Affaissée dans mon siège, je retrouve le doux baiser de la boisson, la langoureuse amoureuse qui embrasse mon coeur tout entier. En face de moi, le Capitaine arbore une mine satisfaite et je ne suis plus très sûre de ce qu'il souhaite faire de moi.
On nous amène un plat d'apéritifs et j'avance le bras pour piocher une ou deux olives. Mon ventre me torture et la faim n'épargne pas mon corps fébrile.
- Je suis heureux de vous voir manger de si bon appétit : je vous prierai de rejoindre ma table tout à l'heure, si vous n'êtes pas trop indisposée, propose Crochet avec un ton si amicale que je pourrai m'y méprendre.Méfiante, je ne réponds pas tout de suite.
- Je suis curieux de voir une femme si ... pardonnez-moi le terme, âgée ici. D'habitude, Peter ne se risque pas d'amener des personnes comme vous ; il préfère les jeunes enfants.
Il finit sa phrase en chuchotant, comme si cela était un secret des plus gardés. Le matelot défiguré attend près de la porte et pouffe à ces mots mais cesse immédiatement lorsque se pose sur lui le terrible regard du Capitaine.
- Comme je disais donc, je suis intrigué et c'est pour cela que je vous invite à table.
- En échange, libérez Viktor.
Il part dans un grand rire qui résonne entre les statues d'or et se reprend pour plonger son regard gris dans le mien :
- Bien essayé mais non. Si vous refusez, je jette votre ami par-dessus bord.
J'acquiesce silencieusement et me tais pour me concentrer à faire danser le noyau de l'olive avec ma langue. Pas d'échappatoire, je le vois, et je me maudis d'avoir toujours été si mauvaise à élaborer des plans. Je suis coincée, je le sais et n'ai d'autres choix que de me plier à ceux du pirate.
- Bon, comme je le disais, vous sortez de l'ordinaire, Mademoiselle...
- Claire, je m'appelle Claire, je lâche sèchement.- Claire, ce prénom vous va à ravir.
Des larmes de rage menacent d'envahir mes yeux, pendant que le Capitaine se ressert d'un verre, de vin cette fois. La couleur sang reflète les lampes de la salle et appelle en moi un désir réprimé.
- Et pourquoi envoyer une nouvelle arrivante dans cette mission périlleuse ? A quoi joue votre ami ? Souhaitait-il donc vous faire disparaître ?
Je fusille mon interlocuteur du regard, refusant de le laisser s'emparer de ma tête, et secoue la tête :
- Je me suis imposée.
- Vous croyiez donc connaître assez l'Île pour vous en sortir ? ricane le pirate. Il faudrait mille ans pour cela, et vous voilà fraîche de deux jours. Quelle naïveté, c'est presque attendrissant.- Qu'avez-vous donc fait de Clochette ? je demande alors.
- Capturée, vous avez vu juste ! Mais cachée, gardée près de nous... Nous n'aurions pas voulu prendre le risque de vous laisser la récupérer ! Mais rassurez-vous, elle va bien. Elle nous est...très utile.- Puis-je la voir ?
Le Capitaine se lève lentement, sort de sa poche une clé qu'il plonge dans la serrure d'un cabinet. D'une étagère, il tire une petite boite en verre, d'où jaillit une faible lumière et j'observe enfin la petite fée. D'abord, ce n'est qu'un rayon lumineux mais je puis ensuite deviner la forme de son corps, puis son visage. Les paupières sont closes et disparaissent parmi la chevelure terne qui s'emmêlent autour du visage pâle de la créature. Les ailes repliées, elle semble dormir mais proie de cauchemars et douleurs incessants. Je laisse échapper un cri de détresse et implore le capitaine du regard.
- Non, non et non ! Elle restera là jusqu'à ce que nous jugerons opportun de la libérer. En attendant, je la replace.
Il s'exécute et je retombe dans ma chaise, un peu plus désespérée qu'auparavant.
- Devrions-nous passer à table ? demande le Capitaine et je le suis.Du coin de l'œil, sur la table à carte, j'aperçois une pile de feuillets ainsi qu'une carte de l'Île, où je reconnais les principaux éléments du Pays Imaginaire. Des dessins sont disséminés un peu partout mais je n'ai pas le temps de m'y attarder.
- Monsieur Mouche, pourriez-vous nous servir le vin et nous laisser ?
Le pauvre matelot s'empresse de déboucher la bouteille et nous servir mais renverse sur mes habits quelques gouttes, qui s'y impriment comme du sang. Je retiens un cri de surprise et le Capitaine ne semble rien remarquer. Le pauvre homme m'adresse un regard de remerciement et finit sa corvée. Le voyant s'éloigner, maladroit et effrayé, si je ne vais pas le remplacer sur ce navire et si, un jour, ce ne sera pas moi qui, défigurée, servira les prochains prisonniers du capitaine.
Pour l'instant, j'essaie de profiter de l'aubaine et pique dans les plats quelques morceaux de viandes et de féculents. Mon estomac gronde et me remercie tandis que le capitaine observe chacun de mes gestes, pour finalement lui aussi s'emparer d'un morceau de genou de porc, qu'il engouffre rapidement. Chaque fois que son regard se porte ailleurs, je glisse des morceaux de pains et de viandes séchées dans mes poches, pour les ramener à Viktor quand celui-ci se réveillera.
Le repas se passe presque dans le silence, et je profite de l'abondance de vin pour atténuer mon angoisse. Je me sens plus forte, moins vulnérable maintenant que circule dans mes veines le breuvage.Soudainement, un grand bruit sur le pont se fait entendre, une explosion de sons diverses, comme si le mat lui-même sur le bateau s'était effondré et Crochet se lève immédiatement.
- Je ferai bien d'aller voir cela. Je doute que votre cher Peter soit venu à votre rescousse, mais on n'est jamais trop prudent.
Aussitôt a-t-il passé le pas de la porte que je saute sur mes pieds pour plonger sur la table à carte. J'essaie d'en mémoriser chaque détail, chaque petits points, chaque patte de mouche de l'écriture du capitaine et frémis lorsque tout devient clair. Il faut que je prévienne Lily.
Mon coeur s'emballe et je retourne à mon siège au moment où Crochet revient, un sourire goguenard sur son visage.
- Ce n'était rien que Mouche et sa maladresse, navré du dérangement.
Je respire à peine et fais signe que cela n'est pas grave. Mon cerveau embrumé parvient enfin à se hisser à la surface de mon ivresse et je murmure lentement :
- Pourriez-vous ouvrir la fenêtre ? Je ne me sens pas très bien.
- Vos désirs sont mes ordres, Claire, fait le Capitaine avec un ton trop courtois.
Il contourne la table pour aborder, sans le savoir, la première phase de mon plan. Alors, à la lueur du soleil brûlant, éclatant fièrement, le crochet d'argent laisse couler le long de son col une goutte noire de sang.
Voilà Claire prise dans bien des ennuis... Comment pensez-vous que va marcher son plan ?
J'espère que l'histoire vous plait toujours autant, et je me réjouis de vous faire parvenir la suite !
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Jamais demain
Fanfic« - Peter, attend ! [...]Les pensées se bousculent et s'emmêlent. De vieilles comptines, d'anciennes fables reviennent à moi, perdues dans les méandres de l'enfance, temps qui va bientôt disparaître puisqu'il est bientôt minuit. Tous les enfants gra...