30. Mjöllnir

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L'épée Ohn Sidh, plantée dans le rocher, attendait l'Élu capable de la brandir, à qui serait confié une puissance surhumaine. Elle attendit jusqu'à l'avènement du roi Arthur ; une fois Arthur disparu, elle fut scellée de nouveau et, aujourd'hui encore, elle attend.

De même, Mjöllnir, arme ultime confiée par Odin d'Asgard à son fils Thor, n'admettra qu'un seul pilote. Et le vaisseau attend, depuis deux mille ans, que ce pilote lui revienne.

Caelus, Histoire de l'Omnimonde


Ils se trouvaient ici trop loin de Lazarus, à peine liés par le champ gravitationnel de son soleil, comme dans un filet de mailles très lâches. Dans cette apesanteur véritable, la masse corporelle de Bokariov prit naturellement une forme presque sphérique ; n'ayant aucun poids, seulement une inertie, il disposait d'une agilité remarquable. Ivan, au contraire, se servait très mal du harnais de propulsion qu'on lui avait fixé pour la sortie. Il manqua de perdre le contrôle et de s'écarter du groupe ; cela n'aurait guère déplu à Bokariov, qui faisait mine de ne rien voir.

« C'était une bonne idée de prendre votre domestique avec nous, Grand Ivan. Est-ce que vous y tenez beaucoup ? »

Entrés dans le champ de Sol Lazarus, ils avaient mis des visières opaques pour protéger leurs yeux fragiles ; Ivan ne put savoir si l'amiral se moquait éperdument de lui, bien qu'il crut entendre un hoquet dans la radio, comme un début de ricanement étouffé.

« Pour que notre démonstration soit la plus complète possible, nous risquons de l'abîmer un peu. Plusieurs de nos cobayes ont subi des dommages cérébraux irréversibles. Cela dit, la plupart ont gardé leur stabilité mentale, et ça ne se voit pas physiquement.

— Faites comme bon vous semble.

— Toi, qu'en penses-tu ? lança Bokariov en tournant son casque noir vers l'humaine, qui flottait dans sa combinaison trop grande.

— Je me conformerai aux ordres de mon maître.

— C'est une servante docile que vous avez là, nota l'amiral, en hochant la tête.

— Un don de la reine Arcana. Je ne suis pas un vampire à serviteurs ; leur présence finit par me courir sur les nerfs.

— Ne soyez pas trop dur avec eux ; comme vous le savez désormais, les humains sont indispensables au bon fonctionnement de l'Armada. »

Bokariov prit la tête de leur petit groupe ; il ouvrit les bras pour se réceptionner en douceur sur une passerelle métallique, qui émergeait d'une structure quadrangulaire attachée autour de Mjöllnir, à l'instar de leurs harnais. Ivan nota qu'elle était partiellement démontée ; les propulseurs annexes, qui avaient servi à déplacer la relique spatiale, avaient été depuis recyclés dans le Reine Arcana.

Leurs semelles magnétiques se collèrent à la poutrelle ; ils marchèrent alors un pas après l'autre, oscillant d'avant en arrière, comme une parade de gros ballons. Bokariov les mena jusqu'au sas.

« À partir d'ici, nous sommes sous pression atmosphérique, indiqua-t-il. Mais vous n'êtes pas obligés de retirer vos casques. »

Il le fit néanmoins ; de grosses gouttes de sueur perlaient sur son front blanc, qui dépassaient parfois la ligne trop fine de ses sourcils et s'échouaient dans ses yeux rougis. Il ouvrit lui-même les écoutilles, trop fier de ces installations pour laisser la primauté à ses deux gardes du corps.

En l'absence de gravité artificielle, ils progressèrent lentement dans les salles de contrôle, de réunion, de travail, moins spacieuses que celles du Reine Arcana, encombrées de calculateurs à ampoules éteints et d'armoires pleines de cahiers de notes.

« J'ai dirigé cet endroit durant plus de dix années, annonça l'amiral avec arrogance. On peut dire que l'Armada Secunda est née ici. Nous avons accompli en vingt ans un bond technologique d'un siècle dans le domaine spatial. »

Ils entrèrent enfin dans un couloir de verre blindé pourvu de rampes métalliques. La coque de Mjöllnir occupait toute la vue, lisse de toute imperfection, parsemée de symboles d'une langue disparue de l'Omnimonde.

