08 Pretty when you lie

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"Am I the girl that you dream of ?"
Lana Del Rey, Pretty when you cry

Suis-je la fille dont tu rêves ?

***

Après quelques jours d'absence pour visite chez des proches, mon meilleur ami Daniele fait enfin son retour dans la capitale. Le manque qu'il a représenté m'a semblé interminable. Il est cette lueur de folie nécessaire à ma sombre vie. Je me nourris de son innocence et de sa frivolité. Daniele ne côtoie pas l'illégalité ou la pègre. Ses parents, artisans qui travaillent le marbre et la pierre dans leur entreprise d'ornement funéraire, se contentent de fréquenter la mort sans la donner. Je ne le questionne pas souvent sur cette activité , sachant à quel point mon ami est mal à l'aise avec le sujet. Adepte des couleurs rayonnantes et de la joie de vivre, j'ignore encore ce qui nous unit, tant je suis à l'opposé. À peine posé à mes côtés, je respire son parfum sucré et étire les muscles tendus de ma nuque. Mon ami n'a pas l'air reposé malgré le temps supplémentaire qu'il s'est accordé loin de la faculté. Ce ne sont pas ses cours qui le tracassent, étant loin d'être l'une de ses priorités, mais les derniers potins.

— Alors, cette soirée ? Dis-moi tout. J'ai raté quoi ?
— Bonjour Daniele. Comment vas-tu ? Le soleil était au rendez-vous pendant ton petit weekend prolongé ?
— On s'en fiche. Parle, Morticia.

Son excitation est telle que cette attente est semblable à une torture pour son âme de commère. Il m'avait manqué. J'ignore comment j'aurais pu supporter une nouvelle journée d'isolement sans lui. Ma souffrance aurait été allégée avec la présence sympathique de Jino, cependant ce sont deux soldati à la loyauté assurée, sous les ordres de Domenico qui assurent la garde. Et ceux-ci n'ont rien de commode.
Daniele perçoit mes œillades en direction des hommes de main de Gianluca et de l'espace étrangement vaste qui nous entoure, déserté par les étudiants. Nous profitons du vacarme qu'il provoque en déballant ses bonbons en aluminium pour échanger sur des sujets qui ne doivent pas venir jusqu'aux oreilles de mon frère.

— Pour te résumer la soirée, j'ai flirté avec Aureliano. Il a proposé de poursuivre dans sa chambre, mais a eu la brillante idée de se montrer condescendant avec l'un des hommes de main de mon frère. Je te laisse imaginer la suite.
— Les mecs aux couilles bleues... Je te jure, souffle-t-il.
— Et de ton côté, avec ta famille ?
— Morbide.
— Comme d'habitude.
— Je dirais même plus. Y a une ambiance malaisante depuis quelque temps, là-bas. Elle touche tout le monde, même mes cousins. Ma mère avait besoin que je lui change les idées. Je lui ai promis que je serai de retour le weekend prochain pour qu'elle soit rassurée. Elle a comme un sixième sens quand il s'agit de la mort. Donc pour éviter que je finisse en dépression à porter le noir, je t'emmène avec moi.
— Tu plaisantes ? ricané-je. Je ne vois pas Gianluca accepter un tel voyage. Il m'a l'air déjà dans une sacrée guerre avec un ennemi sur Rome.
— J'croyais que vous maitrisiez tout ? s'étonne-t-il.
— Je le pensais aussi, mais tu sais à quel point il partage les infos. Hier soir, ses hommes sont rentrés tâchés de sang. Il y a eu des heurts dans la capitale, mais ils attendent sûrement que tous soient liquidés pour me prévenir du danger. Je serai la princesse punie dans la tour qui découvrira que le château est en feu.
— Les mafieux, soupire-t-il. C'est pour ça qu'on a Baki et Urouge comme nourrices.
— Tu as tout compris.

Sa façon de dépeindre la situation m'aide étrangement à dédramatiser la chose. Que l'on soit dans un milieu dangereux ou un citoyen lambda, la vie peut être une chienne qui ne laisse que de la souffrance. Daniele n'est pas du genre à se plaindre et s'il sollicite ma participation, c'est qu'il en a besoin. Je le connais assez pour savoir qu'il n'insistera pas et que ce tour de passepasse pour obtenir ma libération ne devra être fait que par moi. Pour cela, négocier frontalement avec mon frère ne mènerait à rien. Il me faut un soutien parallèle. Quelqu'un qui défendra mon point de vue quand le sujet tombera.
Cette prospection occupe mon esprit toute la journée, si bien qu'à mon retour au QG, je mélange les approches et finis par m'arrêter au premier étage, sans trop savoir ce que j'y cherche. Fabio se montre bien trop occupé à hurler sur les filles pour daigner m'accorder de l'intérêt. Être autoritaire dans le milieu de la prostitution n'implique pas d'user de la violence, mais cette subtilité semble échapper à la nouvelle recrue.
Mal à l'aise devant cette succession d'humiliation, je m'empresse de récupérer une trousse de premiers soins pour venir en aide aux malchanceuses. Je reconnais la blonde colorée qui était la favorite de la cupola il y a moins de vingt-quatre heures et ravale ma jalousie en m'approchant d'elle. La gifle reçue relève plus du coup de poing en matière d'impact. Le jeune a encore fait du zèle, mais ne réalise pas être à la limite de recevoir la prochaine balle. Habituée à être traitée comme un objet, elle ne recule pas lorsque je m'accroupis devant elle et me laisse verser de l'eau sur sa lèvre ensanglantée. Le saignement s'est maintenant arrêtée, mais la zone commence à enfler. Je récupère donc un glaçon que j'enroule dans un tissu pour le placer sur la zone meurtrie.

Mafiosa , l'empire des Ceon (TOME 1)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant