son cœur, suivit par l’apparition d’un pan de tissu pourpre virevoltant. Le Sbire fut repoussé en arrière alors que deux yeux verts s’illuminaient de fureur. Véritable flèche fendant l’air de sa pointe, Agnor ferrailla contre Alain ; leurs deux armes se heurtèrent sur des gémissements surnaturels.
— Fuyez ! s’écria Agnor.
Tristan se redressa et secoua sa sœur avec énergie. L’air hagard, elle mit un certain temps à émerger.
— Vite, il faut partir !… Tu vas bien ? s’exclama Tristan, en frissonnant.
— Oui, ne t’inquiète pas. Il faut récupérer la harpe.
Les jumeaux se levèrent en se soutenant l’un l’autre. Agnor repoussa à nouveau l’épée de son adversaire dans un jaillissement d’étincelles dorées, murmura quelque chose. La terre explosa sous les pieds du commandant, en le projetant contre un arbre. L’instrument traversa les ténèbres avec fulgurance. La harpe émit « un bang ! » sonore en heurtant le sol près de l’escalier. Alain poussa un hurlement qui se répercuta entre les arbres de la forêt, écho dévastateur qui courut se perdre dans ses profondeurs. Les trois adolescents s’élancèrent en direction de l’instrument et du bâton, à présent éloigné l’un de l’autre d’à peine une toise.
« “Hupo Gê Phanein Thanas !” » gronda le Sbire Noir.
Un sombre pouvoir s’abattit sur la clairière. La terre se troua brusquement devant les trois Vivlar. Un Serviteur surgit, armé d’un glaive en os. Sa gueule s’ouvrit, béante sur des rangées de dents effilées comme celles d’un phoque du Grand Nord.
Tristan projeta sa sœur de côté juste à temps et évita de peu un bras décharné aux griffes démesurées. Une langue de feu jaillit des paumes d’Alex. Le Serviteur explosa. Une pluie d’os s’abattit sur Tristan. Profitant de cette ouverture, ce dernier slaloma entre les Morts-Vivants et plongea en direction des deux objets. Emporté par son élan, il manqua basculer dans l’escalier, mais referma sa main libre sur la harpe.
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Les Protecteurs d'Andalénia / La Danse du Lys tome 1 la Dame en Blanc
Ficção AdolescenteLorsqu'on est né jumeaux, de surcroît fille et fils de Protecteur et de Chasseuse, la paix ne dure jamais que le temps de l'enfance. Mais même adolescents, Tristan et Marlyssa ne semblent pas encore prêts à affronter les ténèbres. Leur mère et d'aut...