« De simples indications techniques, évacua Bokariov en voyant Ivan essayer de les graver en mémoire. L'intérieur est plus intéressant. »

Le tunnel formait la jonction avec le vaisseau fantôme au moyen d'une énorme ventouse de cuir. Une porte de sas se trouvait ici, contrôlée par une sorte de panneau numérique aux touches épaisses. L'amiral se contenta d'entrer un code et la porte s'ouvrit en quatre.

« Comment avez-vous appris ce code ? intervint Ivan.

— L'histoire est rocambolesque. Nous l'avons lu dans L'histoire des voyages prodigieux du capitaine Barfol, une œuvre de fiction inachevée, écrite par le célèbre alchimiste Driann Phonne Zeugar il y a plus de trois cent ans. Le seul exemplaire connu de ce livre se trouve dans la bibliothèque personnelle de son Altesse. Mjöllnir y apparaît, ainsi que cette séquence de caractères. Personne n'a pu la traduire, mais elle nous a donné l'accès.

— Pourquoi ne pas simplement percer la coque ?

— Vous êtes un malin, Grand Ivan. Les têtes de diamant de nos foreuses ont éclaté contre un champ d'intégrité structurelle. Nous avons envisagé de saturer le champ à l'aide d'une détonation nucléaire... la Reine a refusé. Mais entrons plutôt ! »

La porte, docile et silencieuse, ne se referma que lorsqu'ils furent tous entrés. Il régnait à l'intérieur de Mjöllnir une obscurité abyssale, oppressante, qui les força à allumer les lampes d'appoint de leurs combinaisons.

Ivan estima l'épaisseur de la coque à dix mètres au moins, soit toute la longueur du sas. Une coursive courait à gauche et à droite, semblable à une galerie de mine supportée par des piliers de métal.

« N'hésitez pas à remettre vos respirateurs, indiqua Bokariov. Cette atmosphère est stérile, mais assez pauvre en dioxygène. »

Les photographies en noir et blanc prises à l'ouverture de la tombe de Toutankhamon ne disent pas quelle puanteur insoutenable il régnait dans ce réduit fermé depuis des millénaires. À l'inverse, ils ne sentaient ici aucune odeur, n'entendaient pas le moindre son.

« Par ici, encouragea l'amiral. Que notre cobaye entre en scène. »

Après une marche de cinquante mètres, soit la moitié de la largeur, ils pénétrèrent ce que Bokariov appela le « Narthex ». C'était un caveau circulaire, d'une monotonie déconcertante. Un pilier se trouvait en son centre, une colonne centrale dans laquelle disparaissaient des centaines de câbles ; il était creusé d'un caisson à forme humaine, comme un sarcophage ouvert.

« Une IM, comprit Ivan.

— En effet. Nous ne pouvions pas la démonter, mais nous en avons fait des échographies très fines, de sorte que nous avons pu la reproduire. »

Ivan tourna autour du système. Le vaisseau tout entier était destiné à un unique pilote, qui plongé dans le sommeil profond de l'interface mentale, aurait accès à tous ses secrets, toutes ses armes ; il serait comme une sorte de dieu.

« Comme son champ d'intégrité est encore actif, Mjöllnir n'est pas mort. Il n'est donc qu'endormi. Je suppose que de nombreux vampires ont essayé d'entrer dans l'IM ? Que leur est-il arrivé ?

— Disons que nous avons pu en sauver quelques-uns. Puis nous avons compris que l'IM ne fonctionnerait pas avec un vampire. Mjöllnir a été conçu par un peuple humain.

— Des humains ?

— Il semblerait qu'ils soient très nombreux dans l'Omnimonde. »

La vision du monde d'Ivan s'accommoda de cette information. Le pouvoir aristocratique ne craint pas la solitude ; savoir l'univers peuplé de barbares humains lui convenait bien mieux que d'imaginer des vampires étrangers, qui exigeraient d'être traités en égaux.

« C'est donc pour cela que vos IM ne fonctionnent qu'avec des humains.

— L'IM a été calibrée pour leur cerveau. Aux commandes du Reine Arcana, des vampires tomberaient dans le coma au bout de quelques jours. »

Bokariov désigna l'humaine qui les accompagnait.

« Mais il est temps de faire notre expérience. »

Nolim II : Le dévoreur d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant