Servante

Chapitre 13

« Vous l'aimiez, déclare le plus calme des deux hommes. »

Je relève les yeux sur lui. N'avait-il donc pas écouté ? Ou tout simplement rien comprit ?

« Si je l'aimais ? Je répète. Je ne savais même pas ce que ça voulait dire, comment aurais-je pu le savoir ? Je n'étais pas capable de comprendre ce qui m'arrivait.

–Mais aujourd'hui vous comprenez ?

–Bien sûr que je comprends puisqu'on m'a ouvert les yeux. »

Il soupire, comme exaspéré. Visiblement ma réponse ne lui convient pas.

« Alors vous devez aussi comprendre que vos propos vous mettent grandement en danger madame Clain.

–C'est pour ça que je suis ici, non ? »

Allongée sur mon lit, je caressais distraitement mon ventre. Je m'ennuyais, comme d'habitude. Et c'était encore pire depuis que Mère Georgia m'avait interdit de sortir pour des choses inutiles selon elle. Plus de promenades donc.

J'en avais assez d'attendre que le temps passe, surtout qu'à ne rien faire on pense trop. Et j'avais beaucoup de choses à l'esprit. Je me posais des questions sur ma relation avec Connor, sur la culpabilité de Drake dans l'incendie et même sur le bébé. J'essayais de dormir comme me le conseillait Mère Georgia mais je n'avais pas sommeil. Non, j'avais envie de... gâteaux.

Je me suis donc levée et me suis dirigée hâtivement vers la cuisine. Depuis le salon la voix de Gianna me parvenait. Elle chantait. C'était très doux, malgré quelques fausses notes. Je peux encore l'entendre dans mon esprit. J'ignore combien de temps j'ai passé à la regarder nettoyer la cuisine en chantant, appuyée sur l'encadrement de la porte.

« Par le Saint ! Avait-elle sursauté en me voyant. Je ne vous avais pas vue madame, vous aviez besoin de quelque chose ? »

Je me rappelle avoir sourit en la voyant replacer une mèche rebelle sous sa coiffe et lisser les pans de son tablier, honteuse.

« Pour dire vrai, avais-je répondu en posant un pied dans la cuisine, j'avais envie de gâteaux.

–Pas de soucis, je vais vous faire ça ! Que désirez-vous ? »

J'avais fait quelques pas de plus dans la pièce, ce qui m'était interdit.

« Eh bien, je m'étais dit que je pourrais t'aider, je réussis plutôt bien les cookies. Non, en fait c'est l'une des seules choses que je ne fais pas brûler. »

Un fin sourire se dessina sur ses lèvres mais elle reprit rapidement son air sérieux.

« Mère Georgia n'apprécierait pas vous savoir ici madame.

–Elle n'a pas besoin de le savoir, ce sera un autre de nos secrets. »

Un simple sourire malicieux l'avait convaincue. Je n'ai jamais été une grande cuisinière mais rien que d'aider à faire la cuisine m'avait fait beaucoup de bien. Je ne me sentais plus inutile et le temps passait à une vitesse folle. Je me revoyais alors dans ce petit appartement que j'adorais, qui devait déjà avoir un nouveau propriétaire, à me faire quelques petits plats. Cette vie me semblait si lointaine.

Nous avons joué autant que nous avons cuisiné, s'arrosant avec un peu d'eau ou soufflant de la farine sur l'autre. La pièce ne ressemblait plus à rien mais nous nous amusions. Rire me faisait du bien, beaucoup de bien.

J'ai regardé les cookies cuire dans le four. Je respirais la bonne odeur qu'ils dégageaient tandis que mon ventre criait famine. Pendant une heure j'étais redevenue Lénore Clain, l'inconnue au bataillon.