Chapitre 34 : Excursion

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Après cet évènement saugrenu, notable, quelque chose d'encore plus étrange se produisit. Durant sa période de convalescence, Pearl eut du repos. Emile lui permettait de récupérer, il ne lui parlait plus, partait travailler avant le lever des enfants et rentrait tard dans la nuit, passant même parfois la nuit dehors, sûrement avachit sur un banc quelque part dans la ville, et ce sans jamais aller s'enquérir de quoi que ce soit auprès de sa fille aînée, ni même d'Eliot.

En y repensant, l'autre jour, l'alcool avait parlé à sa place. Il n'assumait pas ses excuses, voilà pourquoi elle avait eu droit à une trêve. Peut-être était-il aussi troublé qu'elle après ce geste atypique ? Avait-il quelque chose à se reprocher, enfoui dans son inconscient, libéré grâce au whisky ?

Pourquoi s'être excusé, d'ailleurs, après un déchaînement de pure violence qui n'avait pas d'autre raison que l'ivresse ? En effet, la lettre n'était qu'une excuse pitoyable, il n'avait pas cherché à aller plus loin, à connaître les intentions de Pearl et ce qu'il aurait dû recevoir, il n'avait pas cherché à connaitre la vérité, il avait simplement cogné, toute la nuit.

En s'éclipsant au petit matin, Pearl était montée, non sans mal, dans sa chambre. Elle avait hésité un instant, puis était finalement allée se saisir de sa baguette dissimulée dans l'armoire scellée. Au bout d'une interminable réflexion, elle avait réalisé n'avoir pas d'autres options, elle ne pouvait ni avertir Eliot, ni se soigner elle-même, les plaies étant dans le dos. Elle pouvait encore moins solliciter l'aide de professionnels, ils poseraient des questions indiscrètes auxquels elle ne saurait répondre sans tout dévoiler au grand jour.

Elle s'arma donc de sa baguette en bois de charme et s'assit en tailleur sur son lit, ayant bien veillé à verrouiller sa porte auparavant. Sort après sort, elle sentit les morceaux de verre s'échouer sur ses draps et ses plaies se refermer. C'était des formules de premiers secours que James lui avait apprises, les ayant lui-même découvertes au cours de sa formation de médicomage.

Avec un dernier evanesco, elle fit définitivement disparaitre les résidus qui parsemaient son lit. Avec sa chair entaillée en moins, la douleur s'était un peu réduite. Il lui restait encore à appliquer de la pommade sur ses bleus et autres blessures physiques,- pourquoi n'y avait-il pas de pommade pour les blessures psychologiques ? En dehors des psychotropes.- ce qui pouvait se faire sans magie.

Du repos suffirait pour ses côtes ; et ces couleurs inquiétantes, elles partiraient un jour ou l'autre. Elle passa son bras derrière elle et ne parvint qu'à effleurer ses omoplates du bout de ses frêles doigts. Elle caressa lentement les initiales siégeant toujours dans sa peau, même la magie ne parvenait pas à les faire partir. Elles restaient là, langoureusement plantées en elle, pour un bout de temps.

Pearl s'était donc soignée avant de plonger de plus en plus pendant les quelques jours qui suivirent. Malgré la trêve, elle parvenait quand même à vivre très mal cette période. Cloitrée dans sa chambre, jeûnant, fixant le mur pendant des heures ou ses pensées chatoyantes dans son esprit, elle n'allait même pas voir Eliot. Elle le savait en sécurité avec la résolution d'Emile consistant à éviter sa progéniture à tout prix, -pour ne pas risquer de montrer le moindre signe affectif, quel qu'il fut- elle était donc tranquille sur ce plan-là.

Et le jeune garçon profitait d'avoir presque toute la maison à son entière disposition. Il ne s'ennuyait guère et sortait manger chez ses amis du quartier quand il en avait marre de faire cuire des pâtes. Leurs parents plaignaient ce pauvre petit qu'ils croyaient vagabond et lui se délectait des mets qu'ils lui servaient à foison. Il en rapportait parfois pour Pearl, mais elle restait obstinément confinée dans sa chambre.

Pourtant, aujourd'hui, en cette veille de Noël, la jeune fille, un peu rétablie, s'était lancée dans une aventure prodigieuse pour son état. Avec Eliot, ils avaient quitté leur faubourg pour s'enfoncer dans la nature poudreuse et aux arbres dénudés de leur feuillage. Dans leur périple, ils étaient tombés sur un train désaffecté, abandonné sur les rails rouillés d'un chemin de fer en périphérie de Londres.

Mélodie damnant |T.E. Jedusor|Où les histoires vivent. Découvrez maintenant