XIV - Souffle Rouge - Partie 2

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03 février 1875 — Inconnu Ouest

Dans les méandres désertiques d'Io, au coeur d'Inconnu Ouest, il y avait une autre personne presque aussi épuisée qu'Aswad. Lunera était tombée dans un sommeil si profond, que même si un troupeau d'éléphant venait à barrir près d'elle, elle ne se serait pas réveillée.

Après son réveil, la jeune fille flâna longuement tout en laissant ses pensées divaguer. Elle avait l'impression que le temps qui la séparait de la dernière fois où elle avait pris du repos se comptait en années. La semaine fut si épouvantable, si longue...

Mais bon. Je dois faire avec. De toute façon, le résultat en vaut la peine... N'est-ce pas... ?

Hélas, le doute s'immisçait dans les moindres recoins de son esprit, insufflé par les remarques du Chevalier Radlakh et de l'Âme Flavescente. Devant le rejet d'Assad, Lunera avait pleinement embrassé la cause de son père malgré ses réticences initiales. Cependant, que des êtres séculaires comme les gardiens des Inconnus puissent parler de Darkodem en des termes peu aimables la laissait dans une stupeur sans précédent.

Cela lui rappela les « Criminel ! Criminel ! » scandé par le peuple sultakarois quand elle s'était entretenue avec leur roi pour la toute première fois. Ou encore le mépris croissant des gens de l'Adrastée quand ils l'avaient combattu, autant chez eux que chez elle. Force était de constater que le monde n'avait pas du tout la même vision qu'elle, concernant Darkodem. Était-il vraiment le père, froid sur les bords mais aimant, qu'elle avait connu ? Ou n'était-ce qu'une façade, un de ses (nombreux ?) visages ? Était-il aussi tyrannique et mauvais qu'on le lui dépeignait ?

Comme si cela ne lui suffisait pas, elle ne pouvait empêcher son coeur de lui en vouloir. Après avoir vu la magnificence du monde extérieur, ses richesses et ses beautés, Lunera éprouvait du ressentiment à l'égard de Darkodem. Elle qui avait été confiné toute sa vie dans le palais. Pourquoi l'avait-il enfermée dix-sept ans chez elle, comme une détenue ? Tout ce que la jeune fille connaissait du monde, elle le devait aux livres.

À ce mal-être, s'ajoutait une jalousie mordante, une envie terrible, qui l'étouffait presque quand elle y pensait. Ah ! Voir Assad et Zahya défendre leur enfant, l'autre Sorcière, avec une telle férocité, une telle ardeur, comme des lions - à juste titre - l'impressionnait et l'attristait.

Sa mère, sa défunte mère, sa chère mère qu'elle aimait de tout son coeur, bien qu'elle ne la connaisse pas, l'aurait-elle protégée avec un tel acharnement ? Auraient-elles été amies, comme semblaient l'être Zahya et sa vilaine fille ? L'aurait-elle aimée ? Tant de questions se bousculaient dans sa tête et les réponses étaient encore plus inaccessibles que les étoiles dans le ciel... Ça la rendait confuse et malade de tristesse. Elle ne pouvait rien faire. Pourquoi Darkodem ne lui avait jamais parlé de sa mère ?

C'est tellement injuste !

La pauvre Lunera ignorait même le nom de la femme qui l'avait portée pendant neuf mois.

Peut-être Seraf, comme mon deuxième prénom... Qui sait ? Une fois ressuscité, je lui demanderai. Il faut que je comprenne ! Je ne suis plus une enfant ! Qui est ma mère ? Pourquoi ai-je été enfermé au Palais ? Pourquoi ses allers-retours fréquents et incessants ? Il faut des explications, des vraies ! Pas un tissu de mensonges, comme cette... lettre...

Comme chaque fois que son esprit s'aventurait à médire de l'image sacro-sainte de Darkodem, Lunera sentait son ventre se contracter follement et la sueur perler à son front, comme si elle venait d'émettre le plus vil des blasphèmes. Elle devenait craintive, se ratatinait sur elle-même comme si la foudre allait s'abattre sur elle d'une minute à l'autre.

Terreur Lunaire - Livre 1 - Vers le Cœur ArkhaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant