Ceux qui pour nous traversent l'enfer... Et les autres

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D’Istanbul à la Californie, il n’y avait qu’un pas. Que Mavi avait fait pour rejoindre Kamélia sur la côte ouest américaine. Hassan l’avait serrée bien fort juste avant qu’elle embarque. Il l’avait embrassée sur le front en disant « prends soin de toi gülum… On se voit bientôt."
Il le pensait vraiment. Il n’avait pas dit ça comme on dit aux gens qu’il faudrait que l’on se voit, que l’on se revoit, que l’on mange ensemble puis qu’on ne voit jamais parce que l’on vit trop vite sans prendre le temps de s’arrêter pour en profiter. Mavi avait le coeur serré. Parce qu’elle avait un peu peur des « on se voit bientôt » désormais. Elle n’en dit rien. Lui offrit un grand sourire, un baiser sur la joue et disparut dans le couloir d’embarquement. Quelques heures plus tard, elle retrouvait le soleil de Los Angeles et le sourire de Kamélia.
Dans la voiture automatique que conduisait Kamélia, elle lui avait tout de suite dit :

- Allez, dis-moi…
- Te dire quoi?
- Mavi… Je te connais depuis des années. Tu passes ton temps à dire « promis, je viendrais », « promis, on fera ça » et « oh, il faudrait absolument que l’on s’organise ça ». Mais tu ne le fais jamais. Qu’est-ce qui t’a décidé à débarquer presque du jour au lendemain ici?
- Est-ce que je peux te demander quelque chose Kami’?
- Dis-moi…
- Est-ce que l’on peut profiter de ces quinze jours ensemble et se dire tout ça à la fin.

Kamélia avait pincé ses lèvres en signe de désapprobation et avait ajouté :

- Tu sais, tu m’inquiètes encore plus en me disant ça.
- S’il te plait… Profitons et dans quinze jours, promis, je te dirais tout.

Kamélia avait acquiescé à contre coeur. Elle avait tenté de garder cette demande dans un coin de sa tête mais elle avait passé quinze jours à regarder Mavi et à l’observer sous tous les angles. Dans les bois de Muirwood où elles s’étaient enfoncées, toile de tente sur le dos. Quelle ne fut pas leur surprise de découvrir perché dans les hauteurs un bar. Elles y avaient bu des pintes bien trop pleines, avaient ri à en pleurer avec de vieux américains du coin, avaient célébré l’anniversaire d’un certain Brad dont elles ne connaissaient rien et avaient fini par redescendre le sentier, ivres, au beau milieu de la nuit. Lorsque qu’un shérif les avait interpellées, lampe-torche braquée sur elles, Kamélia n’avait rien trouvé de mieux à faire que de se jeter dans des buissons. Kamélia avait suivi par réflexe et elles s’étaient retrouvées, à plat ventre, très clairement trahies par leur manque de discrétion et les bandes réfléchissantes de leurs sacs. L’homme s’était un peu fâché. Visiblement agacé par l’inconscience de ces deux jeunes femmes éméchées qui redescendaient un sentier escarpé dans le noir. Elles avaient toutes deux prétendues ne pas parler l’anglais et s’en étaient tirées avec brio lorsque le shérif les avait finalement déposées en lieu sûr pour camper et leur avait souhaité une excellente nuit après avoir monté leur tente. Après cela, Kamélia l’avait emmenée traîner sur le port 39 à San Francisco pour faire un coucou aux lions de mer et passer voir si l’entreprise Booba Gump était toujours aussi florissante. Elles avaient pris le câble car, descendu la Lombard Street et remonté la Castro Street, étaient passées voir les Seven Sisters et avaient fini par se faire tatouer à Haight-Ashbury. Et à chaque instant, à chaque angle de rue, à chaque fou rire, à chaque regard qui admirait le paysage, à chaque respiration, Kamélia observait Mavi du coin de l’oeil en se demandant ce qui avait bien pu pousser son amie à traverser l’Atlantique pour la retrouver ici.

Mavi, son ami si raisonnable. Lorsque Kamélia l’avait croisée pour la première fois, c’était dans les couloirs du lycée. Mavi était appuyée contre le mur, jogging, baskets, capuche sur la tête et écouteurs dans les oreilles. Kamélia était son opposé. Dans un lycée américain, elle aurait été pompom girl et Mavi aurait fini au Glee Club. Leur seul point commun, c’était leurs grandes boucles brunes à la différence que celles de Kamélia étaient impeccablement coiffées, se glissaient dans des chignons hauts, s’écrasaient dans des tresses, étaient lissées, teintées. Celles de Mavi faisaient bien ce qu’elles voulaient. Mavi les cachait sous une capuche ou un bonnet. Comme elle cachait son corps rond et tendre qu’elle n’avait jamais réussi à supporter. Après trois années de lycée, Kamélia avait appris à Mavi à marcher la tête haute, à se percher sur des talons de dix centimètres et à mettre des robes moulantes si elle le voulait, à passer du blond au brun, des baskets aux escarpins, des escarpins aux ballerines, bref, à porter ce qu’elle avait envie et non plus ce qui était le plus convenable au vu de sa morphologie comme le disaient poliment les gens soit disant par bienveillance. Et Mavi avait appris à Kamélia à s’aimer aussi sans artifice, à être plus indulgente avec ses petits défauts et à ne pas chercher à tout camoufler. Elles avaient trouvé leur équilibre et s’en étaient écoulées des années d’amitié sans nuage. Kamélia s’imaginait un jour voir grandir les gosses de Mavi et vice versa ou pas. Qui vivra verra comme on dit. Mais Mavi ne vivra pas. Elle ne vivra pas tout ça. Et la fin de sa vie marquera la fin d’une histoire d’amour, de ses amitiés, de ses projets.

MaviOù les histoires vivent. Découvrez maintenant